Au Canada, la Loi sur les Indiens [« Loi »], en vigueur depuis 1876, est la loi de référence en ce qui concerne le statut d’Indien, les bandes et les réserves des membres des Premières Nations. Celle-ci concerne donc l’interaction entre le gouvernement fédéral et les Indiens inscrits ainsi que les communautés des réserves indiennes. Depuis son entrée en vigueur, la Loi a été au centre d’importantes controverses historiques et actuelles concernant la discrimination des femmes autochtones. Toutefois, bien qu’elle ait été modifiée à de nombreuses reprises depuis son adoption initiale, d’importantes préoccupations de discrimination subsistent.
Ce sont les effets discriminatoires de cette loi que Jeremy Matson a soulevé devant le Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») ainsi que dans une plainte adressée au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (« CEDEF ») des Nations Unies. Il lutte depuis de nombreuses années afin que des changements soient apportés à la Loi dans le but de rectifier les effets discriminatoires qui perdurent. Les enjeux soulevés par M. Matson démontrent l’ampleur de la discrimination commise par le gouvernement du Canada, par le biais de la Loi, à l’encontre des femmes des Premières Nations.
Aperçu de la discrimination
Conformément à l’article 5 de la Loi, le gouvernement fédéral du Canada tient un registre des personnes s’identifiant comme Indiens selon les critères établis. Le registre des Indiens sert à déterminer l’admissibilité à plusieurs programmes et accorder aux personnes inscrites certains droits et avantages prévus par la loi et les traités. Par contre, avant 1985, la Loi entrainait des résultats différents pour les hommes et les femmes qui épousaient une personne non inscrite au registre des Indiens, et donc favorisait explicitement les hommes. Les hommes enregistrés qui épousaient des femmes non enregistrées pouvaient transmettre leur statut d’Indien à leurs femmes et à leurs enfants, tout en conservant leur statut eux-mêmes. En revanche, les femmes enregistrées qui épousaient des hommes non enregistrés perdaient leur statut d’Indien et, par conséquent, ne pouvaient pas le transmettre à leur mari et à leurs enfants. Les dispositions de la Loi ont été modifiées depuis en raison de leur caractère discriminatoire, mais leurs effets demeurent.
En décembre 2017, le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, est entré en vigueur. Celui-ci a élargi les critères d’admissibilité à l’inscription au registre des Indiens, et de nombreuses personnes concernées par les dispositions discriminatoires initiales ont pu s’inscrire grâce à cette modification.
Bien que M. Matson reçoive le statut d’Indien en vertu de l’article 6 (1), ses enfants ne remplissent pas les critères d’éligibilité établis par l’amendement, qui exigent un mariage parental avant 1985 pour recevoir le même statut. Les enfants de M. Matson ont plutôt droit au statut d’Indien en vertu de l’article 6 (2). Toutefois, cet article ne permet pas aux individus de transmettre leur statut à leurs enfants à moins que l’autre parent de l’enfant ne possède également le statut d’Indien. Cette disposition est souvent appelée la « règle de la deuxième génération ». Dans ce cas, si la grand-mère de M. Matson avait pu conserver son statut d’Indien, les enfants de M. Matson seraient admissibles en vertu de l’article 6 (1) et pourraient transmettre leur statut à leurs enfants, quel que soit le statut de l’autre parent de leurs enfants, comme leurs cousins qui sont des descendants d’un homme enregistré. Malgré les efforts du gouvernement pour améliorer la législation, les dispositions discriminatoires de la version originale de la Loi continuent de causer des effets sur la famille de M. Matson et sur d’autres familles dans la même situation.
Absence d’options judiciaires
Matson a contesté les dispositions discriminatoires de la Loi en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») devant le Tribunal. L’article 5 de la LCDP stipule que le refus de service sur la base de certains critères tels que le sexe, la race, la religion, et bien plus constitue une pratique discriminatoire illégale qui peut être portée devant le Tribunal. Toutefois, dans sa décision de rejeter la plainte, le Tribunal a déclaré que l’affaire contestait directement la Loi et non un service et que le Tribunal n’a pas la capacité de se prononcer sur des plaintes relatives à la législation. Cette décision a été confirmée par la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada.
Selon la réponse des tribunaux, la Charte canadienne des droits et libertés (« CCDL ») doit être utilisée afin de contester une disposition législative discriminatoire. Cette décision limite les options judiciaires de M. Matson et d’autres personnes dans des situations similaires, car elle les empêche d’utiliser le Tribunal des droits de la personne, une voie plus accessible, plus rapide et moins coûteuse que les contestations fondées sur la Charte. Cette décision a comme effet de limiter l’accès à la justice en matière de droits de la personne au Canada, ce qui affecte de façon disproportionnée les individus marginalisés.
L’espoir du CEDEF
Le CEDEF est donc une lueur d’espoir pour M. Matson, alors que les options judiciaires au Canada sont limitées. Le CEDEF est un comité composé de 23 experts indépendants venant de partout dans le monde. Ils sont chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dans les États partis à la Convention. En étant un des États signataires de la convention, le Canada est tenu de respecter et mettre en œuvre les droits élaborés par celle-ci. Il y a plusieurs années, le CEDEF a ouvert une enquête sur le cas de M. Matson, mais a suspendu celle-ci lorsque le Canada préparait le projet de loi S-3 qui est entré en vigueur à la fin de 2017. Par contre, comme illustré dans ce texte, le projet de loi n’a pas su régler tous les cas de discrimination qui furent perpétrés par le gouvernement par le biais de la Loi, puisque la famille de M. Matson en subit encore les effets. Plusieurs organisations de droits de la personne ont donc réécrit au CEDEF afin de réclamer qu’ils procèdent à l’examen de la pétition de M. Matson et qu’ils émettent des recommandations pour remédier à la discrimination.
Conformément aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, le système canadien des droits de la personne a été conçu dans le but de créer un processus rapide et accessible pour traiter les allégations de discrimination. La plainte déposée par M. Matson soulève donc deux problématiques entourant les droits de la personne ; une question de discrimination faite aux femmes des Premières Nations ainsi qu’une question d’accès à la justice dans le cas de contestations portant sur la discrimination issue de la législation. Bien que le gouvernement du Canada ait réitéré son engagement de réconciliation avec tous les peuples autochtones du Canada ces dernières années, de nombreux problèmes législatifs de longue date continuent de provoquer une discrimination importante et d’accroître la marginalisation des Premières Nations. Afin de remédier à cette discrimination et de permettre un meilleur accès à la justice, le Canada devrait modifier la LCDP pour préciser que le Tribunal a compétence pour entendre les plaintes relatives à des allégations de discrimination découlant de la législation. Il sera intéressant d’étudier les recommandations du CEDEF au gouvernement canadien si l’examen de la pétition est repris.
À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.
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