Une autre victoire pour les enfants des Premières Nations

Une autre victoire pour les enfants des Premières Nations

Introduction 

 Le 1er février 2018 marque une nouvelle victoire importante pour les enfants et les familles des Premières Nations du Canada[1]. C’est en effet à cette date que le Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») rend sa quatrième décision dans l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien) en concluant que le gouvernement du Canada n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à son traitement discriminatoire envers les enfants de Premières Nations dans sa prestation de services de protection de l’enfance [2]. Le Tribunal rend également une série d’ordonnances spécifiques par rapport aux mesures que le gouvernement fédéral doit prendre afin de mettre fin à ce traitement discriminatoire et reste saisi de l’affaire. 

Le texte suivant offre un aperçu de cette décision. Il présente d’abord les évènements qui ont mené à la décision du 1er février 2018 et résume ses principales conclusions juridiques. Les ordonnances rendues par le Tribunal sont ensuite expliquées. 

 

Mise en contexte 

En 2007, l’Assemblée des Premières Nations du Canada et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada déposent une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (« Commission ») qui allègue, entre autres, que les services de protection de l’enfance offerts par le gouvernement du Canada aux enfants de Premières Nations sont discriminatoires[3]. Après de nombreuses tentatives infructueuses de la part du gouvernement du Canada (le « Canada ») de faire rejeter la plainte de façon préliminaire, l’audience débute enfin devant le Tribunal en février 2013. Après plus de 70 jours d’audience, le Tribunal rend sa décision sur le fond de la plainte le 26 janvier 2016. Dans sa décision, le Tribunal conclut que le gouvernement du Canada exerce une discrimination à l’encontre de plus de 165 000 enfants des Premières Nations[4]. Plus particulièrement, le Tribunal statue que les formules de financement des services de protection de l’enfance créent des incitations pour placer les enfants des Premières Nations en famille d’accueil et ne tient pas compte de leurs besoins réels ni de leurs circonstances distinctes. Selon le Tribunal, cela constitue une atteinte à la Loi canadienne sur les droits de la personne(« LCDP »). Le Tribunal ordonne donc au Canada d’agir immédiatement afin de cesser son traitement discriminatoire et, à plus long terme, d’effectuer une réforme complète de ses programmes de protection de l’enfance[5]. 

 

Les points importants de la décision du 1er février 2018  

Deux ans après la décision sur le fond de la plainte, le Canada ne respecte ni les ordonnances immédiates ni les ordonnances à long terme du Tribunal. Le 1er février 2018, le Tribunal rend donc une autre décision dans laquelle il reproche au Canada de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour atténuer les effets néfastes de sa conduite discriminatoire envers les enfants et les familles des Premières Nations. Il note que les fonds prévus dans le budget de 2016 du gouvernement fédéral pour les services de protection à l’enfance ont été calculés en 2015 et que les niveaux de financement n’ont pas été modifiés de façon à tenir compte de la décision du Tribunal sur le fond, rendue au début de 2016. 

Le Tribunal fait aussi allusion à la vieille mentalité qui règne au sein du gouvernement du Canada et se dit préoccupé du fait que les politiciens et les gestionnaires ne cessent de répéter les mêmes schémas de comportement alors que la discrimination continue[6]. Selon le Tribunal, les politiciens et les gestionnaires ne cessent de répéter les mêmes discours sans agir pour promouvoir l’intérêt supérieur des enfants[7].  Alors qu’il reconnaît l’importance des partenariats avec les provinces pour obtenir de l’information et des consultations avec les Premières Nations pour la réforme à plus long terme, le Tribunal estime que le Canada insiste trop sur ces préoccupations dans son plan d’action immédiat. Selon le Tribunal, la consultation et la collecte d’informations ne devraient pas empêcher le gouvernement de répondre aux besoins urgents des enfants des Premières Nations ou servir d’excuse pour justifier l’atteinte continue de la LCDP[8]. 

À la lumière de la conduite discriminatoire persistante du Canada, le Tribunal est d’avis que l’on ne peut confier au seul gouvernement le soin de mettre en œuvre ses ordonnances. Le Tribunal demeure donc saisi de l’affaire afin de s’assurer que ses ordonnances soient respectées et de rendre d’autres ordonnances s’il y a lieu. Le Tribunal ordonne aussi au Canada de préparer et présenter des rapports détaillés précisant les mesures prises pour respecter les ordonnances du Tribunal.[9] 

 

Ordonnances du Tribunal envers le gouvernement fédéral canadien[10] 

 Le Tribunal rend les ordonnances suivantes dans sa décision du 1er février 2018 : 

