Génocide et pensionnats pour Autochtones : ce que dit le droit international
8 octobre 2025
L’auteure reconnaît qu’au moment d’écrire ce texte elle se trouvait sur un territoire traditionnel non cédé. Elle reconnaît la Nation Kanien’kehá: ka comme gardienne et défenseuse traditionnelle des terres et des eaux de ces terres, et la remercie de son accueil.
En mai 2015, lors d’une allocution publique, la juge en chef Beverley McLachlin a déclaré que « le Canada s’est rendu coupable d’un “génocide culturel” à l’encontre des peuples autochtones par le biais de politiques, telles que les pensionnats, créés dans le but d’éradiquer les langues et les cultures des Nations préexistantes » [notre traduction] [1].
En décembre 2015, la Commission de vérité et de réconciliation du Canada (« CVR ») a publié son rapport final intitulé Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. L’essence du rapport pourrait se résumer en ces termes :
« Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique autochtone du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de “génocide culturel” » [2].
L’emploi du terme « génocide culturel » suscite la controverse, particulièrement en ce qui concerne sa définition et sa portée juridique. Depuis la publication du rapport de la CVR, plusieurs soutiennent qu’il convient plutôt de parler de « génocide » tout court.
Dans le présent article, nous nous penchons sur le terme « génocide », à la manière dont il a été défini ainsi que sa portée pour les peuples autochtones, selon le droit international.
1. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (« CPRCG ») engage les États parties, dont le Canada, à prendre des mesures pour prévenir et sanctionner le crime de génocide (article 5). Les personnes accusées du crime de génocide peuvent être traduites devant les tribunaux compétents de l’État où l’acte a été commis, ou devant une cour criminelle internationale (article 6).
L’article 2 de la CPRCG définit le génocide comme suit :
Quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Cette définition retient deux catégories de génocide : physique et biologique. Cependant, initialement, le projet de texte de la CPRCG, préparé par le secrétaire général des Nations unies, prévoyait une troisième catégorie de génocide, soit le génocide « culturel ». Ce dernier a été retiré par les États dans le texte final qui a été adopté. D’ailleurs, le Canada s’opposait fermement à son inclusion, comme l’illustre ce message envoyé à la délégation canadienne :
« You should support or initiate any move for the deletion of Article three on ‘Cultural’ Genocide. If this move not successful, you should vote against Article three and if necessary, against the Convention » [3].
Soulignons également qu’à la suite de négociations avec divers États coloniaux, comme le Canada et les États-Unis, l’application de la CPRCG à des groupes linguistiques et culturels a été écartée [4]. Ainsi, la protection de la CPRCG se limite aux groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux.
2. Coutume internationale
La définition de génocide énoncée à l’article 2 de la CPRCG a été reprise dans d’autres instruments nationaux et internationaux, dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 (article 6). La jurisprudence internationale a maintes fois soutenu que cette disposition relève du droit international coutumier et qu’elle doit être considérée comme une norme de jus cogens [5], c’est-à-dire
« une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère » [6].
À l’inverse, à la vue de l’opposition des États, il ne semble pas y avoir, même aujourd’hui, de coutume internationale établie concernant le « génocide culturel ».
3. Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones
La question du « génocide culturel » s’est posée lors de la rédaction de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (« DNUDPA »). Le premier projet de texte de la DNUDPA prévoyait une disposition concernant le droit des peuples autochtones à ne pas être soumis à l’ethnocide et au génocide culturel [7].
Cela dit, la DNUDPA ne crée pas de nouveaux droits ou de droits spéciaux pour les peuples autochtones; elle précise les normes existantes en matière de droits de la personne et les formule en fonction de la situation particulière des peuples autochtones [8]. La rédaction de la DNUDPA offrait l’occasion de préciser le concept de génocide culturel comme norme du droit international [9], si les États avaient voulu le reconnaître comme tel. Cependant, ce concept n’a pas été retenu dans le texte final de la DNUDPA.
4. Éléments constitutifs du crime de génocide
Selon l’article 2 de la CPRCG, le crime de génocide se caractérise par deux éléments constitutifs [10] :
- l’élément matériel, constitué par un ou plusieurs des actes énumérés; et
- l’élément moral, soit « l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Par exemple, concernant les pensionnats pour Autochtones, plus de 150 000 enfants ont été arraché·es de force de leurs familles entre les années 1800 et 1990. D’innombrables ont subis de graves sévices, tant psychologiques, physiques que sexuels, pendant leur séjour dans ces pensionnats. Bien que le gouvernement n’ait pas conservé de registres adéquats, des centaines, voire des milliers, d’enfants y ont perdu la vie [11].
