La pratique du droit en testaments et successions

La pratique du droit en testaments et successions

L’auteure :  

Après plus de vingt ans au Bureau du tuteur et Curateur public de l’Ontario à Toronto, Me Monique Charlebois a ouvert son petit cabinet à Oakville en 2014.  Elle y œuvre toujours, et depuis quelque temps, elle s’inquiète fortement de la relève, surtout de la part de professionnels francophones.

 

Lorsque je discute avec des étudiants en droit, je leur demande toujours quel domaine du droit les attire. Les réponses les plus fréquentes : droit des affaires, litige, droit de la famille. Mais jamais personne ne m’a dit : « Moi, je pense que j’aimerais travailler en testaments et successions. »  Je ressens cette pénurie d’intérêt encore plus intensément de ces jours, car j’éprouve une grande difficulté à trouver un ou une juriste qui pourrait prendre ma relève d’ici trois ans dans la région métropolitaine Toronto-Hamilton. 

J’ai moi-même jadis été coupable de cette absence d’intérêt. Ce n’est qu’à l’âge de 38 ans que je me suis trouvée insérée à contrecœur dans ce domaine, que j’ai rapidement appris à adorer. J’ai pu y développer des spécialités très recherchées en ce qui a trait à la recherche d’héritiers disparus, et la gestion de successions complexes.  

Permettez-moi donc de vous offrir quelques réflexions dans l’espoir d’en convaincre au moins un ou deux d’entre vous de choisir cette direction de carrière, et de songer à faire carrière dans notre belle région. 

 

La clientèle vous attend ! 

Débarrassons-nous tout de suite de la dimension matérialiste : il y a une forte demande générale pour des juristes expérimentés dans ce domaine. Il y a presque toujours des postes à combler. C’est donc non seulement un domaine passionnant (voir ci-dessous), mais aussi un domaine qui peut être très payant. Et avec les tendances démographiques, ce besoin ne fera qu’augmenter : 

  • La demande se fait connaître. Les nouvelles données du recensement nous apprennent que le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans en Ontario devrait doubler au cours des 15 prochaines années1. 
  • L’âge moyen de la retraite des juristes canadiens est de 69 ans en 20232. 
  • La population francophone de la région Toronto-Hamilton est quand même environ 120,000, ce qui est très respectable en comparaison au chiffre de 179,000 dans la ville d’Ottawa3. 

Du même coup, la demande de la part de clients francophones est très présente, et surprenante.  J’estime que ma clientèle francophone représente de 15 à 20 pour cent du total. J’ai des clients qui cherchent et me trouvent, et qui sont prêts à affronter un déplacement d’une heure ou plus pour se présenter à mon bureau.  J’ai des clients en administration de successions qui vivent au Québec et en France, qui me trouvent grâce au répertoire du Barreau, de l’AJEFO et puis de mon site internet assez étoffé.  

Toute ma communication et mes lettres de rapport avec ces clients se font en français, mais il est rare que je rédige les documents testamentaires en français pour des raisons pratiques de la gestion.    

 

La nature du sujet n’est pas toujours sympa, mais est souvent passionnante. 

Peut-être que nous n’avons pas l’air aussi prestigieux que le droit des sociétés, ni aussi palpitants que le droit criminel, ni aussi nobles que ceux qui pratiquent en droit de l’environnement.   

Travailler dans ce domaine, c’est comme lire mille biographies. On y découvre des vies riches, complexes, parfois fascinantes, pleines d’amour et de chicanes, de réussites et d’échecs, de secrets bien gardés… bref, tout ce qu’il faut pour en faire une série télédiffusée accrocheuse! 

Ce n’est pas un domaine banal, parce qu’il nous oblige à parler de sujets délicats. Mais au fond, la mort, c’est la vérité universelle qui nous relie tous. En l’affrontant, nous apprenons peut-être à apprivoiser nos plus grandes peurs. 

 

Attention aux amateurs! 

