Cache-cache : mais où est donc la porte d’accès au crédit d’impôt pour personnes handicapées ?

Cache-cache : mais où est donc la porte d’accès au crédit d’impôt pour personnes handicapées ?

Le crédit d’impôt pour personnes handicapées sous sa forme actuelle a été instauré en 1988. Maintenant que nous nous retrouvons en 2018, il semblerait que les trente dernières années n’ont fait que compliquer les conditions d’octroi du crédit d’impôt. Bizarrement, plusieurs personnes handicapées sont maintenant inadmissibles à l’obtention du crédit, alors qu’elles l’étaient auparavant. 

 

Parfois l’on se demande si le législateur a réellement l’intention d’aider le contribuable vulnérable à se débrouiller au travers ses politiques fiscales. Il a pourtant adopté quelques dispositions dans la Loi de l’impôt sur le revenu à l’effet d’octroyer des crédits d’impôt à divers groupes, notamment pour les frais de scolarité et le montant pour âge. Instauré en 1988, le crédit d’impôt non remboursable pour personnes handicapées vise à alléger le fardeau fiscal que doit soutenir une personne avec un handicap et ses aidants, étant donné les frais médicaux devant être déboursés[1]. 

 

À première vue, le législateur semble octroyer un avantage à ce groupe particulier, de manière à être équitable sur le plan fiscal. Cependant, sur le plan pratique, le crédit d’impôt ne semble pas atteindre son objectif. Les conditions d’octroi sont tellement strictes que plusieurs préfèrent renoncer à la possibilité de réclamer le crédit. Quoique cette initiative soit justifiée sur le plan de politique publique, elle demeure largement critiquée et ne fait que continuer de susciter des critiques. 

 

Tout récemment, un article publié dans le Global News Toronto atteste que seulement 40 % des 1.8 million de canadiens avec des handicaps sérieux prennent avantage du crédit d’impôt pour personnes handicapées[2]. Un groupe dénommé University of Calgary’s School of Public Policy a avancé que les conditions d’octroi constituent la raison principale pour ce taux de participation si bas[3]. D’ailleurs, le crédit d’impôt pour personnes handicapées constitue la porte d’accès à d’autres avantages, parmi lesquels figurent la prestation pour enfants handicapés[4], ainsi que le régime enregistré d’épargne-invalidité[5]. Ainsi, un particulier jugé inadmissible tente de perdre davantage des bénéfices associés à son handicap. 

 

La Loi de l’impôt sur le revenu aborde la question du crédit pour personnes handicapées au paragraphe 118.3(1)[6]. Elle établit une panoplie de conditions que le contribuable associé à la réclamation du crédit d’impôt[7] doit remplir pour y avoir accès :  tout d’abord il doit présenter une déficience grave (physique ou mentale), ayant comme effet de l’empêcher d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne sans avoir recours à des soins thérapeutiques[8]. Ces soins doivent être donnés pour « une durée totale moyenne d’au moins 14 heures par semaine »[9]. 

 

En employant le terme « moyenne » dans la loi, le législateur crée déjà une incertitude vis-à-vis du nombre d’heures consacrées aux soins, menant à l’admissibilité d’un contribuable. S’agit-il d’une moyenne répartie sur une période de 6 mois, 12 mois, ou 18 mois ? Qu’arrive-t-il si les soins sont prodigués à des intervalles irréguliers ? Les lois fiscales sont d’une complexité considérable, d’autant plus qu’elles demeurent abstraites et incompréhensibles pour plusieurs des particuliers non avertis. Par conséquent, leur interprétation peut varier d’une personne à l’autre (incluant les médecins appelés à poser des diagnostics, de même que les agents responsables d’établir l’admissibilité du contribuable)[10], ce qui implique qu’un individu ayant un handicap pourrait être admissible pour une certaine période, et perdre ce statut quelque temps après. Cela a été le cas pour plusieurs diabétiques (type 1) qui se sont retrouvés inadmissibles à ce crédit alors qu’il leur était facile de l’obtenir auparavant[11]. 

 

D’autre part, en ce qui a trait aux fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a affirmé que l’individu doit être incapable ou doit prendre un temps excessif pour accomplir une activité de la vie courante, et que cela doit toujours être le cas, ou presque toujours (au moins 90 % du temps)[12]. D’où provient ce nombre ? Ne semble-t-il pas arbitraire ? Dans un rapport présenté à l’ARC en 2014, la Schizophrenia Society of Ontario a souligné que cette condition ne coïncide pas avec la nature réelle de certaines déficiences mentales ; en règle générale, les symptômes sont temporaires et épisodiques, et se manifestent à différents niveaux d’intensité et pour des durées variant d’un individu à l’autre[13]. Le législateur a tenté d’établir une série de critères objectifs pour déterminer dans quelle mesure un contribuable aurait droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Cependant, les conditions d’octroi doivent avoir à la fois des éléments objectifs et subjectifs. Sinon, plusieurs contribuables admissibles se verront dépourvus de crédit d’impôt pouvant contrebalancer leurs dépenses médicales élevées. 

 

D’ailleurs, la Loi de l’impôt sur le revenuexclut l’interruption de toute activité qui n’est pas « courante et habituelle »[14] dans le calcul du temps consacré aux soins thérapeutiques, de même que le temps passé à suivre un régime, un programme d’exercices, un déplacement, un rendez-vous médical, et même la récupération après les soins[15]. Comme le souligne Autisme Canada, il semble que ces restrictions aient pour effet de créer des iniquités procédurales fondamentales à l’octroi du crédit d’impôt[16]. Certains handicaps requièrent des déplacements réguliers, et parfois pour de longues durées. Les soins prodigués nécessitent à leur tour des périodes de récupération, s’avérant cruciales quant au contrôle ou l’amélioration du handicap. Pourquoi le législateur imposerait‑il des conditions si strictes ? 

