Les drones au Canada : sur-vol de la réglementation, de l’innovation et des enjeux
20 avril 2020
Ma première interaction avec un drone était en Grèce. J’étais à Santorin pour une vacance avec ma copine et nous étions bien placés sur le bord d’une falaise pour un coucher de soleil tout à fait romantique. Quelques minutes avant que le soleil touche l’océan, nous entendions… bzzzzzzzz… directement au-dessus de nos têtes. Bon, quelqu’un a eu l’idée de capter le coucher de soleil avec son drone.
Il est possible que vous trouviez ceci agaçant, mais il est également possible que vous aimiez recevoir un drone comme cadeau à votre prochain anniversaire. Selon la recherche de Goldman Sachs, il est estimé que plus de 7,8 millions de drones seront livrés aux consommateurs à travers le monde en 2020. C’est-à-dire qu’il y aura potentiellement 7,8 millions de drones dans les airs de cette planète cette année. Les drones nous offrent une innovation intéressante quant à l’exploration terrestre, la photographie et cinématographie, le divertissement et même la livraison de marchandise. Par contre, comme toute innovation dans ses premières phases, son utilisation peut causer des problèmes inattendus. Prenons, par exemple, l’incident à l’aéroport Gatwick à Londres en 2018. Deux drones ont été aperçus près des pistes d’atterrissage, ce qui a causé la fermeture de l’aéroport pour une journée entière et l’annulation d’une centaine de vols.
Les drones constituent une importante étape dans l’innovation aérienne, mais entrainent également des défis à plusieurs niveaux. Alors, comment les réglementer? Le gouvernement fédéral du Canada, sous la plume du ministre des Transports Marc Garneau, a introduit de nouveaux règlements qui sont en vigueur depuis le 1er juin 2019.
Les détails
Les pilotes de drones sont assujettis au Règlement de l’aviation canadien (RAC), un règlement pris en vertu de la Loi sur l’aéronautique (1985). En vertu de celui-ci, tous les drones sont des « aéronefs télépilotés » et leurs contrôleurs sont des « pilotes ». Depuis le 1er juin 2019, les règlements suivants sont en vigueur partout au Canada de façon uniforme.
Transports Canada a créé deux catégories de pilotes de drones, soit les pilotes des opérations de base et des opérations avancées. De plus, Transports Canada traite brièvement des microdrones.
1) Opérations de base : Vous relevez de cette catégorie si vous n’allez jamais manœuvrer le drone au-dessus des passants (i.e. toute personne qui n’est pas directement liée à l’utilisation du drone), si vous voulez opérer le drone dans des airs non contrôlés et si vous opérez le drone à un minimum de 100 pieds des passants. Si vous ne répondez pas à une de ces conditions, vous vous retrouvez dans la catégorie d’opérations avancées. Voici les exigences propres à la catégorie d’opérations de base :
- Réussir l’examen « opérations de base ». C’est un examen informatisé de 35 questions à choix multiples à compléter en 90 minutes. Vous devez répondre correctement à au moins 65% des questions, sinon, vous devez attendre 24h pour passer l’examen à nouveau. Chaque reprise coûte 10$. Vous recevrez votre certificat immédiatement une fois l’examen réussi.
- Immatriculer votre drone auprès de Transports Canada avant de l’utiliser pour la première fois.
- Marquer votre drone avec ce numéro. Vous pouvez le faire de n’importe quelle façon – Transports Canada exige simplement que le numéro soit visible.
- Vous devrez toujours être en mesure de produire votre certificat, soit en format papier ou numérique, si on vous le demande.
2) Opérations avancées : Vous relevez cette catégorie si vous voulez opérer votre drone dans un espace aérien non contrôlé, au-dessus des passants ET à une distance horizontale de moins de 30 mètres des passants. Les règles à suivre dans cette catégorie sont les suivantes :
- Tous les règlements pour opérations de base cités ci-haut;
- Obtenir l’autorisation préalable de NAV CANADA pour opérer le drone dans un espace aérien contrôlé;
- Piloter en respectant les limites opérationnelles (du fabricant de drones)
3) Microdrones : Il n’y a pas de règlements spécifiques pour les drones pesant moins de 250 grammes. Par contre, Transport Canada indique qu’il ne faut jamais menacer la sécurité des personnes ou des aéronefs.
