La dilapidation : Est-ce un résultat de malveillance ou simplement d’imprudence?
Peu importe, c’est l’impact sur le patrimoine familial qui est important lors de la division des biens.
Introduction
En Alberta, la Family Property Act, RSA 2000 c F-4.7 (« FPA ») régit la répartition des biens lorsque des époux ou des partenaires interdépendants adultes se divorcent ou se séparent. Tandis qu’il existe une présomption de partage égal, la présomption peut être réfutée dans les cas les plus manifestes (« the clearest of cases ») quand, selon certains facteurs, le partage égal serait injuste et inéquitable[1]. Ces facteurs se trouvent à l’art. 8 de la FPA et, parmi les 13 facteurs énumérés, la dilapidation des biens est comprise à l’alinéa 8l). Dans cet article, je vais aborder les différentes formes de dilapidation, en mettant en évidence comment elles peuvent survenir sans intention malveillante, ce que j’appellerai la « dilapidation involontaire ».
Un bref commentaire sur l’ancienne loi et la terminologie
Il est important de prendre en note qu’en 2020, la FPA a remplacé la Matrimonial Property Act, RSA 2000, c M-8 (« MPA ») pour, entre autres, étendre la portée de la loi aux couples non mariés[2]. Dans cet article, j’utiliserai le terme « conjoints » ou « couple » pour adresser les époux et les partenaires interdépendants adultes, et « conjoint » pour référer à une personne appartenant à un couple, peu importe le genre. J’utiliserai également le terme « bien familial », le terme maintenant employé dans la FPA. La FPA ne fournit pas de définition précise de « bien familial », mais ce terme fait référence à tous les biens appartenant aux conjoints, individuellement et ensemble, au moment de la séparation, et peut inclure les fonds, les biens immeubles, les pensions, et les dettes[3]. De plus, la FPA n’est pas une loi rétroactive alors, dans certaines circonstances, la MPA va continuer à s’appliquer[4]. Cependant, aux fins du présent article, la différence entre les lois est insignifiante, puisque la discussion sur la dilapidation s’applique également aux deux.
Deux formes de dilapidation
1. La dilapidation classique
La jurisprudence suggère qu’il existe au moins deux formes de dilapidation[5]. La première forme est la dilapidation dans le sens classique : le gaspillage ou le détournement intentionnel ou téméraire des biens familiaux[6]. Cette forme peut être caractérisée par un élément de mauvaise foi de la part du conjoint responsable pour le gaspillage de biens pour priver l’autre conjoint de leur part égale des biens familiaux[7]. Des exemples de ceci sont des dépenses fielleuses et le retirement d’argent des comptes conjoints afin de dissimuler les fonds ailleurs. Un autre exemple pourrait être la manipulation de titre de propriété pour éviter que le bien immobilier en question soit considéré comme étant partie du patrimoine familial et, par conséquent, assujettis à la division relative aux biens familiaux. Ces exemples sont plutôt évidents et une cour n’aura généralement pas de trouble à constater qu’ils constituent de la dilapidation. Il est toutefois plus difficile de prouver la deuxième forme de dilapidation, la dilapidation involontaire.
2. La dilapidation involontaire
La dilapidation involontaire ne nécessite pas une intention d’un conjoint de priver l’autre conjoint de sa part égale des biens familiaux. Des exemples de cette forme de dilapidation pourraient inclure les décisions économiques insensées, la poursuite d’un objectif financier illusoire, et le gaspillage d’argent pour subvenir aux dépendances[8]. Cela pourrait aussi inclure la poursuite d’un style de vie par un conjoint qui est beaucoup en dehors des moyens du couple, tel que les voyages dispendieux pris par un conjoint lorsque l’autre n’est pas d’accord[9]. Ces types de dépenses effectuées par un conjoint ne bénéficient pas à l’autre, mais il peut parfois être difficile de montrer que les dépenses montent au niveau de la dilapidation.
Cependant, la jurisprudence albertaine révèle plusieurs exemples de la deuxième forme de dilapidation, y compris :
- la consommation régulière de cocaïne au fil des années[10];
- l’investissement imprudent d’un conjoint dans un bien immobilier entraînant une perte financière importante pour le couple[11];
- les vacances prises par un conjoint alors qu’il était au chômage et qu’il se subvenait des biens matrimoniaux[12];
- les négociations téméraires d’actions boursières à la suite de la séparation du couple[13];
- les faillites d’entreprises commerciales et le niveau de vie d’un conjoint après la séparation du couple[14]; ainsi que
- les actions d’un conjoint qui font fluctuer la valeur d’un bien immobilier familial sans rapport aux forces du marché, telles que des rénovations mal-effectuées ou un chien appartenant à un conjoint qui est permis d’endommager le domicile à l’autre[15].
