Choisir une école lors d’un désaccord parental : école française, anglaise, ou d’immersion
2 mai 2025
Introduction
Quand un couple se sépare, l’école que l’enfant fréquente peut devenir un sujet de conflits entre les parents. Ces conflits peuvent survenir en particulier lorsque leur opinion diffère à propos de la langue dont l’enfant doit recevoir son éducation. Un des parents exprime parfois une préférence lorsqu’une personne du couple possède un lien avec la culture francophone, tandis que l’autre n’en a pas. Dans de telles situations, les tribunaux doivent parfois déterminer si l’enfant doit fréquenter une école d’immersion, une école homogène anglophone, ou une école homogène francophone.
Cet article de blogue examine l’approche adoptée par les tribunaux à travers le Canada lorsqu’ils font face à la question du choix de l’école, en particulier lorsque la langue et la culture francophone de l’enfant se trouvent au cœur du litige. Pour ce faire, l’article explore :
- Le cadre juridique actuel concernant l’intérêt supérieur de l’enfant
- Les bienfaits d’une école homogène francophone, comme reconnus dans l’arrêt Perron[1]
- La préservation de l’héritage culturel francophone
- La jurisprudence et l’analyse strictement axée sur l’enfant
Le cadre juridique : l’intérêt supérieur de l’enfant
Quand un désaccord survient entre parents à propos d’une décision concernant leur enfant, les tribunaux accordent généralement la priorité à l’opinion du parent qui détient la responsabilité décisionnelle exclusive. Cependant, dans les situations de responsabilité décisionnelle divisée, les tribunaux hésitent à imposer un choix scolaire et encouragent les parents à trouver une solution amiable. En cas de désaccord, l’intérêt supérieur de l’enfant gouverne la décision[2].
Bien que les deux parents préfèrent souvent une école différente pour leur enfant, le critère fondamental pour toute décision relative à l’enfant reste son intérêt supérieur. Le paragraphe 3 de l’article 16 de la Loi sur le divorce énonce plusieurs facteurs pour aider à déterminer cet intérêt. Ce billet de blogue explore plus précisément le facteur suivant : « (f) son patrimoine et son éducation culturels, linguistiques, religieux et spirituels, notamment s’ils sont autochtones[3]».
Perron, son héritage, et les avantages d’une éducation homogène francophone
Dans l’arrêt Perron, la Cour d’appel a reconnu que fréquenter une école homogène francophone répondait mieux à l’intérêt supérieur des enfants au cœur du litige. Cependant, les enfants étaient déjà habitués à une autre école, car deux ans s’étaient écoulés depuis la première instance. Étant donné ce fait, la Cour a décidé de maintenir la stabilité : un changement d’école ne favorisait pas leur intérêt[4].
Néanmoins, l’arrêt Perron a contribué à la jurisprudence en soulignant les avantages qu’un enfant peut tirer en fréquentant une école homogène francophone[5]. Certains de ces facteurs sont :
- La maîtrise complète du français,
- Les bienfaits du bilinguisme pour l’employabilité,
- Le maintien d’un lien avec la culture francophone et le parent de langue française,
- Les droits conférés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés[6].
Préservation de l’héritage culturel et linguistique
Depuis l’arrêt Perron, d’autres tribunaux ont noté que la première année est le meilleur moment pour commencer l’immersion, et que de passer d’un programme en français à un programme en anglais se montre plus facile que l’inverse.[7] Les tribunaux peuvent donc considérer ces facteurs dans l’analyse.
Lors d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, les tribunaux examinent également si l’école envisagée offre un lien avec la culture et l’héritage francophones. Toutefois, les tribunaux peuvent estimer que les racines qu’un parent entretient avec la culture française se trouvent trop distantes pour entrainer l’enfant à fréquenter une école homogène francophone.[8]
Ensuite, les tribunaux peuvent analyser si l’enfant risque de perdre son héritage linguistique s’il/elle ne fréquente pas une école homogène francophone. À cet exemple, un enfant vivant à Toronto pourrait courir un plus grand risque de perdre son héritage que celui/celle vivant à Ottawa, un milieu bilingue.[9]
Cependant, les tribunaux peuvent également évaluer si l’enfant peut préserver son héritage culturel autrement qu’en fréquentant une école homogène francophone[10]. Notamment, les tribunaux peuvent se poser les questions suivantes :
- L’enfant participera à des activités parascolaires en français[11]
- L’enfant suivra des cours d’été en français[12]
- L’enfant participera à un camp d’été en français[13]
- L’enfant passera du temps avec ses grands-parents francophones[14]
- L’enfant parlera le français à la maison avec un parent francophone[15]
De plus, les tribunaux peuvent prêter attention à la capacité de l’enfant à atteindre un niveau de français adéquat pour une langue de travail s’ils/elles ne fréquentent par une école homogène francophone.
