La semaine de relâche en Ontario est maintenant terminée et vous et votre famille, qui étiez en vacances à l’étranger, revenez à la maison. Or, vos enfants ne retrouveront pas de sitôt leurs amis dans la cour de récréation puisque toutes les écoles élémentaires et secondaires publiques ontariennes resteront fermées, par arrêté ministériel, jusqu’au 5 avril inclusivement[1] en raison de la pandémie de coronavirus COVID-19. Le pays compte près de 2 000 cas confirmés et annoncés de coronavirus[2], un nombre qui ne cesse d’augmenter de jour en jour.
Alors, comment s’annonce votre retour à la maison à la suite de votre séjour à l’étranger?
J’examinerai d’abord les dispositions de la Loi sur la mise en quarantaine s’adressant aux voyageurs, une loi fédérale qui est pertinente dans l’éventualité d’une menace pour la santé publique. J’examinerai ensuite le rôle des provinces en matière d’isolement. Les provinces peuvent, en vertu des lois pertinentes, imposer l’isolement des citoyens infectés.
Aux frontières – la Loi sur la mise en quarantaine
Il convient d’abord de noter que le gouvernement fédéral a compétence exclusive en matière de quarantaine conformément au paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle[3]. La Loi sur la mise en quarantaine, qui a été amendée en 2005 suite à l’épidémie de SRAS au Canada, permet au gouvernement fédéral de mettre en quarantaine les voyageurs arrivant au Canada afin de prévenir l’introduction ou la propagation de maladies transmissibles.
L’article 4 énonce l’objet de la loi, soit « la protection de la santé publique au moyen de mesures exhaustives visant à prévenir l’introduction et la propagation de maladies transmissibles ».
En vertu du paragraphe 6(1), le ministre fédéral de la santé peut établir des postes de quarantaine partout au Canada, et en vertu de l’article 7, le ministre peut, par arrêté, désigner tout lieu (même une maison) au Canada comme installation de quarantaine.
Voyageurs
Les articles 12 à 33 de la Loi énoncent les obligations du voyageur en ce qui a trait à la divulgation des renseignements sur son état de santé ou à sa soumission à des contrôles et examens médicaux.
Les agents de contrôle (douaniers au sens de la Loi[4]) et les agents de quarantaine (un médecin ou autre professionnel de la santé[5]) peuvent ordonner au voyageur de se conformer à « des mesures raisonnables » en vue de prévenir l’introduction ou la propagation d’une maladie transmissible[6]. Un agent de la paix[7] peut même, à la demande de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine, arrêter sans mandat et amener devant l’agent de quarantaine le voyageur dont il a des motifs raisonnables de croire qu’il a refusé d’être isolé ou de se conformer à une mesure ordonnée[8]. Un voyageur qui ne se conforme pas auxdites mesures commet une infraction au sens de l’article 68 de la Loi et encourt une amende maximale de 200 000 $ et/ou un emprisonnement maximal de six mois[9].
Toujours en vertu de la Loi, si l’agent de quarantaine a des motifs raisonnables de croire que le voyageur est atteint d’une maladie transmissible ou infestée de vecteur ou qu’il a récemment été en contact avec une personne atteinte d’une telle maladie ou infestée de vecteurs, le voyageur peut avoir à subir un examen médical[10]. L’agent de quarantaine peut aussi ordonner à un voyageur de se soumettre à un traitement ou à toute autre mesure visant à prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie transmissible[11]. L’utilisation de l’expression « toute autre mesure » confère de larges pouvoirs à l’agent de quarantaine et celui-ci pourrait vraisemblablement ordonner le confinement sous peine des sanctions susmentionnées[12].
La Loi permet même à un agent de quarantaine de détenir un voyageur pour diverses raisons, comme, par exemple, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un voyageur est ou pourrait être atteint d’une maladie transmissible, ou si un voyageur refuse de subir un contrôle médical ou de se faire désinfecter[13].
Les dispositions de la Loi ont déjà été utilisées par le gouvernement dans la lutte contre la COVID-19, par exemple dans le cas des Canadiens qui ont été rapatriés avec l’aide du gouvernement à partir de bateaux de croisière, mais qui ont ensuite été maintenus en quarantaine sur une base militaire à Trenton[14].
Urgences
La Loi comprend également une disposition pour les cas d’urgence. En vertu du paragraphe 58(1), « [l]e gouverneur en conseil peut, par décret, interdire ou assujettir à des conditions l’entrée au Canada de toute catégorie de personnes qui ont séjourné dans un pays étranger ou dans une région donnée d’un pays étranger »[15]. Pour prendre le décret, le gouverneur en conseil doit être d’avis :
- que le pays du séjour est aux prises avec l’apparition d’une maladie transmissible;
- que l’introduction ou la propagation de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
- que l’entrée au Canada des personnes qui ont séjourné dans le pays en question favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
- qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada[16].
