COVID-19 : Où trace-t-on la limite des pouvoirs du gouvernement ?
1 septembre 2020
Existe-t-il des limites aux pouvoirs du gouvernement du Canada et des provinces en temps de crise? Peuvent-ils légiférer comme bon leur semble sans se soucier des procédures habituelles? D’où provient ce pouvoir qui semble infini? Le gouvernement fédéral peut-il outrepasser la volonté des provinces dans la gestion de la crise ?
D’où provient le pouvoir d’intervention du fédéral dans la crise actuelle ?
Ce pouvoir lui vient de la Loi constitutionnelle de 1867. En effet, l’article 91 de cette Loi énumère les domaines de compétence pour lesquels le Parlement fédéral peut légiférer en cas d’urgence de santé publique. De plus, ce même article autorise le Parlement à adopter des lois en vue d’assurer « la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada ». Il a été établi par les tribunaux à plusieurs reprises que ce pouvoir résiduel pouvait être exercé à l’égard des questions d’intérêt national et en cas d’urgence.
Les pandémies telles que la COVID-19 ont été considérées par les tribunaux comme des évènements qui concernent l’ensemble du pays et qui justifient le pouvoir du Parlement de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement. D’ailleurs, ce pouvoir peut être utilisé non seulement pour combattre une éclosion, mais aussi pour prévenir une future éclosion. (À ce sujet, consultez Toronto Electric Commissioners v. Snider, [1925] AC 396 et Ontario (A.G.) v. Canada Temperance Federation, [1946] AC 193)
Le pouvoir de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement permet au Parlement fédéral de légiférer dans des domaines de compétence provinciale seulement dans la mesure nécessaire pour répondre à la crise. Les lois qui sont adoptées sont donc temporaires et elles doivent être nécessaires pour gérer la situation d’urgence.
Le fédéral a d’ailleurs utilisé son pouvoir d’intervention en adoptant plusieurs lois concernant la pandémie de la COVID-19 telles que la Loi concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19, la Loi no 2 concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19 ainsi que la Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19. Le fédéral a également utilisé sa compétence législative pour édicter la Loi concernant la prestation canadienne d’urgence pour étudiants (PCUE).
Une transparence sans faille pour les gouvernements, nous n’en sommes pas si certains
En tout temps, même en période de crise sanitaire, le gouvernement du Canada est tenu de s’assurer que chacune des décisions qu’il prend est conforme aux exigences de la Constitution canadienne. En effet, bien que la situation de la pandémie de la COVID-19 soit exceptionnelle, elle ne permet pas au gouvernement de légiférer comme il lui plait. L’ensemble des décisions, décrets et mesures prises par les gouvernements fédéral et provinciaux doivent respecter les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Évidemment, plus une situation sanitaire a de graves impacts sur l’ensemble de la population, plus il est justifié de limiter les libertés civiles des individus. Il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel que ces limitations soient raisonnables dans les circonstances particulières. Selon l’Association canadienne des libertés civiles, les gouvernements provinciaux ont manqué de transparence lorsqu’ils ont annoncé leurs décrets sur l’état d’urgence[1]. En effet, il est essentiel que les gouvernements des provinces publient les arguments juridiques qui ont appuyé leur décision afin d’être en mesure de les contester devant les tribunaux s’il s’avérait que les décrets étaient inconstitutionnels. D’ailleurs, les provinces, tout comme le fédéral ne doivent pas oublier que les décisions qu’ils prennent doivent être basées sur des faits et sur la science et non sur la peur. De bons motifs justifient habituellement de meilleures décisions.
