Le régime canadien des accords de réparation à la lumière du modèle britannique
22 août 2019
Cet article de blogue vous en apprendra davantage sur le nouveau régime des accords de réparation offerts aux entreprises ayant commis des actes criminels depuis les événements concernant l’affaire SNC-Lavallin.
Les dispositions du Code criminel concernant le régime des accords de réparation offert aux entreprises ayant commis des actes criminels ont été mises en lumière dans la foulée de l’affaire SNC-Lavalin. Cependant, connaissez-vous bien ce nouveau régime ? Cet article examinera ces nouvelles dispositions afin que vous puissiez mieux savoir de quoi il s’agit. Par la suite, l’article fera une comparaison avec le régime au Royaume-Uni afin de voir comment ces accords fonctionnent en pratique à la lumière de l’affaire Rolls-Royce1.
À quoi servent les accords de réparation ?
Les accords de réparation prévus à la partie XXII.1 du Code criminel2 ont pour but :
- de favoriser le respect de la loi en obligeant les organisations à mettre en place des mesures afin de prévenir la perpétration de nouveaux crimes dans le futur ;
- d’encourager les entreprises à divulguer volontairement les crimes commis par des individus au sein de l’entreprise ;
- de fournir une réparation pour les victimes ;
- de réduire les conséquences du crime pour les personnes au sein de l’entreprise qui n’ont pas participé aux actes criminels.
Quelles sont les conditions préalables pour négocier un accord de réparation ?
Le poursuivant doit se poser les questions suivantes afin d’entamer la négociation de l’accord :
- Existe-t-il une perspective raisonnable que l’accusé soit condamné pour l’infraction dont il est accusé ?
- Y a-t-il des risques pour l’intégrité physique d’une personne ou la sécurité nationale ?
- L’infraction a-t-elle été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou terroriste ?
- Est-il dans l’intérêt public de négocier l’accord ?
Le critère de l’intérêt public doit être évalué au moment de l’approbation de l’accord par la Cour supérieure. Le paragraphe 715.32 (2) énonce huit facteurs non exhaustifs que le procureur doit prendre en considération pour évaluer l’intérêt public. Cependant, il est intéressant de soulever, surtout dans le cas de l’affaire SNC-Lavalin que le paragraphe 715.32 (3) interdit au procureur de prendre en considération l’intérêt économique national, les relations entre les États et l’identité de l’organisation ou des individus en cause lorsqu’il évalue l’intérêt public dans le cas d’une infraction commise en vertu des articles 3 ou 4 de Loi sur la corruption d’agents publics étrangers3 (ci-après La Loi).
Quels éléments doit contenir un accord de réparation ?
L’article 715.34 prévoit 16 éléments qu’un accord de réparation doit contenir. Ces éléments sont très similaires à ceux que doivent contenir les accords de poursuites suspendus au Royaume-Uni. L’entente doit, entre autres, contenir :
- une clause dans laquelle l’entreprise s’engage à collaborer à l’enquête et aux poursuites concernant les crimes commis au Canada ou à l’étranger.
- une clause dans laquelle l’entreprise s’engage à faire rapport auprès de la poursuite en ce qui concerne la mise en oeuvre de l’accord.
- une clause par laquelle l’entreprise reconnait que le non-respect des conditions peut mener à la résiliation de l’accord et à une reprise des poursuites.
- une clause prévoyant le délai dans lequel l’entreprise doit se conformer aux conditions.
L’approbation de l’accord par un tribunal et les facteurs Rolls-Royce
Une fois que l’accord a été conclu, le procureur doit le faire entériner par une Cour supérieure de juridiction criminelle. Pour approuver l’accord, le paragraphe 715.37 (6) prévoit que le tribunal doit s’assurer que l’entreprise fait l’objet d’accusation pour les infractions visées par l’accord, que l’accord est dans l’intérêt public et que les conditions de l’accord sont équitables, raisonnables et proportionnelles à la gravité de l’infraction. Étant donné qu’à ce jour, aucun accord de réparation n’a fait l’objet d’une approbation de la part d’un tribunal, nous ne savons pas quels sont les facteurs que les tribunaux canadiens prendront en considération pour déterminer s’il est dans l’intérêt public d’approuver l’accord et que ses conditions sont équitables, raisonnables et proportionnelles à la gravité de l’infraction. Par conséquent, examinons les facteurs énoncés par la jurisprudence au Royaume-Uni dans l’affaire Rolls-Royce.
Dans cette cause, Rolls-Royce était accusé entre autres d’avoir commis divers crimes financiers, dont des ententes en vue de percevoir des paiements frauduleux et le versement de pot-de-vin par des intermédiaires. La Cour du Banc de la Reine a alors pris en compte six facteurs pour évaluer l’intérêt public. Comme le fait remarquer la Cour, les facteurs d’intérêt public doivent être prépondérants par rapport à ceux en faveur d’une poursuite des accusations. Ces six facteurs sont :
- la gravité des infractions commises ;
- la divulgation volontaire des infractions commises par ses dirigeants ou anciens dirigeants et la collaboration à l’enquête ;
- l’historique de conduites similaires ;
- le respect par les employés et les dirigeants envers les normes d’éthiques de l’entreprise avant, au moment et après les infractions commises ;
- le changement dans la culture organisationnelle de l’entreprise ;
- l’impact d’une poursuite sur les employés et les autres parties innocentes.
La Cour a approuvé l’accord. La collaboration de l’entreprise à l’enquête et sa divulgation d’éléments importants pour celle-ci, la mise en place de mesures pour assurer le respect du code déontologie et la nomination d’un vérificateur pour évaluer les normes en matière d’éthique et de conformité instaurée par l’entreprise, le changement de la culture organisationnelle et des membres du conseil d’administration ainsi que l’impact dévastateur qu’aurait une poursuite sur la vitalité économique de l’entreprise et du Royaume-Uni sont tous des facteurs qui supplantent la gravité des infractions.
Le facteur de l’intérêt économique national dans le cas d’une poursuite
Dans le cas du régime canadien, il est possible de se demander si l’impact d’une poursuite sur les employés ou les autres parties innocentes serait pris en considération. Dans l’hypothèse où le tribunal prendrait en considération les mêmes facteurs que ceux dont le procureur doit considérer alors il serait écarté. Cependant, le juge dans l’affaire Rolls-Royce mentionne que le facteur économique ne doit pas à lui seul permettre de faire pencher la balance en faveur de l’intérêt public et ainsi justifier l’approbation de l’accord4. Par conséquent, même si le facteur économique n’était pas pris en considération, il est quand même possible que le tribunal arrive à la conclusion qu’il était dans l’intérêt public de conclure un accord. Après tout, il est dans l’intérêt public et dans l’intérêt des victimes que l’entreprise collabore à l’enquête concernant les crimes commis par ses dirigeants ou ses employés.
En bref, le régime canadien des accords de réparation ressemble à celui adopté au Royaume-Uni. Cependant, l’interdiction de prendre en considération l’intérêt économique national lors de l’évaluation du critère de l’intérêt public dans le cas d’une infraction commise en vertu de la Loi est quelque chose d’unique au régime canadien.
Pour en savoir davantage sur le pouvoir discrétionnaire d’intenter une poursuite, vous pouvez consulter le Guide du Service des poursuites pénales du Canada qui se trouve sur le site Jurisource.ca.
1 SFO v Rolls-Royce plc & anor, [2017] case no U201700336.
2 Code criminel, LRC 1985, c C-46, PARTIE XXII.1, art 715.30 à 715.43.
3 Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, LC 1998, c 34.