Le racisme environnemental, une autre prérogative Couronne-Autochtone?

Le racisme environnemental, une autre prérogative Couronne-Autochtone?

« Les avantages de la poursuite du projet ont été jugés supérieurs aux coûts globaux ». Ou, en d’autres mots : nos avantages justifient vos inconvénients, désolé. C’est le type de réponse qu’obtiennent les communautés racialisées comme celle d’Afton, au Wyoming, qui s’est opposée sans succès à la construction d’un dépotoir à proximité de leur quartier[1].

Au cours des dernières décennies, le mouvement pour la justice environnementale a évolué en réponse à un problème spécifique : l’impact disproportionné des installations dangereuses sur les communautés afro-américaines[2]. Malgré les conditions socio-économiques différentes des États-Unis et les nuances révélées par les études concernant la justice environnementale et le racisme au Canada, ce problème demeure important, d’un océan à l’autre. En effet, le racisme environnemental, une forme de justice environnementale, fait référence aux politiques, aux actes et aux décisions environnementales qui, intentionnellement ou non, désavantagent de manière disproportionnée les individus, les groupes et les communautés racialisées[3]. En tenant compte de cette définition du racisme environnemental, il est difficile de ne pas la relier aux réalités de nombreuses communautés autochtones au Canada[4].

 

L’empoisonnement intergénérationnel au mercure

La Première Nation de Grassy Narrows (Asubpeeschoseewagong) attend toujours une juste compensation, 54 ans après avoir découvert la grave contamination qui touchait le système fluvial English-Wabigoon[5]. En effet, une usine de pâtes et papiers en amont y a déversé plus de 10 tonnes de mercure non traité[6].

Bien que la découverte publique de la contamination ait eu lieu en 1970, la province de l’Ontario avait depuis longtemps des doutes et avait discrètement commandé un rapport qui est sorti en 1969[7]. Par la suite, la Première Nation de Grassy Narrows a dû attendre jusqu’en 1985 pour la signature d’un Mémorandum d’entente avec les gouvernements fédéral et ontarien. Les parties ont prévu la création d’un Fonds pour les personnes handicapées par le mercure et la mise sur pied d’un Conseil des personnes handicapées par le mercure pour superviser l’administration du fonds[8]. Des décennies plus tard, en 2020, un budget a été proposé par le gouvernement du Canada pour la construction et l’exploitation d’installations de soins pour le mercure. À ce jour, des délais retardent encore le début de la construction des centres[9].

Parallèlement, en 2019, une étude a révélé l’étendue de l’effet dévastateur que continue d’avoir l’empoisonnement au mercure sur les membres de la Première Nation de Grassy Narrows[10]. Non seulement le mercure est un métal lourd bio cumulatif, transmis d’une génération à l’autre tant chez les humains que chez les animaux de la chaîne alimentaire, mais il cause également diverses maladies et problèmes neurologiques. L’empoisonnement au mercure est également connu pour avoir des effets gravement préjudiciables sur la santé mentale. Deux générations après le début de leur exposition, le taux de suicide des jeunes a atteint des chiffres tragiques parmi les jeunes de la Première Nation de Grassy Narrows :

« Des mères ont signalé que parmi les adolescents (deuxième génération d’exposition (G2) : 12- 17 ans), 41,2 % des filles et 10,7 % des garçons avaient déjà tenté de se suicider. [Deux] voies relient significativement les grands-parents (G0) aux tentatives de suicide des enfants (G2) :

a) par l’exposition au [mercure] prénatale et infantile et la détresse psychologique des mères (G1); et

b) par la consommation de poisson maternel pendant la grossesse (G1/G2), ce qui est une importante contribution à l’état émotionnel et au comportement des enfants. »

 

Il est déjà bien connu que le taux de suicide est beaucoup plus élevé parmi les membres des Premières Nations[11]. Cela étant dit, la prévalence des tentatives de suicide chez les jeunes de Grassy Narrows est trois fois supérieure au taux déjà élevé qui touche les communautés autochtones[12]. La gravité de la situation est loin de fournir une explication sur le constant report d’une véritable compensation et d’un appui significatif pour les membres affectés.

 

Un manque critique d’accès à une eau potable fiable

Un autre grave problème environnemental vécu par les peuples autochtones au Canada est le manque généralisé d’accès à une eau potable fiable. En effet, 31 avis à long terme[13] concernant la qualité de l’eau potable demeurent en vigueur dans 29 communautés des Premières Nations en juillet 2024[14]. Rappelons ici l’engagement qu’avait pris le Canada, en 2017, de remédier à chacun de ces avis d’ici 2021[15]. Et encore, ces chiffres n’incluent que les avis en vigueur continuellement depuis plus d’une année. En effet, 59 avis supplémentaires, dits à court terme, visent actuellement différentes communautés autochtones au Canada[16].

Pour illustrer les impacts de tels avis, considérons ceci : la consommation directe d’eau potable non sécuritaire met évidemment la communauté locale en danger, mais c’est aussi le cas de son utilisation domestique pour le nettoyage, le bain de personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, etc.), l’arrosage des cultures et les soins aux animaux[17]. Toutes ces utilisations peuvent s’avérer dangereuses pour la santé en présence d’une eau contaminée.

Le préjudice est tellement important qu’une action collective menée par la Nation crie Tataskweyak, la Première Nation de Neskantaga et la Première Nation de Curve Lake pour des dommages liés aux avis de sécurité sur l’eau potable à long terme a abouti à un accord de règlement historique, approuvé conjointement par la Cour fédérale et la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en 2021[18]. Cet accord reconnait l’échec du Canada à prendre toutes les mesures raisonnables pour fournir aux Premières Nations une eau potable sûre[19].