Un autre facteur favorise une bonne prise de décisions lorsque les gouvernements sont confrontés à des évènements aussi particuliers que ceux d’une pandémie. Il s’agit d’une collaboration avec les partis de l’opposition. Autant au niveau provincial que fédéral, les partis de l’opposition jouent un rôle essentiel dans la gestion de la crise. Dans un premier temps, ils permettent de remettre en perspective certains projets de loi proposés par les partis au pouvoir et d’assurer une meilleure étude de ceux-ci. En effet, dans un contexte de crise sanitaire, les gouvernements ont tendance à agir à la hâte ce qui peut entraîner des conséquences déplorables pour l’ensemble des Canadiens à long terme. De plus, les partis d’opposition favorisent une remise en question des décisions prises par les partis au pouvoir ce qui permet d’assurer que les gouvernements justifient leurs décisions en situation de crise à l’ensemble des Canadiens. Ce processus démocratique permet d’éviter les situations d’abus de pouvoir de la part des gouvernements qui ont beaucoup de décisions à prendre dans des délais réduits.
Le gouvernement fédéral peut-il prendre contrôle de l’ensemble du pays ?
Le gouvernement fédéral pourrait avoir beaucoup plus de pouvoir sur l’ensemble du pays si les provinces le jugeaient nécessaire. En effet, il serait possible d’avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence de 1988 dans le cas où les provinces ne seraient plus en contrôle de la situation sur leur territoire respectif et dans le cas où la situation se développerait da façon telle qu’elle échapperait à la capacité d’intervention des provinces. Pour l’instant, les provinces semblent conserver le contrôle de la situation sur leur territoire. Cependant, si la situation devait dégénérer, il serait possible d’invoquer la Loi pour assurer une meilleure gestion de la crise. Pour que la Loi soit applicable au Canada, il est nécessaire que le gouverneur en conseil consulte les lieutenant-gouverneurs des provinces et que ceux-ci lui signalent que le sinistre, c’est-à-dire, la pandémie, échappe aux pouvoirs d’intervention de la province. Sans ce signalement, il n’est pas possible pour le fédéral de faire une déclaration de sinistre. Dans le cas où la Loi serait invoquée, il s’agirait de sa première application depuis son adoption. Il n’est pas possible de déterminer avec précision comment celle-ci serait appliqué, mais cette Loi permet au gouvernement fédéral de prendre des décisions sur l’ensemble du territoire canadien, mais celles-ci ne doivent pas entraver la capacité des provinces de prendre des mesures en vertu de ses lois sur son territoire. Le pouvoir du fédéral demeure donc limité malgré pour assurer la gestion de la crise au niveau national.
Et les droits et libertés dans tout cela ?
Est-ce qu’une situation d’urgence sanitaire justifie une violation des droits et libertés des citoyens canadiens ? Non, bien sûr, mais ces droits peuvent être restreints temporairement lors de crises. En effet, au Canada, toutes les lois et les politiques adoptées par les instances gouvernementales doivent respecter la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, l’article premier prévoit que les « droits et libertés de la personne peuvent être restreints seulement dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Cela signifie donc qu’une situation exceptionnelle telle que la pandémie actuelle pourrait, dans certains cas justifier une limitation aux droits et libertés des Canadiens si celle-ci correspond aux exigences de l’article premier de la Charte. Cela explique également pourquoi les gouvernements sont autorisés à restreindre notre liberté de déplacement et d’association. En effet, il est raisonnable, dans notre société, de restreindre ces libertés au nom de la santé et de la sécurité collective.
Il faut cependant être prudent pour ne pas franchir la ligne mince qui sépare les limites raisonnables et l’abus de droit.
Conclusion
De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Les gouvernements ne doivent pas oublier que leurs pouvoirs, dans notre société, leur proviennent des citoyens qui ont confiance en eux. Les abus de pouvoir doivent être évités en tout temps pour maintenir notre système démocratique, même en temps de crise. Il n’existe pas toujours de solution parfaite pour répondre à des situations complexes. Cependant, il est toujours possible d’assurer le respect, dans les limites raisonnables, des droits et libertés de chaque Canadien et Canadienne au pays. Il s’agit d’une grande responsabilité pour les gouvernements qui doivent l’inclure dans chacune des décisions qu’ils prennent.
Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. La situation de la pandémie est en constante évolution, il est possible que certaines informations ne soient plus à jour.
[1]Jean-Philippe Nadeau, «Appel à la retenue en temps de crise pour protéger les libertés civiles», (29 mars 2020), URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1689215/charte-constitutionnalite-loi-mesure-urgence-sanitaire-violations-