La Cour suprême du Canada confirme que l’aménagement d’un centre de ski sur le territoire d’une Première Nation ne viole aucun droit constitutionnel ou ancestral

La Cour suprême du Canada confirme que l’aménagement d’un centre de ski sur le territoire d’une Première Nation ne viole aucun droit constitutionnel ou ancestral

Dans l’affaire Ktunaxa Nation[1], la Cour suprême du Canada se prononce sur les enjeux constitutionnels et administratifs découlant de l’approbation par l’État d’un projet affectant les croyances religieuses d’une Première Nation. Elle circonscrit également la protection de la liberté de religion et le devoir de la Couronne de consulter et d’accommoder les revendications des Premières Nations. 

 

Survol des faits  

Les Ktunaxa forment une Première Nation dont le territoire traditionnel comprend une région de la Colombie-Britannique qu’ils appellent le Qat’muk. Le Qat’muk est un lieu qui a une importance spirituelle et religieuse pour les Ktunaxa car il abrite l’Esprit de l’Ours Grizzly. Glacier Resorts a demandé au ministre d’approuver l’installation permanente d’un centre de ski dans cette région. 

Les Ktunaxa ont été consultés à toutes les étapes du processus d’approbation règlementaire. Ils semblaient initialement disposés à accepter certaines formes d’accommodement. En outre, des changements avaient été apportés au projet pour répondre à leurs préoccupations. Toutefois, les Ktunaxa ont finalement demandé le rejet du projet au motif qu’une installation permanente chasserait l’Esprit de l’Ours Grizzly du Qat’muk. Malgré cela, le ministre a approuvé le projet ce qui a poussé les Ktunaxa à entamer une procédure de contrôle judiciaire pour faire annuler cette approbation. 

Les Ktunaxa ont fait valoir que l’approbation par le ministre de l’aménagement d’une station de ski sur leur territoire traditionnel portait atteinte à leur droit constitutionnel à la liberté de conscience et de religion protégé par l’aliéna 2a) de la Charte[2] ainsi qu’à leurs droits ancestraux protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[3]. 

 

Analyse juridique 

Revendication sur le droit à la liberté de religion 

Les Ktunaxa ont prétendu que l’approbation du projet porterait atteinte à leur liberté de conscience et de religion garantie par l’alinéa 2a) de la Charte puisqu’un aménagement permanent chasserait l’Esprit de l’Ours Grizzly qui se trouve être au cœur de leurs pratiques et croyances religieuses. Selon eux, le départ de cet Esprit de la région du Qat’muk aurait pour conséquence d’éliminer le fondement de leurs croyances et de rendre inutiles leurs pratiques. Les Ktunaxa ont donc principalement revendiqué une protection absolue à l’égard du Qat’muk ainsi qu’à l’égard de la présence de l’Esprit de l’Ours Grizzly lui-même. 

La Cour suprême a statué que ces revendications ne relèvent pas de l’alinéa 2a) de la Charte. Cette protection constitutionnelle se limite à la liberté d’une personne d’avoir des croyances et de les manifester. En l’espèce, la décision du ministre ne portait pas atteinte à la liberté des Ktunaxa de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly ni à leur liberté de manifester cette croyance. L’aliéna 2a) de la Charte n’impose pas au ministre le devoir d’assurer l’objet des croyances, tel que la présence de l’Esprit de l’Ours Grizzly dans le Qat’muk. La Cour suprême a refusé d’étendre ainsi la protection prévue à l’alinéa 2a) puisque cela exposerait les croyances intimes profondes au contrôle des tribunaux. 

Revendication sur les droits ancestraux  

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 offre des garanties importantes aux Premières nations. En plus de protéger les droits issus des traités et les droits ancestraux déjà établis, cet article protège les droits éventuels inhérents aux revendications autochtones qui n’ont pas encore été formellement établis. L’article 35 impose à la Couronne un devoir de consulter les Premières Nations et de prendre en compte leurs intérêts en attendant qu’il soit statué sur ces revendications. 