 

En élaborant les dispositions de la loi, le législateur veut sans doute éviter qu’un contribuable soit en mesure d’en abuser. Ainsi, il se voit probablement obligé d’imposer des conditions strictes afin de minimiser les instances où la loi sera appliquée contrairement à l’objectif sur lequel elle est fondée. Malheureusement, dans le contexte des handicaps, les répercussions sont sérieuses et vont à l’encontre même de la politique voulant faciliter l’accès et établir un juste équilibre, du moins dans la mesure du possible, entre les contribuables ayant un handicap avec ceux qui n’en ont pas. 

 

Plusieurs se sentent découragés, comme Rachel Martens[17], une préposée aux soins à Calgary. Son fils de 11 ans, souffrant d’une anomalie chromosomique rare, a obtenu son admissibilité au crédit d’impôt. Cependant, sa sœur, ayant reçu un diagnostic de douleur chronique appelée névralgie faciale, attend une réponse de l’ARC depuis 2015. L’agence lui a envoyé une lettre en 2017, l’avisant que son cas nécessiterait une évaluation plus approfondie. Depuis lors, elle n’a reçu aucunes nouvelles et n’a pas pu communiquer avec l’ARC à ce sujet. Il s’agit d’une maladie à complications extrêmement graves, pouvant mener à une diminution importante de la qualité de vie si elle demeure non traitée[18]. Quoique l’ARC reçoive une multitude de réclamations afin d’obtenir le crédit d’impôt pour personnes handicapées, plusieurs contribuables dépendent de ce crédit, surtout lorsqu’ils déboursent des dizaines de milliers de dollars pour recevoir des traitements dont leur survie dépend. 

 

Il est vrai que le gouvernement libéral a rétabli le Comité consultatif des personnes handicapées le 23 novembre 2017[19]. Néanmoins, les conditions d’octroi du crédit d’impôt pour personnes handicapées devront être révisées. En fin de compte, si la porte d’accès est introuvable, comment vient-on en aide aux personnes vivant avec des handicaps ? Est-on réellement en mesure d’établir un système équitable ? Si l’accès au crédit est limité au point de dissuader les contribuables de le réclamer, pourquoi le législateur ne change-t-il pas les conditions d’octroi ? Maintenant qu’il est restauré, on espère que le Comité sera en mesure d’inciter le législateur à mener des réformes ambitieuses afin que les personnes handicapées puissent se prévaloir plus facilement de ce crédit d’impôt. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

  

[1] Agence du revenu du Canada, Crédit d’impôt pour personnes handicapées, 3 janvier 2018, en ligne : <www.canada.ca/> ; Voir par contre Ministère des Finances, « Crédit pour personnes handicapées : Évaluation de l’expérience récente » (juin 1992) à la p 4, en ligne :<http://publications.gc.ca> : « La déduction pour handicapés remonte pour sa part à 1944, année où a été instaurée une déduction spéciale pour les aveugles ». 

[2] Erica Alini, « The CRA makes it so hard to get the disability tax credit, many don’t even try » (12 février 2018), Global News, en ligne: <https://globalnews.ca/news/3956042/cra-disability-tax-credit-canada/>. 

[3] Ibid. 

[4] Agence du revenu du Canada, Au sujet de la prestation pour enfants handicapés, 28 juin 2016, en ligne : <www.canada.ca/>. 

[5] Agence du revenu du Canada, Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI), 26 février 2018, en ligne : <www.canada.ca/>. 

[6] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5esupp), art 118.3(1). 

[7] Supranote 1: la réclamation peut être pour sa propre personne ou pour la personne à charge, de même que pour un époux ou conjoint de fait. 

[8] Supra note 6, art 118.3(1)(a)–118.3(1)(a.1). 

[9] Ibid, art 118.3(1)(a.1)(ii), (118.3)(1.1). 

[10] Supranote 2. 

[11] Monique Scotti, « Reality Check : Are the Liberals clawing back benefits for people with diabetes? » (23 octobre 2017), Global News, en ligne: <https://globalnews.ca/news/3819171/liberals-tax-credit-diabetes-canada/>. 

[12] Agence du revenu du Canada, Fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante, 3 janvier 2017, en ligne : <www.canada.ca>. 

[13] Schizophrenia Society of Ontario, « Submission from the Schizophrenia Society of Ontario for the Disability Tax Credit Consultation » (15 décembre 2014), en ligne: <http://www.schizophrenia.on.ca/getattachment/Policy-and-Advocacy/Papers,-Submissions-Letters/DTCconsultation-SSO-Dec-15,-2014.doc.aspx>. 

[14] Supra note 6, art 118.3(1.1)(a) 

[15] Ibid,art 118.3(1.1)(d). 

[16] Erica Alini, « CRA faces fresh criticism on disability tax credit, this time from autism group » (1 décembre 2017), Global News, en ligne : <https://globalnews.ca/news/3889160/cra-disability-tax-credit-autism/>. 

[17] Supra note 2. 

[18] Jeffrey Cohen et Beth Israel, National Organization for Rare Disorders, « Trigeminal Neuralgia », en ligne : <https://rarediseases.org/rare-diseases/trigeminal-neuralgia/>. 

[19] Agence du revenu du Canada, Comité consultatif des personnes handicapées, 23 novembre 2017, en ligne : <www.canada.ca>.