Esquisse du cadre juridique international de la lutte contre le blanchiment d’argent

Esquisse du cadre juridique international de la lutte contre le blanchiment d’argent

Après le texte introductif de la chronique sur le blanchiment d’argent, ce billet présente le cadre juridique de la prévention et de la répression de ce crime transnational en procédant à la recension de quelques textes pertinents adoptés par la communauté des États en vue de l’endiguer. Rappelons brièvement le contexte dans lequel ces textes s’inscrivent avant de mettre en relief leurs principales constatations. 

  

Originellement, comme l’écrit Djazira Mehdi, le blanchiment d’argent semble avoir vu le jour dans les années 1920 et 1930 aux États-Unis alors que des gangs cherchaient à donner l’apparence de légitimité à l’argent qu’ils tiraient du racket et qu’ils investissaient par la suite dans les laveries automatiques et les stations de lavage de voiture, d’où le terme  « blanchiment » (money laundering). Peu à peu cette pratique s’est généralisée par le biais du trafic de stupéfiants avant d’atteindre d’autres sphères d’activité et de s’étendre sur plusieurs territoires. Face un phénomène transnational du blanchiment d’argent, les États ont misé sur le multilatéralisme et la coopération pour prévenir et réprimer ce crime. Cette coopération s’est réalisée et se poursuit aujourd’hui par l’adoption de textes juridiques au plan international, régional et sous-régional qui consacrent des mécanismes juridiques pour lutter contre le blanchiment d’argent. 

  

Au plan universel et particulièrement dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, les efforts des États membres à combattre ce crime ont abouti à l’adoption de quelques conventions internationales, dont les principales sont : la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes et la Convention contre la criminalité transnationale organisée. Même si le premier texte, adopté à Vienne le 20 novembre 1988, ne reprend pas le terme blanchiment, il en énonce néanmoins les éléments qui le constituent. Le second quant à lui, adopté en 2000 à Palerme, inscrit le blanchiment d’argent sur la liste des activités criminelles qui, du fait qu’elles sont commises sur plusieurs territoires étatiques, appellent des mécanismes de coopération et d’entraide judiciaires spécifiques permettant aux États de prévenir, poursuivre et de réprimer leurs auteurs. Grâce à ces principaux textes, les États parties adjugent les cas de blanchiment opérés sur leurs territoires en adoptant une législation nationale conséquente visant l’identification, le gel, la saisie et la confiscation de tout bien produit par le blanchiment. 

  

Au plan régional, l’Europe et l’Afrique notamment, ne sont pas restées silencieuses. On trouve dans chacun de ces continents des initiatives qui ont conduit à l’adoption des textes juridiques de lutte contre le blanchiment d’argent. Le système européen offre un bel exemple dans la mesure où il a permis la divulgation de certaines pratiques des dirigeants africains au moyen d’actions judiciaires intentées par les États, dont certaines ont abouti à des condamnations et saisies des biens issus du blanchiment tandis que d’autres attendent encore leur dénouement. 

  

Pour leur part, les États africains, par le truchement de l’Union Africaine, ont adopté deux textes de référence en la matière. La Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée à Maputo, le 11 juillet 2003, ainsi que la Convention sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adoptée à Alger en juillet 1999. Par ces textes, les États s’engagent résolument dans la lutte contre ce fléau pour le bien-être de leurs peuples. Il conviendra de souligner qu’au-delà de ces deux textes, les États africains ont attribué à la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples la compétence de statuer sur les crimes de blanchiment d’argent et de corruption sous le régime de crimes internationaux alors que les législations internes des États se chargent de la poursuite de ce crime par leurs propres ressorts en tant que crime ordinaire. Le Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de cette Cour n’est pas encore en vigueur ; seuls 11 États l’ont signé, et aucun d’entre eux ne l’a ratifié jusqu’à ce jour. Il reste à voir si cette nouvelle compétence s’avérera efficace dans la lutte contre le blanchiment d’argent en Afrique. 

  

L’on peut bien s’interroger sur la mise à contribution des instances judiciaires internationales dans la lutte contre le blanchiment d’argent au-delà du rôle reconnu aux juridictions nationales des États. À ce titre, on note à ce jour, avec raison, le rôle que pourrait jouer la justice internationale lorsqu’elle est appelée à trancher les différends étatiques en lien avec des poursuites des auteurs de blanchiment d’argent. Le cas qui illustre le mieux cette situation est celui de la Guinée Équatoriale actuellement en procès contre la France. En effet, après la condamnation par la justice française de Theodore Obiang, l’actuel vice-président équato-guinéen, pour des crimes de blanchiment d’argent, d’abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de corruption, la Guinée Équatoriale invoque devant la Cour internationale de justice la violation des règles du droit international en matière d’immunités et d’inviolabilités. Par sa décision, la justice française a écarté d’une part l’immunité dont se prévalait l’auteur et, d’autre part la considération d’un immeuble comme étant un des biens appartenant à la représentation diplomatique équato-guinéenne. En attendant la réponse de la Cour, il y a lieu de voir dans quelle mesure les actions contre le blanchiment peuvent s’affaisser devant certaines situations de droit lorsque, dans le cadre d’une mesure provisoire, la Cour internationale de Justice ordonne à un État, ici la France, de prendre toutes les mesures pour permettre aux locaux faisant l’objet de la saisie de bénéficier d’un traitement que recommandent les dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. 

  

En tout état de cause, même si le droit international fixe le cadre juridique de la lutte contre le blanchiment d’argent, sa mise en œuvre, voire son opérationnalisation, est tributaire des mesures internes visant d’une part la domestication des règles internationales et, d’autre part, l’adoption de textes internes facilitant les poursuites et la répression. Autrement, il serait difficile de mettre la main sur les criminels transnationaux qui blanchissent leur argent sur un territoire étranger. Par ailleurs, la tendance à ce jour révèle quelques écueils dans les mécanismes internes, ce qui pourrait expliquer la persistance des pratiques de blanchiment au sein de certains États. Cependant, les mécanismes prévus par le droit international pourraient alourdir dans une certaine mesure les actions des États. Ainsi, les prochains billets de cette série permettront d’entrevoir la manière dont l’existence des mécanismes juridiques internationaux n’empêche pas la montée des pratiques de blanchiment dans certains États, si des garde-fous efficaces à l’échelle nationale ne viennent pas à l’appui desdits mécanismes. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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