L’inaction comme cause d’action par rapport à la crise climatique et les violations de la Charte québécoise et la Charte canadienne
20 juin 2020
Les jeunes militants environnementaux seront déçus par une décision récente de la Cour supérieure du Québec[1] dans laquelle le juge Gary D.D. Morrison empêche un recours collectif contre le gouvernement fédéral pour leur inaction en matière de politique environnementale. Ceci est décevant car, au Québec, une enfreinte à un droit garanti dans la Charte des droits et libertés de la personne[2] peut mener à des dommages-intérêts punitifs. Ce résultat pourrait inciter le gouvernement à prendre des mesures proactives pour contrer la crise climatique.
Dans ce cas, Environnement jeunesse (ENJEU), un organisme à but non lucratif, demande l’autorisation d’exercer une action collective contre le procureur général du Canada au nom de tous les citoyens québécois âgés de 35 ans et moins. ENJEU allègue que l’inaction du Canada en matière de politiques environnementales ne permettra pas d’éviter des changements climatiques dangereux et donc mènera à une atteinte à trois droits protégés : le droit à la vie, liberté et sécurité, le droit à l’égalité, et le droit à un environnement sain[3]. Les deux premiers droits sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés[4], tandis que le dernier droit est protégé par Charte québécoise.
Il y a deux questions au cœur de ce litige. Premièrement, est-ce que la cause est justiciable ? En d’autres mots, est-ce que le problème soulevé par ENJEU peut être examiné par une cour de justice, ou est-ce purement une question politique ? Deuxièmement, est-ce que l’action collective est appropriée pour un tel litige ? En bref, la Cour supérieure statue que, bien que la question soit une question juridique qui mérite d’être examinée par les tribunaux, l’action collective n’est pas le recours approprié.
Le procureur général du Canada argumente que les demandes d’ENJEU visent l’exercice du pouvoir législatif et que la solution recherchée par ENJEU, soit une réglementation environnementale plus compréhensive, n’est pas le domaine de la branche judiciaire. La Cour supérieure a conclu dans ce cas que les tribunaux ne devraient pas refuser d’entendre une cause simplement car il y a des aspects politiques si le litige lui-même porte sur une question juridique[5]. Les tribunaux ne peuvent pas opiner sur les actions de la branche exécutive, mais ils peuvent agir si le gouvernement porte atteinte à un droit protégé par une ou plusieurs des Chartes.
Bien que la Cour supérieure ne soulève pas de problème sur le sujet de la plainte, elle ne croit pas que l’action collective est le véhicule approprié pour une telle cause. Le juge Morrison explique que, même si la mission et les objectifs d’ENJEU sont admirables, le groupe visé est trop subjectif et limitatif pour constituer « la base d’un groupe approprié aux fins d’exercer une action collective »[6]. De plus, le recours inclut les mineurs, ce qui pose un problème car les personnes de moins de 18 ans ne peuvent pas pleinement exercer leurs droits civils.
En dépit de ce jugement décevant, ENJEU n’a pas été déterré. Le groupe a déposé une déclaration d’appel en août 2019[7] et Amnistie internationale a agi comme intervenant. Si cette affaire aboutit, le gouvernement pourrait être tenu à payer des sommes importantes aux appelants.
Si le gouvernement est tenu responsable des actions alléguées par ENJEU, il serait tenu de débourser des sommes importantes sous forme de dommages-intérêts punitifs. Les dommages-intérêts punitifs sont des sommes d’argent qui vont au-delà de la simple compensation des demandeurs, ayant parfois pour objet la dissuasion ou la punition. En vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État, le gouvernement fédéral peut être poursuivi pour une atteinte à un ou plusieurs articles inclus dans l’une ou les deux Chartes. La Charte québécoise, telle que mentionnée ci-haut, protège explicitement le droit « de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité »[8]. La Charte québécoise prévoit qu’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit reconnu dans cette dernière, tel que le droit à un environnement sain, donne au tribunal le pouvoir de condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. Il suit que, si un tribunal reconnaît que le droit à un environnement sain est brimé, le gouvernement pourrait être tenu à payer des sommes importantes sous la forme de dommages-intérêts punitifs.
La reconnaissance d’une atteinte au droit à un environnement sain mènerait le gouvernement fédéral à payer des dommages-intérêts punitifs importants aux résidents âgés de 35 ans et moins au Québec. Ceci pourrait inciter le gouvernement à prendre des mesures importantes pour contrer la crise climatique pour éviter d’autres poursuites de cette nature.
Il est important de noter qu’il est exceptionnel que les tribunaux octroient des dommages-intérêts punitifs. Les cours québécoises sont particulièrement réticentes à accorder ce type de dommage car le droit civil a, en théorie, uniquement une fonction réparatrice[9].
Bien que ce cas n’ait pas réussi, c’est seulement une poursuite dans un mouvement de démarches similaires au Canada et à travers le monde, notamment aux Pays-Bas, en Belgique, en Norvège et en Nouvelle-Zélande. Il reste à voir si ce litige aboutit à une décision qui impose des dommages-intérêts au gouvernement fédéral. Une telle décision pourrait pousser le gouvernement à adopter des mesures environnementales plus proactives par crainte d’être confronté à d’autres poursuites similaires.
[1] Environnement Jeunesse c Procureur général du Canada, 2019 QCCS 2885, 308 ACWS (3e) 775 [Environnement Jeunesse c Procureur général du Canada].
[2] RLRQ c C-12 [Charte québécoise].
[3] Environnement Jeunesse c Procureur général du Canada, supra note 1 aux paras 96-109
[4] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne].
[5] Environnement Jeunesse c Procureur général du Canada, supra note 1 au para 58.
[6] Ibid au para 136.
[7] « ENvironnement JEUnesse ira en appel contre le Canada » (12 juillet 2019), en ligne : Environnement Jeunesse, <enjeu.qc.ca/enjeu-ira-en-appel-contre-le-canada/>
[8] Charte québécoise, supra note 2, art 46.1.
[9] Jean-Louis Baudoin, Patrice Deslauriers et Benoit Moore, La responsabilité civile, vol 1, 8e éd, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2014 aux pp 409-410.
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