Justement, le 20 mars 2020, la gouverneure en conseil s’est prévalue du paragraphe 58(1) de la Loi et a pris le décretinterdisant à tout étranger au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés d’entrer au Canada en provenance de tout pays étranger autre que les États-Unis[17] afin de limiter la propagation du virus.
Isolement fortement recommandé, mais pas encore obligatoire
La ministre fédérale de la Santé a annoncé le 22 mars 2020 que des mesures plus sévères, telles que des poursuites pénales, pourraient être envisagées et prises contre les voyageurs qui ne respectent pas la période d’isolement de 14 jours lorsqu’ils reviennent au Canada[18].
Tel que mentionné plus haut, les gouvernements provinciaux peuvent imposer des mesures d’isolement à ses résidents en vertu des lois provinciales pertinentes. Par exemple, en Ontario, la Loi sur la protection et la promotion de la santé[19]prévoit qu’un médecin-hygiéniste peut donner un ordre, tel que l’obligation pour une personne qui est atteinte ou peut être atteinte d’une maladie transmissible ou est ou peut être contaminée par l’agent d’une maladie transmissible, de s’isoler et de rester isolée[20], s’il croit que :
- une maladie transmissible existe ou peut exister ou elle risque de se déclarer immédiatement dans la circonscription sanitaire qui est de son ressort;
- la maladie transmissible menace la santé des habitants de la circonscription sanitaire qui est de son ressort;
- les exigences mentionnées dans l’ordre s’imposent pour réduire ou éliminer le danger pour la santé que présente la maladie transmissible.
Une personne qui refuse d’obéir à un ordre donné en vertu de la présente Loi est coupable d’une infraction et passible d’une amende d’au plus 5 000$ pour chaque journée au cours de laquelle se commet ou se poursuit l’infraction[21].
Chaque province a une loi et des dispositions analogues à celle-ci. Pour citer quelques exemples :
- Nouveau Brunswick, Loi sur la santé publique[22] art 6(4).
- Nouvelle-Écosse, Health Protection Act[23], art 32.
- Alberta, Public Health Act[24], arts 29 à 36.
- Manitoba, The Public Health Act[25], arts 24 à 26.
Conclusion
Le confinement des voyageurs infectés ou pouvant être infectés n’est pas simple à cause des différents pouvoirs attribués aux différents paliers de gouvernement. Le rôle du gouvernement fédéral se limite aux voyageurs traversant la frontière. Quant aux provinces, elles ont des pouvoirs importants afin de protéger la santé publique des citoyens résidant sur leur territoire. Des mesures extrêmes pourraient être prises afin de stopper la propagation de la COVID-19 en limitant la libre-circulation des Canadiens. Les mesures ainsi prises par les gouvernements doivent toutefois respecter les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés en étant raisonnables et proportionnelles à la crise.
Finalement, il y a fort à parier qu’une fois la pandémie terminée, les gouvernements reverront certaines dispositions législatives afin de clarifier leurs pouvoirs en vue de la prochaine crise de santé publique.
À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.
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[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1662288/covid-19-ecole-ontario-relache
[2] https://www.ctvnews.ca/health/coronavirus/trudeau-says-parliament-will-resume-tuesday-to-pass-emergency-measures-1.4863268
[3] Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, art 91(11), reproduit dans LRC 1985, annexe II no 5.
[4] LC 2005, c 20, art 2 [LMQ].
[5] LMQ, art 5(2).
[6] LMQ, art 15(3).
[7] Voir Code criminel, LRC (1985), c C-46, art 2.
[8] LMQ, art 18.
[9] Ibid, art 68.
[10] Ibid, art 22(1).
[11] Ibid, art 26.
[12] Ibid, art 68.
[13] AH v Fraser Health Authority, 2019 BCSC 227 ; LMQ art 28(1).
[14] https://globalnews.ca/news/6704042/coronavirus-canada-enforced-self-isolation/
[15] LMQ, art 58(1).
[16] LMQ, art 58(1).
[17] Décret, art 2.
[18] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1681286/hajdu-ottawa-covid-criminel-quarantaine
[19] LRO 1990, c H.7 [LPPS].
[20] LPPS, art 22(4)c).
[21] LPPS, supra, arts 100–01.
[22] LN-B 1998, c P-22.4,
[23] SNS 2004, c 4.
[24] RSA 2000, c P-37
[25] CCSM, c P210.