Le gouvernement canadien prévoit que toutes les personnes qui vivent au Canada pourront se faire vacciner gratuitement au cours de l’année 2021. Il a ainsi adopté une approche progressive de distribution, où les personnes à risque élevé seront vaccinées en premier.
Les provinces et les territoires développent actuellement des plans de déploiement de la vaccination pour leurs résidents. Cette campagne de vaccination a pour but de faire immuniser une grande partie, sinon la totalité, de la population canadienne.
Toutefois, cela soulève la question suivante : est-ce que le gouvernement peut nous forcer à être vaccinés contre la COVID-19 ?
La vaccination : le cadre législatif canadien
Au Canada, la santé est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces et territoires. La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit le partage suivant :
- Le fédéral a l’autorité législative exclusive en ce qui a trait à la quarantaine et l’établissement et le maintien des hôpitaux de marine (par. 91(11)).
- Les provinces et les territoires ont l’autorité sur l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, autres que les hôpitaux de marine (par. 92(7)), ainsi que sur la prestation directe de la plupart des services médicaux (par. 92(13) et (16)).
Selon ce partage des compétences, le fédéral, les provinces et les territoires ont tous le pouvoir de mettre en œuvre des mesures pour gérer les pandémies telles que la COVID-19, notamment en ce qui a trait à la vaccination. Jusqu’à présent, toutefois, seules trois provinces ont des lois qui exigent des vaccins, et ce, uniquement dans le contexte spécifique des enfants s’inscrivant à l’école. Les autres provinces, les territoires et le fédéral n’ont pas de lois ou règlements similaires.
Et s’ils voulaient adopter des lois requérant la vaccination contre la COVID-19 ? Les gouvernements ont-ils ce pouvoir ?
Le gouvernement fédéral : deux sources de pouvoir
La Constitution
La Loi constitutionnelle de 1867 donne au gouvernement fédéral le pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du pays. La Cour suprême a remarqué dans l’arrêt R c Crown Zellerbach Canada Ltd. que ce pouvoir est réservé aux questions d’importance nationale, où les provinces et les territoires ne peuvent s’en occuper par eux-mêmes ou doivent collaborer pour y répondre. Compte tenu de l’ampleur nationale des effets de la COVID-19, il est possible que le gouvernement fédéral invoque cette disposition de la Constitution pour faire adopter une loi sur la vaccination obligatoire. Cependant, les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la « Charte ») doivent nécessairement être considérés.
En l’espèce, une loi qui obligerait la vaccination contre la COVID-19 pourrait porter atteinte à plusieurs droits protégés par la Constitution. Les dispositions de la Charte les plus pertinentes incluent notamment :
- L’alinéa 2(a), qui protège la liberté de conscience et de religion, et
- L’article 7, qui protège le droit à la vie, la liberté et la sécurité de la personne.
Toutefois, ces droits ne sont pas absolus. L’article premier de la Charte prévoit en effet qu’ils peuvent être limités de manière raisonnable s’il y a une justification qui se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique. De cette manière, si le gouvernement établit qu’une mesure ou une loi qui entrave les droits garantis par la Charte est justifiée, elle ne sera pas invalidée par les tribunaux.
Qu’en est-il d’une loi sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 ?
La Cour suprême a conclu au paragraphe 95 de l’arrêt R c Big M Drug Mart Ltd. que les droits garantis par la Charte peuvent être restreints si c’est nécessaire « pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui ». Elle a précisé dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.) que ces situations incluent des circonstances telles que les pandémies. Ainsi, une loi requérant la vaccination obligatoire pourrait être déclarée constitutionnelle, même si elle porte atteinte aux droits individuels.
Cependant, il serait très difficile de faire adopter une telle mesure. La professeure Colleen Flood, directrice du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa et membre du groupe de travail de la Société royale du Canada sur la COVID-19, soutient qu’ « [u]n tribunal ne confirmerait pas un mandat général pour vacciner tout le monde, à moins qu’il n’y ait de très fortes preuves qui en démontrent la nécessité ».
Les difficultés découlent des inconnus entourant les vaccins contre la COVID-19 quant à leur fonctionnement, leurs effets secondaires et leur efficacité. Il serait alors difficile de démontrer que la vaccination obligatoire est essentielle pour la santé publique au Canada. Les tribunaux seront réticents de reconnaitre la constitutionnalité d’une loi avec des conséquences aussi importantes sur les droits et libertés individuels sans un appui scientifique valable.