Il ne fait aucun doute que « le racisme environnemental a des effets physiques, émotionnels, psychologiques et spirituels graves, et dans une ère de vérité et de réconciliation, ses causes et ses conséquences doivent être traitées et remédiées »[20]. Bien que la solution ne puisse pas, de manière réaliste, être l’arrêt complet et immédiat de toute pollution (malheureusement), il serait la moindre des choses que ces conséquences soient vécues de manière équitable.

Parce qu’au final, l’urgence de retirer sa main du feu ne naît que par l’augmentation de la sensation de brûlure, ressentie en guise de conséquence de nos actions. L’absence de cet inconfort est dangereuse, au point de nous permettre d’oublier que ça brûle.

 

Pour aller plus loin, jetez un œil à nos autres ressources pour mieux comprendre les réalités autochtones ou plus généralement, notre dossier thématique en droit autochtone pour y retrouver toutes les notions associées.

 


Bibliographie

[1] Mitchell, Kaitlyn, and Zachary D’Onofrio. “Environmental Injustice and Racism in Canada: The First Step Is Admitting We Have a Problem.” Journal of Environmental Law and Practice, vol. 29, 2016, à la p 314.

[2] Ibid à la p 308.

[3] Kaufman, J.D. & Hajat, A. 2021, “Confronting Environmental Racism”, Environmental Health Perspectives (Online), vol. 129, no. 5.

[4] Dr. Elaine MacDonald, Environmental racism in Canada: What is it, what are the impacts, and what can we do about it? (1er septembre 2020), Ecojustice.ca, en ligne : https://ecojustice.ca/news/environmental-racism-in-canada/.

[5] Radio-Canada. “Grassy Narrow : empoisonnés au mercure” (April 24, 2022). En ligne : https://ici.radio-canada.ca/tele/decouverte/site/segments/reportage/399171/grassy-narrows-ontario-dryden-premieres-nations.

[6] Ilyniak, N. “Mercury poisoning in grassy narrows: Environmental injustice, colonialism, and capitalist expansion in Canada”. (2014), McGill Sociological Review, 4, at p 45. En ligne :  https://login.proxy.bib.uottawa.ca/login?url=https://www.proquest.com/scholarly-journals/mercury-poisoning-grassy-narrows-environmental/docview/1963078041/se-2

[7] Martha Troian, Lara King, Brittany Ekelund, Anushka Yadav, Anukul Thakur & Tricia Sans Chan,National, “Decades after mercury poisoned the water, Grassy Narrows still searches for answers” in National Observer. (September 3rd, 2021). En ligne : https://www.nationalobserver.com/2021/06/16/decades-after-mercury-poisoned-water-grassy-narrows-searches-answers.

[8] Gouvernement du Canada, “The Government of Canada and Asubpeeschoseewagong Netum Anishinabek (Grassy Narrows First Nation) sign a framework agreement to build a mercury care home”. (Last modified on April 13, 2020). En ligne : https://www.canada.ca/en/indigenous-services-canada/news/2020/04/the-government-of-canada-and-asubpeeschoseewagong-netum-anishinabek-grassy-narrows-first-nation-sign-a-framework-agreement-to-build-a-mercury-care-.html.

[9] Gouvernement du Canada, “Grassy Narrows – Health Centre Renewal”. (Last modified August 14, 2023). En ligne : https://iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/proj/85763.

[10] Ansloos J, Cooper A. Is Suicide a Water Justice Issue? Investigating Long-Term Drinking Water Advisories and Suicide in First Nations in Canada. Int J Environ Res Public Health. 2023 Feb 24;20(5):4045. doi: 10.3390/ijerph20054045. PMID: 36901055; PMCID: PMC10002052.

[11] Gouvernement du Canada, “Population with higher risk for suicide”. En ligne : https://www.canada.ca/en/public-health/services/suicide-prevention/suicide-canada.html#a2.

[12] Is Suicide a Water Justice Issue? Investigating Long-Term Drinking Water Advisories and Suicide in First Nations in Canada, supra note 10.

[13] Un avis qui demeure en vigueur pour plus de 12 mois est classifié comme un avis à long terme.

[14] Gouvernement du Canada, “Ending long-term water advisories”. En ligne: https://www.sac-isc.gc.ca/eng/1506514143353/1533317130660

[15] Prime Minister’s Office. (2017). Minister of Indigenous Services Mandate Letter (October 4, 2017). En ligne :  pm.gc.ca/eng/minister-indigenous-services-mandate-letter.

[16] Gouvernement du Canada, “Short-term water advisories”. En ligne : https://www.sac-isc.gc.ca/eng/1562856509704/1562856530304 .

[17] Gouvernement du Canada, “About drinking water advisories”. (Last modified February 19, 2021), En ligne : https://www.sac-isc.gc.ca/eng/1538160229321/1538160276874.

[18] Federal Court, “Settlement agreement File No.: T-1673-19”. (February 28, 2022), En ligne :  https://firstnationsdrinkingwater.ca/wp-content/uploads/2022/03/T-1673-19_20220228_O_E_O_OTT_20220228142556_FAV.pdf

[19] Is Suicide a Water Justice Issue? Investigating Long-Term Drinking Water Advisories and Suicide in First Nations in Canada, supra note 10.

[20] Venkataraman, M., Grzybowski, S., Sanderson, D., Fischer, J., & Cherian, A. (2022). Environmental racism in Canada. Canadian Family Physician, 68(8), 567–569. https://doi.org/10.46747/cfp.6808567.