Cela dit, malgré toutes les conséquences que les pensionnats pour Autochtones ont fait subir aux personnes qui les ont fréquentées, théoriquement, il faudrait tout de même satisfaire la lourde charge que la personne accusée – qu’il s’agisse du gouvernement, de l’Église, d’un·e membre du clergé, ou autre – avait l’intention spécifique de détruire physiquement ou biologiquement le groupe [12]. Or, prouver l’intention génocidaire est une tâche laborieuse. Puisqu’il s’agit d’un élément subjectif, elle ne peut être démontrée directement, mais doit plutôt être déduite de faits qui, dans leur ensemble, constituent la manifestation de cette intention au-delà de tout doute raisonnable [13].
Il en ressort ainsi que le droit international met l’accent sur la préméditation plutôt que sur les conséquences concrètes des actions [14]. Par ailleurs, concernant les génocides du passé, selon la jurisprudence internationale, les dispositions de la CPRCG ne peuvent pas être appliquées rétroactivement aux événements antérieurs à son entrée en vigueur, soit le 12 janvier 1951 [15].
5. Reconnaissance du génocide au Canada
En octobre 2022, la Chambre des communes a adopté la motion suivante :
« Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement doit reconnaître ce qui s’est passé dans les pensionnats indiens du Canada comme un génocide, tel que reconnu par le pape François et conformément à l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide des Nations unies » [16].
Bien que la définition du génocide ait été invoquée, cette reconnaissance politique ne constitue pas une reconnaissance juridique [17]. Elle marque néanmoins une étape significative vers la guérison et la réconciliation.
Dans cette perspective, il convient de rappeler notre responsabilité à titre de juristes d’acquérir des compétences culturelles et les connaissances appropriées sur l’histoire et les séquelles des pensionnats, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les traités et les droits autochtones, et les relations entre l’État et les peuples autochtones [18].
À cet égard, les ressources suivantes peuvent soutenir votre apprentissage: Ressources pour mieux comprendre les réalités autochtones.
[1] APTN National News, « Canada’s top judge says country committed ‘cultural genocide’ against Indigenous peoples », APTN National News (29 mai 2015) en ligne : < aptnnews.ca/national-news/canadas-top-judge-says-country-committed-cultural-genocide-indigenous-peoples/ >.
[2] Commission de vérité et réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Winnipeg, Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015 à la p 1.
[3] Joseph Brean, « Canada was ready to abandon 1948 accord if UN didn’t remove ‘cultural genocide’ ban, records reveal », National Post, (8 juin 2015) en ligne : < https://nationalpost.com/news/canada/canada-threatened-to-abandon-1948-accord-if-un-didnt-remove-cultural-genocide-ban-records-reveal >.
[4] David MacDonald et Graham Hudson, « The Genocide Question and Indian Residential Schools in Canada », (2012) 45:2 RCSP 427 à la p 434.
[5] Voir par exemple : Procureur c Goran Jelisić, Affaire no IT-95-10-T, Jugement (14 décembre 1999), para 60 (Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, Chambre de première instance).
[6] Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, RTNU, vol 1155, art 53.
[7] Payam Akhavan, « Cultural Genocide: Legal Label or Mourning Metaphor? », (2016) 62:1 Revue de droit de McGill 243, aux pp 253–54.
[8] United Nations Global Compact, Guide de référence des entreprises – Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones, New York, 2013 à la p 9.
[9] Supra note 7, aux pp 253–54.
[10] Supra note 5 au para 62.
[11] Kona Keast-O’Donovan, « Convicting the Clergy: Seeking Justice for Residential School Victims Through Crimes Against Humanity Prosecutions », (2022) 45:4 Man LJ 41 à la p 42.
[12] Ibid à la p 58.
[13] Christian J Tams, Lars Berster et Björn Schiffbauer, The Genocide Convention: Article-By-Article Commentary, 2e éd, Londres, Bloomsbury Publishing, 2023 au para 123.
[14] Supra note 4 à la p 434.
[15] Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c Serbie), [2015] CIJ Rec 3 aux paras 86–89.
[16] Hansard révisé, Volume 151, No 119, 1re session, 44e législature, jeudi 27 octobre 2022
[17] Camille De La Durantaye-Guillard, « La reconnaissance étatique du génocide » (2025) en ligne : < notesdelacolline.ca/2025/09/17/la-reconnaissance-etatique-du-genocide/ >.
[18] Commission de vérité et réconciliation du Canada, « Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action » (2012) à la p 4, en ligne (pdf) : < nctr.ca/wp-content/uploads/2021/04/4-Appels_a_l-Action_French.pdf >.