Les droits de la personne d’un détenu au Canada n’ayant pas la citoyenneté canadienne sont-ils protégés? Ce blogue présente le cas d’un citoyen malaisien détenu au Canada pour meurtre au 2e degré qui s’est fait refuser le droit de recourir aux services d’un aumônier bouddhiste. Le détenu s’est plaint de discrimination de nature religieuse. En effet, il prétend que ses droits ont été violés parce qu’il fait partie d’une minorité religieuse. La question principale à trancher dans cette affaire est de savoir si un détenu peut se trouver légalement au Canada même en l’absence de statut de citoyen ou d’immigrant.
Est-ce qu’un détenu étranger a les mêmes droits humains qu’un Canadien?
Le 18 octobre dernier, la Cour d’appel fédérale a rendu la décision Tan v. Canada (Attorney General) (2018 FCA 186). Dans cette cause portant sur la Loi canadienne sur les droits de la personne [ci-après « Loi »], la Cour a dû déterminer dans quelle mesure les citoyens étrangers détenus au Canada bénéficient de la protection de cette loi. En prononçant son jugement, la majorité s’est écartée de la décision rendue par cette même cour dans l’affaire Forrest v. Canada (Attorney General) (2006 FCA 400) [ci-après « Forrest »].
Les faits
L’appelant, Kien Beng Tan, est un citoyen malaisien. En 2004, il a commis un meurtre en Colombie-Britannique puis a fui vers la Belgique. Tan a ensuite été extradé au Canada pour y subir un procès pour meurtre au deuxième degré. Il a été reconnu coupable puis condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
Alors qu’il purgeait sa peine, Tan désirait recourir aux services d’un aumônier bouddhiste. Comme cette demande lui a été refusée par Service correctionnel Canada, il a porté plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [ci-après « Commission »]. Selon Tan, ce traitement est discriminatoire sur le plan religieux, violant ainsi ses droits protégés par la Loi dans la mesure où les détenus chrétiens ont accès à des aumôniers alors que lui, en tant que membre d’une minorité religieuse, est privé de ce droit.
La Commission a refusé de traiter cette plainte, soutenant que Tan ne bénéficie pas de la protection de la Loi en raison du fait qu’il ne se trouve pas légalement au Canada, et ce, compte tenu de son manque de statut de citoyen ou d’immigrant et du fait qu’il est soumis à une ordonnance d’expulsion. L’appelant a donc soumis une demande de révision judiciaire à la Cour fédérale, qui a confirmé le refus de la Commission. Finalement, l’appelant porte alors cette décision en appel auprès de la Cour d’appel fédérale et c’est cette décision que nous examinerons.
La législation applicable
L’alinéa 40(5)(a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose qu’une plainte n’est recevable par la Commission que si la victime de l’acte discriminatoire se trouvait légalement au Canada au moment de l’acte en question.
La Loi dispose que la religion constitue un motif de distinction illicite et que la privation de services sur cette base est un acte discriminatoire.
Analyse juridique
La question centrale consiste à déterminer si la détention de Tan fait en sorte que sa présence au Canada est légale, conformément à l’alinéa 40(5)(a) de la Loi.
L’affaire Forrest
Dans l’affaire Forrest le demandeur, un citoyen américain, argumentait qu’il se trouvait légalement au Canada puisqu’il y était légalement détenu, bien qu’il n’ait aucun statut de citoyen ou d’immigrant. La Cour d’appel fédérale avait rejeté cet argument, se fondant ainsi exclusivement sur l’examen du statut de citoyen ou d’immigrant pour déterminer la légalité de la présence du demandeur en territoire canadien.
Dans la présente affaire, la Commission s’est fondée sur l’arrêt Forrest pour interpréter l’expression « [être] légalement [présent au Canada] » de la Loi et pour justifier son refus de traiter la plainte. Tan, quant à lui, reprend l’argument avancé par le demandeur dans Forrest.
Le paragraphe 40(6) de la Loi : Une personne peut-elle se trouver légalement au Canada même si elle n’a aucun statut de citoyen ou d’immigrant?
En se penchant sur le libellé du texte législatif, la Cour souligne le fait que l’expression « situation d’un individu » est utilisée au paragraphe 40(6) de la Loi. D’après la majorité, l’emploi par le législateur de cette expression plus vague appuie l’argument de l’appelant. Compte tenu de l’importance d’interpréter les dispositions législatives protégeant des droits humains de manière large et libérale, la Cour prône une interprétation généreuse de cette expression qui se fonde sur l’objectif de la Loi, soit la protection des droits humains.
La majorité juge ainsi que la présence légale d’un individu au Canada, au sens de l’alinéa 40(5)(a) de la Loi, ne peut être réduite à un examen de son statut de citoyen ou d’immigrant. Elle accepte l’argument du demandeur et rejette l’approche de l’affaire Forrest.
En se basant sur cette conclusion, la Cour identifie plusieurs fondements à la légalité de la présence de Tan au Canada. Elle souligne, entre autres, que :
- Il a été admis au pays en vertu de la Loi sur l’extradition.
- Il a été incarcéré en vertu d’un mandat d’incarcération et est détenu pour la durée de sa peine en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
- Il est soumis à une ordonnance d’expulsion qui est suspendue jusqu’à la fin de sa peine, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Conclusion
La Cour reconnait que l’appelant a été victime de discrimination alors qu’il se trouvait légalement au Canada : il satisfait donc à la condition prévue à l’alinéa 40(5)(a) de la Loi, sa plainte étant ainsi recevable.
Malgré cette victoire pour les citoyens étrangers détenus au Canada, la protection de leurs droits humains étant effectivement reconnue en ce qui a trait à la Loi, il importe de souligner qu’un citoyen étranger qui entre illégalement au Canada et qui est détenu dans l’attente de sa déportation ne sera pas considéré comme étant légalement présent. La portée de ce gain en matière de droits humains est donc plus limitée qu’elle ne le semble à première vue.
Pour en apprendre davantage au sujet de la terminologie de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous vous invitons à consulter le Lexique sur les droits de la personne.