L’angoisse parentale ne fait pas partie de l’analyse axé sur l’enfant
La Loi sur le divorce ne souligne aucun facteur se retrouvant plus important qu’un autre. Cependant, certains éléments sont souvent analysés de façons semblables et mènent à des résultats similaires.
Notamment, les parents qui ne parlent pas français soulèvent souvent devant la cour leur préoccupation concernant leur participation limitée à l’éducation de leurs enfants. La capacité des parents à aider avec les devoirs constitue un facteur mentionné dans l’affaire Thomas — une affaire compilant de la jurisprudence à propos des éléments à évaluer quand un choix d’école parvient devant les tribunaux[16]. Malgré ce facteur, les tribunaux décident souvent en faveur du maintien dans une école francophone si les enfants réussissent bien.
À ce sujet, les tribunaux dans les affaires Lauzon et Resonnet ont tranché de manière similaire en ce qui concerne le choix de l’école. Dans ces deux affaires, les enfants fréquentaient déjà une école homogène francophone et ne souffraient d’aucune difficulté éducationnelle dans cette langue. Dans les deux cas, un parent souhaitait de transférer l’enfant dans une école d’immersion.
En effet, les juges ont réaffirmé l’importance d’adopter une approche strictement axée sur l’enfant. Dans ce cadre, les tribunaux n’ont pas pris en considération l’angoisse ressentie par les parents à l’idée de ne pas pouvoir aider avec les devoirs. Les tribunaux ont jugé ainsi, car la preuve démontrait que les enfants pouvaient bien réussir malgré cet aspect. Donc, l’inhabilité d’un parent à aider avec les devoirs semble comporter peu de poids si l’enfant ne présente aucune difficulté éducationnelle[17].
De plus, les parents anglophones argumentent souvent que les écoles francophones ne peuvent pas communiquer avec eux/elles à propos de leurs enfants. Cependant, dans plusieurs cas, la preuve démontre que plusieurs écoles homogènes francophones dans un milieu anglophone sont habituées à travailler avec des parents anglophones et offrent des services bilingues aux parents dans cette situation[18].
Conclusion
Pour conclure, choisir une école est une décision complexe qui peut créer des tensions entre les parents, surtout lors d’un désaccord à propos de la langue d’enseignement. Bien que plusieurs facteurs soient pris en compte et qu’aucun ne soit considéré comme plus important qu’un autre, certains semblent influencer la décision des tribunaux de manière similaire. Toutefois, la jurisprudence et la législation demeurent claires : l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours guider la décision. En fin de compte, chaque situation reste unique, et les tribunaux doivent examiner les faits cas par cas.
Ce texte s’inscrit dans un projet académique où les étudiants et étudiantes ont eu la chance
de soumettre leurs articles de blogue pour publication sur Jurisource.ca.
[1] Perron c Perron, 2012 ONCA 811 [Perron].
[2] Travis v Travis, 2011 SKQB 307 au para 16.
[3] Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 (2e supp.), art 16.
[4] Supra note 1.
[5] Ibid au para 46.
[6] Charte canadienne des droits et libertés, art 23, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituent l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[7] RCS v RDL, 2022 SKCA 52; Kivi v Smith, 2023 ONSC 3407 au para 24.
[8] Ring v Walsh, 2017 NLCA 53 au para 14.
[9] Blumenkranc v Duchastel de Montrouge, 2021 ONSC 5613 au para 31.
[10] Nicholls v Roberts, 2023 ONCJ 164 au para 101.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] ERG v JR, 2024 BCSC 789 au para 112.
[15] Ibid.
[16] Thomas v Oiska, 2018 ONSC 2712 au para 37 [Thomas].
[17] Lauzon v Lauzon, 2021 ONSC 5684 [Lauzon]; Rensonnet v Uttl, 2016 ABQB 95 [Resonnet].
[18] Piper v Hare, 2021 ONSC 2139 au para 36.