Dans une décision clé, la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé une décision rendue par un tribunal inférieur et a jugé qu’il n’existe pas de délit de harcèlement indépendant en Ontario. Dans Merrifield c. Canada (Attorney General) (mars 2019), la Cour d’appel a eu l’occasion d’examiner pour la première fois l’existence du délit de harcèlement en Ontario. La décision est très positive pour les employeurs et rectifie une poignée de décisions rendues par des tribunaux inférieurs ayant reconnu le harcèlement comme cause d’action indépendante.
Pour situer les choses dans leur contexte, en 2005, M. Merrifield travaillait au sein de la GRC à titre de gendarme. Il a été promu au poste de caporal en 2009 puis au poste de sergent en 2014. Les relations de travail étaient tendues entre M. Merrifield et plusieurs de ses supérieurs en raison d’une série d’événements qui se sont produits entre 2005 et 2007. En 2005, la direction avait appris que M. Merrifield ne s’était pas conformé aux règlements de la GRC lorsqu’il s’était porté candidat à une fonction politique sans être en congé comme l’exigeaient les règlements de la GRC. La direction percevait les activités politiques de M. Merrifield comme un conflit d’intérêts possible avec ses fonctions. Par conséquent, il a été transféré à plusieurs reprises et s’est vu refuser une affectation qu’il avait demandée.
Ses supérieurs avaient également mis en garde M. Merrifield après avoir été informés d’entrevues qu’il avait accordées aux médias sur des questions de sécurité. La direction lui avait rappelé que de telles entrevues devaient se conformer aux politiques de la GRC. Plus tard, en 2006, la GRC a entrepris une enquête sur l’utilisation par M. Merrifield de sa carte de crédit professionnelle. L’enquête a conclu que M. Merrifield avait omis de se conformer à la politique administrative en raison du non-paiement de soldes dus sur sa carte et de petits achats non autorisés.
Merrifield a soutenu qu’au cours de ces événements, les mesures prises par la GRC équivalaient à du harcèlement. En 2007, il a intenté une action contre la GRC et a réclamé des dommages-intérêt pour souffrances morales résultant du harcèlement et de l’intimidation des gestionnaires. M. Merrifield a eu gain de cause en première instance. La juge du procès a reconnu un délit de harcèlement indépendant et conclu que plusieurs décisions de gestion se rapportant à M. Merrifield constituaient du harcèlement. Elle a également conclu que l’employeur était responsable de souffrances morales infligées délibérément. M. Merrifield s’est donc vu accorder une somme de 100 000 $ au titre des dommages généraux, 41 000 $ au titre des dommages spéciaux et 825 000 $ au titre des dépens. L’employeur a porté la décision en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario.
Après une brève analyse de la nature lente et progressive de l’évolution de la common law, la Cour d’appel a examiné l’existence d’un délit de harcèlement indépendant en Ontario. Elle a examiné les décisions sur lesquelles la juge du procès s’était fondée et a déterminé que la décision clé était la décision Mainland Sawmills Ltd. et al c. IWA Canada et al (2006), une décision de première instance de la Colombie-Britannique qui semblait être le fondement de l’ensemble des décisions de l’Ontario. L’ennui avec la décision Mainland Sawmills, selon la détermination de la Cour d’appel, était qu’elle ne faisait que présumer de l’existence du délit de harcèlement aux fins du traitement d’une requête sollicitant le rejet de demandes précises dans le cadre d’une action. Les autres précédents soutenant l’existence du délit de harcèlement ont également été jugés problématiques : [TRADUCTION] « En somme, ces décisions ne font que présumer de l’existence du délit de harcèlement plutôt que de l’établir. Elles ne font pas autorité pour reconnaître l’existence du délit de harcèlement en Ontario, et encore moins pour établir soit un nouveau délit soit les éléments qui le composent. »
Après avoir conclu en l’absence de fondement juridique au délit de harcèlement indépendant en Ontario, la Cour a examiné s’il y avait néanmoins lieu d’en établir un. La Cour a souligné que la création d’un nouveau délit irait à l’encontre de la nature progressive de l’évolution de la common law au fil du temps. La Cour a de plus souligné qu’aucune doctrine ni raison impérieuse de politique générale ne lui avait été présentée pour justifier la création du délit. En conclusion, la Cour a souligné qu’en l’espèce, M. Merrifield dispose d’autres recours juridiques pour faire valoir la conduite qu’il reproche à son employeur, dont la cause d’action fondée sur le délit civil qui consiste à causer délibérément des souffrances morales.