Je connais très peu de juristes francophones qui, à mon avis, ont une bonne expérience dans mon domaine.  En fait, moins de cinq. J’ai effectué une recherche au répertoire du Barreau pour des avocats pratiquant le droit des testaments, successions et fiducies, et offrant des services en français.  Le nombre m’a surpris : 64 à Ottawa, et 32 à Toronto.  De plus, il y en a apparemment, huit dans ma région de Halton (Oakville-Burlington); six à Mississauga, et deux à Hamilton. Pour dire vrai, la grande majorité sont des généralistes, ce qui est plutôt inquiétant. 

La pratique successorale s’apparente bien avec un ou au plus fort, deux autres domaines.  Si le cabinet est très petit, une pratique plus étendue est probablement plus solide financièrement.  Mais attention : c’est un domaine complexe et il faut savoir reconnaître les feux rouges.     

Pour citer un seul exemple : la rédaction d’un testament, surtout pour des clients financièrement aisés ou des couples en deuxièmes noces, ne devrait pas se faire par un avocat généraliste ou un amateur. Je vois régulièrement, à ma grande consternation, des testaments très mal rédigés, voire inutiles.   

Je cite l’Assurance LawPro : « Les testaments et les successions constituent un domaine extrêmement complexe. Les avocats qui exercent dans ce domaine doivent maîtriser un large éventail de lois et appliquer les dispositions complexes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le risque d’erreurs juridiques est plus de deux fois plus élevé dans ce domaine que dans d’autres ». Il s’agit du domaine ayant le troisième chiffre le plus élevé tant pour le nombre de réclamations que pour le coût total de ces réclamations. 

Heureusement, le calibre des programmes de formation professionnelle offerts par le Barreau de l’Ontario, l’Association du Barreau, et le STEP (Society of Trust and Estates Practitioners) est excellent.  

 

Vous choisissez votre sous-spécialité selon vos intérêts et talents. 

La planification et l’administration successorales touchent à plein d’autres branches du droit : affaires, immobilier, fiscalité, famille, droit des charités, droit des aînés, litige et, à l’occasion, criminel.  Le litige successoral et le droit des aînés sont des spécialités reconnues et qui exigent une profonde connaissance de multiples lois et règlements ainsi que de la jurisprudence.  

La planification successorale, c’est un peu aider les gens à écrire le dernier chapitre de leur livre. Ils peuvent le raconter à leur façon, laisser leur marque par des gestes généreux, améliorer la vie de leurs proches ou faire une vraie différence par des dons de charité.  Mieux vaut pouvoir au moins reconnaître les enjeux de la fiscalité, et connaître des praticiens de cette sous-spécialité.  

L’administration successorale, elle, est généralement un travail d’accompagnement. Nous marchons aux côtés des liquidateurs, nous les guidons pas à pas pour qu’ils puissent terminer l’histoire de leur proche de la meilleure façon possible.  

Êtes-vous une excellente organisatrice de projets?  Vous pourriez agir comme administrateur professionnel.  Une succession compliquée n’est, enfin, qu’un projet complexe, et la rémunération est tout à fait acceptable! 

 

Les collègues sont gentils et d’un grand soutien.  

Et puis, il y a aussi les gens avec qui nous travaillons. Le milieu du domaine successoral est assez petit. On en vient à se connaître.  J’ai l’impression que ce domaine attire naturellement des personnes au grand cœur et généreuses envers leurs collègues.  On n’hésite pas à en faire appel pour des conseils.  

 

Pour conclure… 

C’est un domaine qui invite à la pleine conscience. Travailler en matière de successions nous rappelle sans cesse que la vie est fragile, que personne n’est éternel. Nous devenons plus conscients de la façon dont nous choisissons de passer notre temps et notre énergie.  

Alors, la prochaine fois que vous réfléchirez à vos options de carrière, je vous encourage à aller au-delà des choix évidents. Vous pourriez découvrir un domaine qui vous passionnera vraiment et enrichira votre vie.  

Et surtout: ne fermez pas les yeux aux occasions alléchantes à l’extérieur d’Ottawa!