  • Avant le 2 avril 2018, le Canada doit élaborer et mettre en œuvre une formule de financement des agences de protection d’enfance calculée sur leur coût réel et qui tient compte des distances de déplacement, des ratios de cas, de l’éloignement, des lacunes ou du manque de services à proximité, ainsi que de toutes les circonstances particulières, auxquelles elles peuvent être confrontées ; 
  • Avant le 2 avril 2018, le Canada doit financer intégralement le coût réel des agences à partir de janvier 2016 ; 
  • Le Canada doit produire un rapport au sujet des besoins des agences de protection d’enfance de petite taille et des coûts de leurs besoins réels et le soumettre au Tribunal avant le 3 mai 2018 ; 
  • Le Canada doit élaborer une méthode de financement des agences de petite taille selon leurs besoins réels ; 
  • Le Canada doit fournir une méthodologie fiable de collecte des données, d’analyse et de rapport ainsi que des lignes directrices relatives à l’éthique de la recherche concernant les peuples autochtones et ce, afin d’orienter le processus de collecte des données résultant de toutes les ordonnances portant sur les couts réels dans la présente décision ; 
  • D’ici au 15 février 2018, le Canada doit cesser sa pratique de réaffectation de fonds destinés à d’autres programmes sociaux pour les Premières Nations, si cela a pour effet de retirer des enfants de leurs familles et leurs communautés ; 
  • D’ici au 2 avril 2018, le Canada doit analyser tous ses programmes qui financent la santé mentale chez les Premières Nations dans les réserves et au Yukon afin d’en identifier les lacunes ; 
  • Le Canada doit financer les coûts réels des services de santé mentale aux enfants et aux jeunes des Premières Nations en Ontario rétroactivement au 26 janvier 2016, et ce, d’ici le 15 février 2018 ; 
  • Le Canada doit financer les services représentatifs des bandes pour les Premières Nations de l’Ontario, au coût réel de la prestation de ces services rétroactivement au 26 janvier 2016 et au plus tard le 15 février 2018 et jusqu’à ce que les études soient terminées ou jusqu’à ce qu’une autre ordonnance du Tribunal soit prononcée ; 
  • Le Canada doit identifier les agences de protection d’enfance des Premières Nations qui ont des déficits et doit évaluer ces déficits et faire rapport au Tribunal avant le 3 mai 2018 ; 
  • D’ici au 15 mars 2018, le Canada doit communiquer clairement aux agences de protection d’enfance toutes les mesures de réparations immédiates ordonnées ; 
  • D’ici au 15 février 2018, le Canada doit conclure un protocole sur la tenue de consultation avec l’Assemblée des Premières Nations, la Société de soutien, les Chefs de l’Ontario, la Nation Nishnawbe Aski et la Commission qui vise à assurer que des consultations soient menées d’une manière conforme à l’honneur de la Couronne et pour éliminer la discrimination envers les enfants des Premières Nations ; 
  • D’ici au 24 mai 2018, le Canada doit déposer un rapport détaillé qui explique les mesures prises pour se conformer à chacune des ordonnances de la décision ; 
  • Le Tribunal demeure saisi du dossier pour s’assurer que les ordonnances soient mises en œuvre et il précisera ou clarifiera ses ordonnances, s’il y a lieu jusqu’au 10 décembre 2018. Le Tribunal réexaminera à ce moment-là la nécessité de conserver sa compétence au-delà de cette date. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

  

 

[1] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, « Une autre grande victoire pour les enfants : Décision du Tribunal canadien des droits de la personne sur la protection de l’enfance des Premières Nations » (février 2018) Être témoin – Feuillets d’information, en ligne : <https://fncaringsociety.com/fr/être-témoin-feuillets-dinformation>. 

[2] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2018 TCDP 4. 

[3] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, « Plainte de droits de la personne de l’Assemblée des Premières Nations du Canada et de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada » (février 2007) en ligne : <https://fncaringsociety.com/sites/default/files/Caring%20Society_AFN%20HR%20complaint%202007.pdf>. 

[4] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2. 

[5] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, communiqué, « Le Canada ne saisit pas « l’urgence » en matière de protection de l’enfance des Premières Nations : le Tribunal canadien des droits de la personne juge que le gouvernement fédéral ne se conforme pas aux ordonnances émises pour remédier la situation » (1er février 2018), en ligne : <https://fncaringsociety.com/fr/nouvelles>. 

[6] Supra, note 2 au para 154. 

[7] Supra, note 2 au para 300. 

[8] Ibid. 

[9] Ibid. 

[10] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, « Protection de l’enfance des Premières Nations : Résumé des ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne »(février 2018),Être témoin – Feuillets d’information(blogue), en ligne : <https://fncaringsociety.com/fr/être-témoin-feuillets-dinformation>.