La Cour a comparé les éléments du délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales avec ceux du délit de harcèlement proposé. Le critère pour le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales est satisfait lorsque le demandeur établit une conduite :
- flagrante et outrageante ;
- qui vise à causer un préjudice ;
- qui entraîne une maladie visible dont on peut faire la preuve.
La juge du procès a établi et appliqué le critère en quatre volets suivant pour le délit de harcèlement :
- La conduite des défendeurs envers M. Merrifield était-elle outrageante?
- Les défendeurs avaient-ils l’intention de causer une détresse émotionnelle à M. Merrifield ou faisaient-ils preuve d’insouciance téméraire à cet égard?
- M. Merrifield a-t-il souffert de troubles émotionnels graves ou extrêmes?
- La conduite outrageante des défendeurs était-elle la cause réelle et immédiate des troubles émotionnels?
La Cour a examiné les différences entre les éléments des deux critères et a souligné la nature intentionnelle du délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales. Par conséquent, il doit y avoir une intention de causer un préjudice, ou une connaissance de la quasi-certitude de causer un préjudice. Il s’agit là d’un critère subjectif. Pour établir le délit de harcèlement proposé, il doit y avoir soit une intention soit une « insouciance téméraire ». L’insouciance téméraire est un critère objectif qui est, par conséquent, plus facile à satisfaire par un demandeur. De la même façon, le critère pour le délit de harcèlement a été considéré comme étant moins sévère dans la mesure où il ne requiert que des « troubles émotionnels graves ou extrêmes » comparé au critère pour le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales qui requiert de prouver une « maladie visible dont on peut faire la preuve ». La Cour d’appel a résumé sa comparaison par la déclaration suivante :
[TRADUCTION] « De toute évidence, les éléments du délit de harcèlement reconnus par la juge du procès sont semblables, mais moins sévères que, les éléments du délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales. Autrement dit, il est plus difficile d’établir le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales que le délit de harcèlement proposé, en particulier parce que le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales est de nature intentionnelle, tandis que le harcèlement constituerait un délit fondé sur la négligence ».
À cet égard, la Cour d’appel a souligné que dans sa décision précédente Piresferreira c. Ayotte (2010) elle a refusé d’autoriser la négligence comme fondement d’une cause d’action pour des souffrances morales dans le contexte d’un lien d’emploi. En fonction de ce motif et de la possibilité d’invoquer le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales dans le contexte d’un lien d’emploi, la Cour a refusé de reconnaître un nouveau délit de harcèlement indépendant.
En plus d’écarter la décision de la juge de première instance sur le délit de harcèlement, la Cour d’appel a également écarté son jugement relatif au délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales. La Cour d’appel a conclu que les conclusions de faits tirées en première instance étaient entachées d’erreurs manifestes et déterminantes et que le critère juridique pour le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales avait été mal appliqué. Par conséquent, l’appel de l’employeur a été accueilli et la décision de première instance a été infirmée.
À NOTRE AVIS
Le refus de la Cour d’appel de reconnaître le délit de harcèlement freine un courant jurisprudentiel, limité mais croissant, en faveur de l’existence du délit. Bien que la Cour n’ait pas écarté la possibilité de reconnaître ce délit à l’avenir, il était clair que l’affaire Merrifield ne justifiait pas une telle réforme juridique. En dépit du fait qu’il soit possible d’invoquer le délit qui consiste à causer délibérément des souffrances morales dans le contexte d’un lien d’emploi, les employeurs ne devraient pas être exposés à des causes d’action indépendantes fondées sur le délit de harcèlement. Considérant le critère moins strict pour établir le délit de harcèlement, il s’agit d’une excellente nouvelle pour les employeurs.
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