La Loi sur les mesures d’urgence
Si le pays se trouve en situation de crise nationale, la Loi sur les mesures d’urgence permet au gouvernement fédéral de prendre, à titre temporaire, des mesures extraordinaires qui seraient peut-être injustifiables en temps normal. Il s’agit de la loi la plus importante pour gérer une crise nationale. À ce jour, elle n’a jamais été utilisée, bien qu’elle ait été considérée dans le cadre de la lutte contre la COVID-19.
Aux termes de cette loi, le gouvernement fédéral peut faire une déclaration de sinistre s’il y a des motifs raisonnables et après avoir consulté les provinces et les territoires. Pour faire une telle déclaration, quatre éléments doivent être établis :
- Est un « sinistre » tel que défini à l’article 5 de la Loi sur les mesures d’urgence ;
- Met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens ;
- Échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces et des territoires ; et
- Ne peut être traité efficacement en vertu des autres lois du Canada.
Si ces critères sont établis, les articles 7 et 8 permettent au gouvernement fédéral de prendre toute mesure dans les domaines énumérés qu’il croit, pour des motifs raisonnables, est nécessaire pour gérer la crise pendant une période de 90 jours.
Vu l’ampleur des pouvoirs accordés au gouvernement fédéral, la Loi sur les mesures d’urgence doit être utilisée en dernier recours. S’il y a d’autres moyens, notamment par l’intervention des provinces et des territoires, ceux-ci doivent être privilégiés.
Les provinces et les territoires : les lois sur les situations d’urgence
La Constitution donne aux provinces et territoires l’autorité sur la prestation des services médicaux. Ainsi, les politiques de vaccination varient à travers le pays : chaque province et territoire développe leur propre programme de vaccination. Jusqu’ici, seuls l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba ont des lois requérant des vaccins. Celles-ci visent uniquement certaines maladies dans le contexte des enfants qui s’inscrivent à l’école. La vaccination dans les autres provinces et territoires est donc administrée de façon volontaire.
Néanmoins, les provinces et les territoires ont chacun des lois similaires à la Loi sur les mesures d’urgence qui leur permettent d’agir en cas de crises. En effet, toutes les provinces et les territoires ont déclaré que la COVID-19 est une situation d’urgence en vertu de leurs lois respectives. Ils ont donc acquis des pouvoirs importants pour tenter d’atténuer les effets de la pandémie.
Ces lois peuvent permettre aux gouvernements provinciaux et territoriaux de développer un plan de vaccination obligatoire. Ceci fut notamment le cas du Québec lors de la grippe A(H1N1) de 2009. En effet, le gouvernement du Québec a lancé la plus grande campagne de vaccination de l’histoire de la province en vertu de la Loi sur la santé publique. Vu qu’il y a ce précédent, il est possible que les autres provinces et territoires adoptent des approches similaires.
Les lois sur les situations d’urgence et la santé publique de chaque province et territoire peuvent donc être utilisées pour justifier une campagne de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Cependant, il faudra toujours trouver un équilibre entre les droits et libertés individuels et le bien-être collectif.
Conclusion
Jusqu’à présent, on ne peut pas répondre avec certitude la question de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Le fédéral, les provinces et les territoires peuvent légiférer en cette matière. Toutefois, les pouvoirs du gouvernement, tant fédéral que provincial et territorial, peuvent seulement être exercés dans des circonstances exceptionnelles.
Les provinces et les territoires ont l’autorité primaire sur les soins de santé et peuvent agir en vertu de leurs lois respectives. La COVID-19 étant une crise nationale, il est ainsi possible que le gouvernement fédéral intervienne en vertu de soit la Constitution, soit la Loi sur les mesures d’urgence en dernier recours.
Dans tous les cas, plus d’informations sur les vaccins contre la COVID-19 sont nécessaires pour qu’on puisse faire une analyse juridique. Il faut premièrement avoir de la certitude avant qu’on puisse se prononcer sur la légalité d’une loi imposant la vaccination obligatoire. Tel que le soutient la professeure Flood, « [l]a loi ne se fait pas dans le vide, elle doit répondre aux faits scientifiques sur le terrain. »
Pour plus d’informations sur le rôle du gouvernement dans le contexte de la COVID-19, veuillez voir l’article COVID-19 : Où trace-t-on la limite des pouvoirs du gouvernement ?
Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. La situation de la pandémie est en constante évolution, il est possible que certaines informations ne soient plus à jour.