Alors, vous êtes maintenant pilote soit pour opérations de base ou opérations avancées. Quels sont les règlements à suivre lorsque vous opérez votre drone?
- S’assurer que le drone soit visible en tout temps et à moins de 400 pieds.
- Éloigner le drone des passants (30 mètres pour les opérations de base)
- Éloigner le drone des opérations d’urgence et événements annoncés (aucune distance précisée)
- Éloigner le drone des aéroports et héliports (5,6 km pour aéroports et 1,9 km pour héliports)
- Éloigner le drone très loin des aéronefs tels que les avions, hélicoptères et autres drones (aucune distance n’est précisée)
Quelles sont les sanctions en cas d’infraction au règlement?
- Jusqu’à 1 000 $ pour : vol sans certificat de pilote, drone non immatriculé, vol dans les lieux non autorisés
- Jusqu’à 3 000 $ si la sécurité des aéronefs ou de personnes est compromise
Il est important de noter que les règles résumées ci-haut s’appliquent aux drones pesants moins de 25 kilogrammes (55 lbs), ce qui représente la grande majorité des drones utilisés aux fins récréatives au Canada. Pour les drones plus lourds, il y a des règlements distincts et un permis spécial à obtenir auprès du ministre. Ceux-ci ne seront pas discutés en détail dans le présent billet.
Les drones entrainent plusieurs enjeux juridiques
Les enjeux juridiques ne se limitent pas à la réglementation décrite ci-dessus. Vous devez respecter toutes les autres lois qui pourraient avoir une incidence sur votre pilotage. Notamment, il y a plusieurs actes que les pilotes de drones pourraient commettre qui enfreignent certains articles du Code criminel, des lois portant sur les intrusions et même le voyeurisme. En fait, sur ce dernier point, la Cour suprême du Canada a très brièvement noté que les drones pourraient créer des problèmes quant à la protection de la vie privée. Dans l’affaire R c Jarvis, une décision portant sur l’infraction criminelle du voyeurisme, le juge en chef Wagner indique au para 40 que « l’utilisation d’un drone pour prendre des photos à haute définition de personnes qui se font bronzer autour d’une piscine publique alors qu’elles ne se doutent de rien » soulève des inquiétudes quant à la protection de la vie privée.
Il devient de plus en plus évident que les drones ont le potentiel de soulever des questions juridiques qui ne sont pas directement reliées à l’aéronautique. Par exemple, comment allons-nous traiter des instances de drones qui captent de façon involontaire des images révélant un nombre de plantes de marijuana au-delà de la limite permise chez un voisin? Les drones représentent maintenant une autre variable dans le droit criminel et civil – les professeurs et juristes s’en réjouissent!
Malgré les inquiétudes de délits civils et la protection de la vie privée, j’ai une certaine confiance que notre société n’utilisera pas ces appareils pour des fins illégitimes. Ainsi, je crois que la majorité des problèmes juridiques concernant les drones et leurs pilotes se retrouveront dans le domaine de l’aéronautique, plus précisément la préservation de la sécurité aérienne. Il n’y a présentement qu’une seule décision émanant des cours canadiennes concernant l’interprétation des règlements encadrant l’utilisation des drones.
