Rempel & Cuthill à la Cour d’appel de l’Alberta: La modernisation des règles qui régissent les communications électroniques et le rôle des instructions W(D)
26 avril 2018
En décembre 2017, la Cour suprême a rendu une décision importante qui clarifie certains concepts juridiques concernant l’article 8 de la Charte : R c Marakah. L’arrêt Marakah a notamment établi que des messages textes existants saisis en vertu d’une ordonnance de communication ne sont pas considérés comme étant interceptés. À la lumière de Marakah, l’utilisation de ces messages textes comme preuve n’enfreint pas les droits d’un accusé garantis par la Charte. Dans Marakah, la preuve contenait des messages textes saisis au moyen d’une ordonnance de communication, et non avec un mandat.
Le 13 février 2018, la Cour d’appel de l’Alberta a entendu trois appels qui ont exploré l’application des principes établis dans Marakah. La Cour a entendu les appels des trois coaccusés, Timothy Rempel (« Tim »), son frère Wilhelm Rempel (« Wil ») et l’épouse de Tim, Sheena Cuthill (« Sheena »), qui ont été déclarés coupables par un jury de meurtre au premier degré et de l’enlèvement de Ryan Lane. Le procureur de la couronne s’est fié aux messages textes entre les trois accusés afin d’appuyer ces condamnations. Comme dans Marakah, l’historique des messages était saisi avec une ordonnance de communication. Ces appels soulèvent deux questions de droit intéressantes : 1) l’admissibilité de l’historique des messages textes saisi par la police entre les conjoints; et 2) le rôle des instructions W(D) pendant l’exposé au jury lorsqu’il y a des coaccusés.
Sheena a présenté trois questions en litige devant la Cour d’appel. La question la plus importante concernait l’interaction entre les messages textes utilisés comme preuve contre l’accusé et la doctrine du privilège des communications entre conjoints. En première instance, la Couronne s’est fiée aux messages textes échangés entre Sheena et son mari, Tim, afin d’établir la participation de Sheena à l’enlèvement et au meurtre de Ryan Lane. Les messages textes ont été obtenus en vertu d’une ordonnance de communication signifiée à TELUS Communications. Devant la Cour, Sheena a maintenu que ces messages devraient être exclus de la preuve en vertu du privilège des communications entre conjoints.
Sheena a commencé son argument en établissant la nature du privilège de communication entre conjoints. Plus précisément, elle a souligné que le privilège peut s’appliquer lors d’un contexte hors témoignage. Elle a soutenu que le privilège peut protéger les communications faites par messages textes. Selon elle, une interprétation du privilège de communication entre conjoints qui ne protège pas les messages textes serait une interprétation erronée du droit. D’après elle, il faut reconnaître que la réalité technologique moderne doit s’appliquer aux droits de l’accusé.
Pour ces raisons, Sheena a invité la Cour à étendre la portée du privilège des conjoints afin d’inclure les messages textes historiques obtenus en vertu d’une ordonnance de communication. Selon nos observations, les juges de la Cour d’appel semblaient préoccupés durant l’audience par les arguments invoqués par Sheena. En particulier, ils s’inquiétaient qu’un élargissement du droit du privilège puisse inclure d’autres formes de communications historiques dont la confidentialité est contestable. En faisant référence à l’arrêt Marakah, la Cour n’était pas convaincue que Sheena avait des attentes raisonnables en matière de protection de sa vie privée dans ses messages textes. La Cour n’a pas encore rendu sa décision sur cette question. Selon nous, il est très probable que la Cour rejette les arguments de l’appelant.
Le procureur de la Couronne a affirmé qu’il n’y a pas de lacune en « common law » en ce qui concerne les communications privilégiées entre conjoints. En effet, l’interaction entre l’article 4(3) de la Loi sur la preuve du Canada et la partie VI du Code criminel répond à la situation de fait qui sous-tend l’appel. Le procureur de la Couronne a maintenu que la Cour n’a pas la compétence de créer de nouveaux principes de « common law », car ce rôle appartient à l’Assemblée législative. Le procureur de la Couronne a soutenu que l’article 4(3) s’applique plutôt lorsque le destinataire des communications ne peut pas être obligé à divulguer la communication si elle est faite entre conjoints. Selon l’article 4(3), les conjoints ne peuvent pas être forcés à divulguer leurs communications faites durant le mariage, spécifiquement dans le contexte du témoignage. Le procureur de la Couronne soutient que rien dans l’article 4(3) ne sous-entend que le privilège soit attaché à la communication elle-même. Dans ce cas-ci, les messages textes entre Sheena et Tim ont été obtenus légalement au moyen d’une ordonnance de communication.
Aux termes de l’article 189(6) du Code criminel, tout renseignement obtenu par une interception n’est pas admissible en preuve sans le consentement de la personne jouissant de l’exemption. Le procureur de la Couronne soutenait que la partie VI du Code criminel ne s’applique pas aux messages textes préexistants. Dans ce cas, les policiers n’ont pas intercepté les messages textes. Donc, cet argument ne relève pas de la partie VI.
L’appelant Wil a aussi soulevé une question de droit intéressante : il a soutenu que le juge avait erré en omettant de donner une instruction W(D) au jury concernant les déclarations extrajudiciaires déposées par le procureur de la Couronne. Une instruction W(D) sert à s’assurer que le jury se concentre sur le principe du doute raisonnable et alerte le jury de la possibilité d’une erreur de crédibilité. Donc, si la crédibilité d’un accusé est importante lors d’un procès, le juge doit dire au jury que la règle du doute raisonnable s’applique à cette question. La seule instruction au jury par rapport à Wil était qu’il ait droit au silence. D’après Wil, l’absence de cette instruction a eu un effet considérable sur les délibérations du jury.
Selon le procureur de la Couronne, il est clair que le jury a été instruit par le juge de fonder son verdict en tenant compte de la totalité de la preuve. Il n’était pas nécessaire, ou exigé que l’instruction W(D) soit répétée pour les déclarations de Wil. Le procureur de la Couronne avance qu’il aurait été préférable d’inclure un autre rappel par rapport au doute raisonnable, mais que son absence n’aurait pas eu d’effet considérable sur le résultat.
Nous attendons avec impatience la décision de la Cour d’appel de l’Alberta à l’issue de ces appels qui aura sans doute une incidence sur le droit pénal canadien. Les questions en litiges entourant l’admissibilité des communications textes entre conjoints sont particulièrement intéressantes.
À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.
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