Dans chacun de ces exemples, bien que l’élément de malveillance fût absent, il y a eu des dépenses ou des actions prises par un conjoint qui n’étaient pas favorables à l’autre. Pour arriver à une détermination de savoir si les dépenses montaient au niveau de la dilapidation, la cour a dû entreprendre une analyse des faits et de ce qui était juste et équitable dans les circonstances. La jurisprudence récente confirme que c’est la méthodologie à suivre et précise aussi que, parfois, l’épuisement par un conjoint des ressources familiales ne va pas constituer de la dilapidation[16]. Ceci est probablement parce que, à un certain niveau, on ne peut pas s’attendre que les biens familiaux soient toujours accumulés et épuisés au même exact rythme par deux conjoints. En effet, il serait très difficile de contrôler cela avec précision mathématique.
Conclusion : Quoi faire si vous avez des doutes
Dans tous les cas de dilapidation – que ce soit le résultat de gaspillage intentionnel ou de l’utilisation téméraire ou imprudente des biens familiaux[17] – le conjoint qui mène l’allégation va devoir déposer de la preuve qui date de l’année qui précède le commencement de la demande pour une ordonnance relative aux biens familiaux[18]. La cour va ensuite considérer la preuve à la lumière de ce qui est juste et équitable dans le contexte factuel de l’affaire. Lorsqu’un conjoint réussit à démontrer que l’autre conjoint est responsable d’avoir dilapidé des biens familiaux, la cour pourra renverser la présomption de partage égale et allouer un paiement égalisateur qui aura comme effet de rembourser le conjoint qui a souffert de la dilapidation. Par ailleurs, la cour n’aura pas l’autorité d’accorder des dommages – elle sera limitée à la distribution des biens comme remède de compensation[19].
Enfin, dans les situations où la cour ne trouve pas de dilapidation, la cour pourra toujours prendre les dépenses douteuses en considération en vertu de l’alinéa 8m), qui prévoit [traduction] « tout autres faits ou circonstances pertinentes » qui pourraient aller à l’encontre de la présomption du partage égal[20]. Il sera donc souvent utile de déposer des éléments de preuve devant la cour lorsqu’un conjoint soupçonne que l’autre a profité disproportionnellement des biens familiaux, même s’il ou elle n’est pas certain que cela monte au niveau de la dilapidation.
Ce texte s’inscrit dans un projet académique où les étudiants et étudiantes ont eu la chance
de soumettre leurs articles de blogue pour publication sur Jurisource.ca.
[1] RAO v SDO, 2023 ABKB 316 aux para 4 et 68; Jensen v Jensen, 2009 ABCA 272 (infirmant en partie 2008 ABQB 380) au para 23.
[2] Ann Wilton et Gary Joseph, « The Family Property Act » dans 2.2 Family Property Law and Practice in Alberta.
[3] Lecerf v Lecerf, 2004 ABQB 501 au para 21.
[4] Family Property Act, RSA 2000 c F-4.7 (« FPA »), art 39.
[5] Tsang v Mok, 2020 ABQB 17 (« Tsang »), autorisation de pourvoi rejeté par la Cour d’appel de l’Alberta, au para 113; McAdam v McAdam, 2009 ABQB 109 (« McAdam ») (pourvoi accordé sur d’autres motifs) (aux para 31 et 32; Voir aussi Hennessey v Hennessey, 2005 ABQB 883 (« Hennessey ») à partir du para 65.
[6] Hennessey au para 72.
[7] McAdam aux para 31 et 32; Vestby v Galloway, 2020 ABQB 361 (« Vestby ») (raisons supplémentaires 2020 ABQB 470) au para 264.
[8] Ibid.
[9] Hennessey aux para 90-111.
[10] Basaraba v Basaraba (1997), 1997CarswellAlta 362 (Alta QB) raisons supplémentaires 1997 CarswellAlta 778 Alta QB.
[11] Lobo v Lobo (1999), 45 RLF (4th) 366 (Alta QB); Voir aussi Ross v Ross, 2007 ABQB 167.
[12] McWilliam v McWilliam, 1989 CarswellAlta 395 (Alta QB).
[13] Wright-Watts v Watts, 2005 CarswellAlta 1384 (Alta QB).
[14] H (DM) v H (TJ), 2005 CarswellAlta 1812 (Alta QB).
[15] Bzdziuch v Bzdziuch, 2001 ABQB 306; Voir aussi Masur v Madiros, 2000 ABQB 676.
[16] Tsang au para 119.
[17] Fleming v Fleming, 2016 ABCA 88 aux para 29 et 31; Voir aussi Hennessey au para 74.
[18] FPA, art 31.
[19] Burger v Burger, 1985 CanLII 1243 (AB KB) au para 21.
[20] Tsang au para 116; Voir aussi Bracewell v Bracewell, 1994 CanLII 9145 au para 30, 152 AR 379 (QB).