Dès le début du processus d’approbation règlementaire du projet, la Couronne a consulté les Ktunaxa pour tenir compte de leurs revendications et préoccupations. Cette consultation initiale a mené à certaines modifications du projet pour mieux protéger les intérêts des Ktunaxa, mais ceux-ci sont demeurés insatisfaits. Malgré les efforts constants de négociation déployés par la Couronne tout au long du processus de consultation, les Ktunaxa ont adopté une position inflexible en exigeant le rejet complet du projet. 

En fin de compte, les Ktunaxa ont estimé qu’il était impossible d’arriver à un compromis parce que toute installation permanente chasserait l’Esprit de l’Ours Grizzly du Qat’muk. Étant donné l’impossibilité d’accommoder, le ministre a déclaré que la Couronne s’était acquittée de ses obligations de consultation et d’accommodement prévues à l’article 35 et a donc approuvé le projet d’aménagement. 

Révision administrative de la décision du ministre 

Les Ktunaxa ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre selon laquelle les consultations menées et les mesures d’accommodement prises étaient adéquates. La norme de contrôle d’une décision mettant en cause l’article 35 est celle de la décision raisonnable. Il convient donc de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du ministre. 

La majorité de la Cour suprême a statué que la décision du ministre était raisonnable. Le ministre a pris en compte tous les éléments fondamentaux du processus de consultation et d’accommodement y compris l’effet préjudiciable du projet sur les intérêts des Ktunaxa. Les revendications spirituelles des Ktunaxa ont été reconnues dès le début du processus de consultation. Les négociations se sont échelonnées pendant deux décennies et la Couronne tenait toujours compte de la pratique et des intérêts des Ktunaxa en proposant plusieurs moyens raisonnables d’accommodement. 

Selon la Cour suprême, la nouvelle position ferme des Ktunaxa selon laquelle aucun accommodement n’était possible a essentiellement mis fin au processus de consultation en vertu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le ministre pouvait donc légitimement accepter que le projet d’aménagement aille de l’avant malgré l’objection des Ktunaxa. La Cour suprême a ainsi confirmé que dans le cas de revendications non établies, la protection de l’art. 35 se limite à garantir un processus, mais non un résultat précis. Autrement dit, l’art. 35 ne confère pas un droit de véto aux demandeurs insatisfaits. 

La minorité de la Cour suprême a plutôt appliqué le cadre d’analyse de l’arrêt Doré c Barreau du Québec[4] selon lequel le ministre doit exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde la loi en conformité avec les protections conférées par la Charte aux Ktunaxa. La minorité a conclu que la décision du ministre était raisonnable puisqu’elle mettait effectivement en balance les intérêts des Ktunaxa et les objectifs de la loi. 

 

Conclusion
La Cour suprême a rejeté le pourvoi des Ktunaxa. Ce jugement réaffirme ainsi les limites des protections constitutionnelles prévues à l’al. 2a) de la Charte et à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il permet aussi de circonscrire le rôle que peut jouer la protection des croyances et pratiques religieuses dans l’atteinte d’une réconciliation entre les peuples autochtones et les communautés non autochtones. 

[1] Ktunaxa Nation c Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54.
[2] Charte canadienne des droits et libertés, art 2(a), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[3] Loi constitutionnelle de 1982, art 35, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[4] Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 RCS 395 

 

 

Biographie:
 

  • Guy est un associé au bureau de Gowling WLG à Ottawa. Sa pratique est axée sur les domaines du droit constitutionnel et administratif, du droit autochtone, droit des marques de commerce et du droit d’auteur, du droit fiscal et du litige général. 
  • Rebecca Porter est avocate chez Gowling WLG à Ottawa. Rebecca a obtenu son diplôme de common law en français à l’Université d’Ottawa. Elle a également travaillé à titre de conseillère juridique à la Clinique juridique communautaire de l’Université d’Ottawa et elle a participé activement au Programme de mentorat en droit auprès des femmes de l’Université d’Ottawa. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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