Le Bitcoin et le traitement fiscal des cryptomonnaies

Le Bitcoin et le traitement fiscal des cryptomonnaies

Il y a à peine quelques années, la possibilité de régler votre facture de droits de scolarité, votre séjour dans un hôtel ou encore votre addition au restaurant à l’aide de bitcoins vous aurait semblé impossible. Aujourd’hui, alors que l’on estime la valeur des bitcoins en circulation à plus de 16 milliards de dollars américains, le nombre d’entreprises et d’institutions qui acceptent de se faire payer en cryptomonnaie est en nette augmentation. La popularité croissante de cette monnaie virtuelle, dont l’utilisation s’étend au secteur de la vente de produits et de services, notamment celle de la technologie et du Web, fait en sorte que l’Agence du revenu du Canada (ci-après l’« Agence ») s’y intéresse et lui réserve un traitement fiscal. 

 

Avant de plonger dans le vif du sujet, il nous paraît opportun d’expliquer la façon dont fonctionne la technologie des cryptomonnaies. Il faut noter qu’il existe plusieurs monnaies de ce genre, telles que le Etherum, le Ripple, le Litecoin, le Peercoin, pour n’en nommer que quelques-unes[1], bien que le Bitcoin demeure le plus populaire[2]. Ainsi, ces monnaies électroniques sont décentralisées[3], ce qui signifie qu’elles ne nécessitent aucune intervention de la part des institutions financières, ou autre autorité, pour clore une transaction[4]. Le Bitcoin, par exemple, est « un système crypté d’échanges de pair à pair » (peer to peer)[5] dont les données sont stockées et gérées entre les membres d’un réseau[6]. 

 

Ainsi, des millions d’ordinateurs procèdent à l’authentification des transactions en faisant des calculs mathématiques complexes (forage). Ces transactions sont ensuite inscrites dans une base de données cryptée que l’on appelle la chaîne de blocs (blockchain), puis diffusées dans l’ensemble du réseau.[7] Les individus qui ont participé au processus de vérification (mining), en installant un logiciel dans leur ordinateur, sont appelés « mineurs » (miners), et seuls quelques-uns d’entre eux recevront une rémunération en bitcoins pour leur participation. C’est ainsi que de nouveaux bitcoins sont créés[8]. Le nombre de bitcoins pouvant être en circulation est limité à 21 millions par une formule mathématique donnée, laquelle fait partie intégrante du processus de forage[9]. 

 

En vertu de la Loi sur les monnaies[10], seul le dollar canadien a cours légal au Canada. Du point de vue fiscal, les cryptomonnaies ne sont pas des devises, mais plutôt des marchandises[11]. Cela étant, l’Agence leur réserve un traitement fiscal qui variera en fonction du type de transaction effectuée. En effet, nous verrons que l’incidence fiscale relative à une cryptomonnaie qui a été obtenue par suite d’une activité de forage, ou qui est détenue dans un but purement spéculatif[12], diffère de celle relative à un bitcoin gagné à titre de revenu d’emploi ou à la suite de l’achat ou de la vente de produits et services. 

 

Il est important de préciser que les bitcoins peuvent être convertis en monnaie traditionnelle et qu’une valeur en dollar canadien pourra leur être attribuée[13] suivant le taux de change qui a cours au « jour de la [conversion] »[14]. Lorsqu’un salaire ou un avantage relié à l’emploi est versé sous forme de bitcoins, l’Agence impose à l’employeur l’obligation de fournir une preuve qui illustre la manière dont sa valeur a été évaluée.[15] Advenant que l’employé décide de se départir de ses bitcoins, la transaction qui s’en suivra pourrait entraîner un gain ou une perte en capital ou, possiblement, un revenu d’entreprise[16]. 

 

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les cryptomonnaies sont considérées comme des marchandises. Ainsi, lorsqu’une entreprise, un commerce ou une institution se fait payer en bitcoins, la transaction ainsi effectuée est assujettie aux règles du troc[17]. En effet, l’Agence est d’avis qu’il y a troc « lorsque deux personnes acceptent d’échanger réciproquement des marchandises ou des services et d’effectuer cet échange sans utiliser d’argent »[18]. En pareil cas, c’est la valeur des biens ou des services échangés contre des cryptomonnaies qui devra être comptabilisée dans le calcul de leur revenu[19]. Enfin, si elle est inscrite aux fichiers de la taxe sur les produits et services et de la taxe de vente, l’entreprise devra percevoir des taxes calculées sur la valeur marchande de la cryptomonnaie au moment de conclure la transaction[20]. 

 

Quand la détention de la cryptomonnaie a pour but de générer un revenu de placement, les gains ou les pertes résultant de sa vente seront traités comme toutes autres transactions impliquant des marchandises[21]. Toutefois, afin de déterminer si une opération constitue un revenu ou du capital, il faut s’en remettre aux paragraphes 9 à 32 du bulletin d’interprétation IT-479R sur les transactions de valeurs mobilières[22]. S’il est possible de qualifier la transaction de gain en capital, seule la moitié du montant obtenu sera soumise à l’impôt, auquel cas elle constituera soit un gain en capital imposable, soit une perte en capital susceptible d’être déduite sur des gains antérieurs ou futurs[23]. 

