Le nerf de la guerre : l’argent

Le nerf de la guerre : l’argent

Au moment même où commence l’appel de la commission scolaire de langue française de Colombie-Britannique, interjeté par l’Association des parents francophones et quelques demandeurs individuels, de la décision de 1600 pages rendue en première instance par la Cour suprême de Colombie-Britannique dans un mégaprocès où plusieurs questions cruciales ont été tranchées (Commission scolaire francophone de Colombie-Britannique c Procureur général de Colombie-Britannique, 2016 BCSC 1764), la juge du procès vient de rendre une ordonnance concernant le financement de la cause (2018 BCSC 105).  Essentiellement, elle statue que chaque partie devra payer ses frais. 

L’affaire remonte à 2010, au moment où le Conseil scolaire francophone décide d’intenter une poursuite contre le gouvernement de la province de Colombie-Britannique pour plusieurs violations de l’article 23 de la Charte.  Le procès aura duré 238 jours, incluant les journées consacrées aux arguments juridiques.  Le Conseil allègue des violations de l’article 23 concernant 17 emplacements scolaires, notamment l’école Rose-des-vents de Vancouver ouest où les parents ont décidé d’intenter leur propre recours et ont finalement eu gain de cause en Cour suprême : [2015] 2 RCS 139  (À ce jour, aucune nouvelle école n’a été construite et Rose-des-vents n’a gagné que des roulottes additionnelles).  Le Conseil alléguait aussi des violations systémiques de l’article 23; il réclamait une interprétation de l’article 23 qui inclurait les garderies en milieu scolaire et les prématernelles; il réclamait une meilleure formule de financement, des changements aux règles de propriété des écoles, des bureaux neufs pour le conseil, une meilleure formule de financement du transport scolaire. 

Le mégaprocès a abouti à un mégajugement. La juge a interprété l’article 23 de manière plutôt restrictive, allant même jusqu’à prétendre qu’il n’a pas réussi à freiner l’assimilation et donc que cela ne sert pas à grand-chose de l’interpréter généreusement puisque la disparition de la francophonie est inévitable dans la province. La juge reconnaît le bien-fondé des revendications pour 4 écoles, mais rejette les demandes relativement aux 13 autres. Elle accorde des dommages-intérêts pour combler le sous-financement du transport scolaire; elle reconnaît le sous-financement du conseil concernant des projets d’expansion entre 2004 et 2011; elle ordonne que le conseil obtienne sa propre enveloppe budgétaire de coût en capital et demande au gouvernement de modifier ses règlements. Elle refuse d’interpréter l’article 23 comme incluant les garderies et les prématernelles, conformément à d’autres arrêts émanant du nord canadien (Association des parents ayants-droit de Yellowknife c Procureure générale des Territoires-du-Nord-Ouest 2015 NWTJ 4 et 5 (Cour d’appel des Territoires); Commission scolaire francophone des Territoires-du-Nord-Ouest c Procureure générale des Territoires-du-Nord-Ouest, 2015 NWTJ  2 et 3 (Cour d’appel des territoires.  La Cour suprême du Canada a refusé d’entendre les appels de ces décisions : 2015 CSCR 94 et 95.) 

Le Conseil réclame des dépens spéciaux. Il n’aura pas gain de cause. La juge présente les dépens comme devant être octroyés à la partie gagnante, ou séparés proportionnellement quand les deux parties ont partiellement gain de cause comme ici.  Il est intéressant de lire le bilan qu’elle établit des succès et des échecs de la demanderesse, aux paragraphes 63-80.  Elle estime que là où la demanderesse a obtenu gain de cause, les demandes n’ont généralement pas pris un temps substantiel de la Cour. Tout au long de la lecture de sa décision, comme lors du jugement qu’elle a rendu en 2016, on sent bien sa désapprobation à l’égard du caractère gigantesque de la demande initiale. 

Considérant les coûts élevés des litiges en vertu de l’article 23 de la Charte, et de la probabilité que ceux-ci se rendent jusqu’en Cour suprême du Canada, la stratégie du mégaprocès est-elle appropriée dans les dossiers scolaires des minorités de langue officielle ?  En tout cas, les parties sont actuellement devant la Cour d’appel de Colombie-Britannique et cette affaire se rendra probablement jusqu’au sommet de la hiérarchie judiciaire canadienne. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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