En mars 2017, dans l’affaire R v Shah, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta se prononce sur l’interprétation de l’article 602.45 du Règlement de l’aviation canadien, pris en vertu de de la Loi sur l’aéronautique, lequel « interdit de faire voler un modèle réduit d’aéronef […] d’une manière qui constitue ou qui est susceptible de constituer un danger pour la sécurité aérienne ». Dans cette affaire, des policiers ont intercepté M. Shah alors qu’il pilotait son drone au-delà des arbres près du terrain d’atterrissage de l’aéroport de Calgary. Il n’y a pas de preuve concrète quant à l’altitude du drone et il ne semble pas avoir eu du trafic aérien lors de son pilotage. En première instance à la Cour provinciale, M. Shah est déclaré sommairement coupable en vertu de l’article 602.45 tout en avouant de manière candide son incertitude quant au fardeau de preuve de la Couronne pour une telle infraction. La Cour du Banc de la Reine a accueilli l’appel au motif que l’incertitude du juge du procès quant au fardeau de preuve a eu pour effet de vicier le verdict. M. Shah avait également soulevé en appel la question des éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 602.45. Les avocats des deux parties confirment qu’il n’y a pas de test établi dans la jurisprudence pour déterminer si un pilote a opéré son aéronef de manière qui est susceptible de constituer un danger pour la sécurité aérienne. Au final, la juge Antonio indique qu’il appartiendra au prochain juge de procès de déterminer le sens qu’il convient de donner à l’expression « susceptible de constituer un danger », car à son avis, le législateur voulait que ce critère demeure flexible. Donc, même si cette décision ne délimite pas les circonstances dans lesquelles un pilote opère son drone de manière susceptible à constituer un danger pour la sécurité aérienne, elle nous indique que cet article s’interprète de manière souple et adaptée aux circonstances particulières de chaque cause. Chose certaine, la sécurité des passagers et pilotes aériens doit toujours primer sur l’utilisation d’un drone à des fins récréatives ou commerciales.
Un domaine en pleine évolution
Comme tous règlements concernant un domaine en pleine évolution, certaines omissions de la part de Transports Canada semblent être intentionnelles. Par exemple, à quelle distance peut-on opérer un drone autour d’un avion ? Les règlements prévoient seulement qu’il convient de se tenir « très loin » des autres avions. Le gouverneur en conseil semble donc s’en remettre aux tribunaux pour en interpréter le sens précis.
De plus, peut-on utiliser un drone pour transporter des marchandises? C’est sans doute une question que les entreprises comme Amazon se posent. Les règlements s’appliquent tant aux personnes morales qu’aux individus, alors Transports Canada a certainement prévu la possibilité d’une utilisation commerciale des drones. Si je peux m’hasarder une réponse, je propose que le point de départ soit fixé en vertu de la limite de poids. Les règlements décrits ci-haut s’appliquent aux drones pesants moins de 25kg (environ 55 lbs). Pour les drones qui excèdent ce poids, le pilote doit obtenir un certificat d’opérations aériennes spécialisées. L’obtention de ce certificat est beaucoup plus onéreuse et les règlements sont nombreux et stricts. Par exemple, lors de la demande du certificat, le pilote doit présenter un plan détaillé de sécurité et d’examen des lieux dans lequel le drone sera mis en opération. Alors, en vue du cadre réglementaire, est-ce que l’utilisation des drones à des fins commerciales sera rentable pour les entreprises? Je crois que c’est Amazon qui nous donnera éventuellement la réponse. Présentement, la livraison de marchandise se fait déjà rapidement. Vaudrait-il la peine pour Dominos, par exemple, de subir des coûts additionnels (drone, pilotes, conformité) pour être en mesure de livrer une pizza 5 minutes plus rapidement sur le balcon d’un condo? J’aimerais bien cela, mais pour l’instant je ne suis pas optimiste. Or, si le coût total pour Dominos était moins cher pour une livraison par drone que pour une livraison par automobile, je crois qu’il y aura des pizzas volantes dans très peu de temps.
De façon générale, j’espère bientôt voir des drones dans les airs du Canada. Je vais éventuellement me procurer un drone, mais j’ai promis à ma copine que je ne l’amènerai pas dans mes valises lors d’un prochain voyage romantique. Suite à la lecture des nouveaux règlements et des commentaires du gouvernement, je crois qu’il y a assez de place pour l’innovation dans ce domaine au Canada. Si les principaux obstacles du coût et de l’adhésion par le public sont surmontés, il est vraisemblable que nous verrons des drones dans nos airs au quotidien.
À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.
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