 

Pour ce qui est du forage (mining), que nous avons défini un peu plus tôt, l’Agence traite l’opération comme une « production de marchandise », laquelle ne jouit d’aucun traitement fiscal particulier tant que la cryptomonnaie n’a pas été vendue[24]. Dès lors, l’Agence sera en mesure de qualifier l’opération et de déterminer si elle constitue un gain en capital ou un revenu d’entreprise. 

 

Bien que l’Agence ait édicté les lignes directrices en ce qui a trait au traitement fiscal des cryptomonnaies, encore faut-il qu’elle puisse les mettre en application. Ainsi, l’un des plus grands défis auxquels font face les autorités fiscales est de mettre un terme à l’évasion fiscale liée à l’utilisation des cryptomonnaies[25]. Selon plusieurs, les transactions bitcoin jouissent d’un haut degré d’anonymat, ce qui rend difficile l’identification des parties impliquées dans une transaction. Mais tout n’est pas perdu pour autant, car, selon l’Agence, ce type de transaction laisse quand même des traces[26]. Du moins, c’est ce que laisse entendre la décision United States v. Coinbase Inc. [27]. 

 

Dans cette affaire, la Internal Revenue Service (ci-après la « IRS ») tentait d’obtenir la divulgation d’informations concernant près de 9 millions de transactions et plus de 14 mille comptes de Coinbase, la plateforme la plus populaire aux États-Unis pour l’échange de bitcoins. Ces informations étaient pertinentes en ce que seulement 800 à 900 contribuables avaient déclaré des gains découlant de transactions en bitcoins, alorsqu’environ 14 mille comptes avaient chacun échangé au moins 20 000 $ en bitcoins. Le tribunal établit ainsi les critères à respecter afin d’ordonner la divulgation : 

To obtain a court order enforcing a summons, the IRS must first establish « good faith » by showing that the summons: (1) is issued for a legitimate purpose; (2) seeks information relevant to that purpose; (3) seeks information that is not already in the IRS’s possession; and (4) satisfies all of the administrative steps set forth in the Internal Revenue Code. 

 

Le tribunal finit par donner gain de cause à la IRS et ordonna à Coinbase de divulguer les informations relatives aux seuls comptes ayant transigé au moins 20 000 $. Ce faisant, il a été possible d’obtenir les numéros d’identification des contribuables, leurs noms, dates de naissance, adresses, relevés de transactions, ainsi que leurs relevés de comptes. 

 

Il reste à présent à observer la manière dont les tribunaux canadiens traiteront la question. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

[1] Ibid à la p 22. 

[2] Ibid à la p 14. 

[3] Carolyn Wilkins, L’argent à l’ère du numérique, présentée à l’Université Wilfrid-Laurier, 13 novembre 2014 en ligne : Banque du Canada<http://www.banqueducanada.ca/wp-content/uploads/2014/11/discours-13114.pdf> (consulté le 2 février 2018), à la p 3. 

[4] Supra note 2. 

[5] Supra note 5 à la p 6. 

[6] Supra note 2. 

[7] Supra note 5 aux pp 6-7. 

[8] Ibid à la p 7. 

[9] Ibid à la p 35. 

[10] LRC 1985, c C-52, art 3. 

[11] Supra note 5 à la p 59. 

[12] Ibid à la p 19. 

[13] « Que devez-vous savoir à propos de la monnaie numérique ? », (3 Décembre 2014), en ligne : Governement du Canada <https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/nouvelles/salle-presse/documents-information/documents-information-2013/devez-vous-savoir-a-propos-monnaie-numerique.html>. 

[14] Supra note 2. 

[15] Supra note 5 à la p 60. 

[16] Ibid. 

[17] Marc Lacoursière, « Les défis juridiques du paiement virtuel »(2017) Développement récents en droit bancaire (2017), Service de la formation continue du Barreau du Québec, EYB2017DEV2461, à la p 25. 

[18] Agence du Revenu du Canada, Bulletin d’interprétation IT-490, Troc, (5 juillet 1982), au para 3. 

[19] Ibid par 6. 

[20] Canada, Agence de revenue du Canada, 2013-051470117—Bitcoins, Selected Canada Revenue Agency Publications, le 23 décembre 2013, à la p 2. 

[21] Ibid. 

[22] Supra note 18. 

[23] Loi sur l’impôt et le revenu, LRC 1985, c 1, art 38; Canada, Comité sénatorial permanent des banques et commerce, Les crypto-monnaies : pile ou face ?, juin 2015, à la p 60. 

[24] Supra note 5 à la p 60. 

[25] Ibid à la p 19. 

[26] Ibid à la p 62. 

[27] 2017 U.S. Dist. LEXIS 196306.