Les 5 changements de paradigmes avancés par R c Montour (2023 QCCS 4154)

Les 5 changements de paradigmes avancés par R c Montour (2023 QCCS 4154)

À la fin 2023, la jurisprudence canadienne en matière de droits autochtones a pris un nouvel élan avec la sortie de la décision R c Montour, 2023 QCCS 4154. En effet, la juge Bourque tire sa révérence avec cette dernière décision, qui propose cinq (5) changements de paradigmes majeurs. Le contexte actuel de réconciliation exigeait une refonte de fond du traitement des questions en lien avec la reconnaissance des droits, et plus généralement la reconnaissance des systèmes juridiques traditionnels autochtones.  

À titre de rappel, M. White et M. Montour avaient été reconnus criminellement coupables d’infractions en lien avec l’importation illégale d’une quantité substantielle de tabac en provenance des États-Unis, et ce, en contournant le paiement des taxes prévues par la Loi de 2001 sur l’accise 

En tant que membres de la nation Mohawk de Kahnawà:ke, qui fait partie de la grande confédération Haudenosaunee, les accusés demandaient un arrêt des procédures en raison de violations à leurs droits ancestraux et issus de traités, garantis par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (ci-après, LC 1982).  

Cette décision clé visait notamment à réorienter la pensée juridique qui prédomine actuellement dans plusieurs concepts associés :  

  • L’analyse de la preuve de la perspective autochtone; 
  • Le poids de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (ci-après, la DNUDPA) en droit canadien; 
  • L’objectif et le fonctionnement du test applicable à la reconnaissance de droits autochtones; 
  • La conduite attendue du procureur général lors d’une telle instance;  
  • Le sens du terme réconciliation. 

Prenez note que cet article vise l’analyse du droit de fond et de ses changements potentiels, dans l’éventualité où la Cour d’appel du Québec, et éventuellement la Cour suprême du Canada, validerait les conclusions de la juge Bourque. Pour un aperçu plus complet des faits et davantage de détails sur les questions qui y étaient en litige, n’hésitez pas à consulter d’abord notre résumé de la décision, disponible ici. 

 

1. L’analyse de la preuve de la perspective autochtone 

Avant | La jurisprudence précisait déjà la marche à suivre pour interpréter les traités présentés devant une cour. R c Montour se positionne ici comme un outil efficace qui regroupe les principes directeurs et les étapes d’une telle interprétation. À cet égard, la décision rappelle notamment l’importance de ne pas confondre les différentes perspectives autochtones du Canada, chaque communauté ayant la sienne. La cour doit se limiter à la perspective présentée par la preuve, en lien avec le litige spécifique qui se retrouve devant elle.  

 

Maintenant | Au-delà des principes à suivre dans l’interprétation d’un traité, la Cour a accepté la preuve d’expert montrant que la perspective Haudenosaunee a été affaiblie avec les années, notamment au niveau de la connaissance de la langue, la culture et la mémoire collective en général. Il a été accepté que cet affaiblissement est directement tiré des décennies de colonialisme qui ont nécessairement empêché les communautés d’entretenir ces éléments et donc leur capacité d’en faire la preuve. L’analyse subséquente de la preuve doit être sensible à cette réalité.   

 

2. Le poids de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en droit canadien 

Avant | Le processus d’adhésion du Canada à la DNUDPA n’a pas suivi un long fleuve tranquille. D’ailleurs, le Canada s’est d’abord opposé à son adoption initiale par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en 2007. Trois ans plus tard, en 2010, le Canada fait un pas de l’avant en annonçant son support pour la DNUDPA, mais en spécifiant qu’elle ne serait qu’une source d’aspiration, qui serait non-contraignante légalement et donc qui ne changerait en rien l’état du droit canadien. Évidemment, le poids d’une telle déclaration non contraignante est à tout le moins mitigé dans le cadre d’un litige canadien. 

 

Maintenant | Un an après la publication des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation en 2015, le gouvernement canadien a finalement annoncé son plein support à la DNUDPA, retirant ainsi les réticences plus tôt formulées. Très récemment, en 2021, le gouvernement canadien a directement incorporé les droits et principes de la DNUDPA dans son droit interne via la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.  

 

Étant donné cette progression indéniablement réfléchie, la Cour a ainsi confirmé l’applicabilité de la présomption de conformité du droit canadien avec les droits et principes contenus dans la DNUDPA. Vu cet important changement dans le paysage des droits autochtones au Canada, la Cour a également revu le test applicable à la reconnaissance de droits autochtones en vertu du paragraphe 35(1) de la LC 1982 

 

3. L’objectif et le fonctionnement du test applicable à la reconnaissance de droits autochtones 

Avant | Le test établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Van der Peet ([1996] 2 RCS 507) avait pour but d’identifier un droit autochtone via les instruments disponibles du système de justice canadien. À partir de ce moment, la question passait vers une analyse compliquée de la culture autochtone en jeu (afin de déterminer si la pratique faisait partie intégrale et distinctive de celle-ci). Finalement, on exigeait aussi une certaine continuité entre la pratique qui existait avant l’arrivée des Européens et les activités modernes de la communauté qui revendique un tel droit.  

 

Maintenant | Non seulement la Cour a précisé que le test, dans son état actuel, perpétue un climat de colonialisme, mais il va également au-delà du rôle traditionnel des tribunaux en leur demandant de se positionner sur un enjeu aussi complexe que le contenu de la culture d’un peuple. De ce fait, l’amalgame du contexte actuel prônant la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, l’inclusion récente de la DNUDPA au sein du système juridique canadien ainsi que l’évolution marquée de la perspective sociale justifient qu’un nouveau test soit élaboré pour la reconnaissance de droits autochtones. En effet, dans un objectif d’inclusion et de reconnaissance des systèmes juridiques traditionnels, ce sont maintenant à ces systèmes qu’est transférée la responsabilité de désigner le contenu d’un droit autochtone, tel que visé par le para. 35(1) de la LC 1982. Ainsi, la question principale que se poseront les tribunaux sera de savoir si la violation de l’exercice individuel d’un droit collectif peut être justifiée, sans entraver la reconnaissance du droit collectif lui-même. 

 

4. La conduite attendue du procureur général lors d’une instance en reconnaissance de potentiels droits autochtones 

Avant | De nombreux arguments ou comportements du procureur général ont été jugés inappropriés par la Cour dans cette décision. On parle notamment d’objections tardives, non fondées ou non défendues, de choix stratégiques questionnables et de demande de rejet de certaines conclusions d’experts sans explications convaincantes. 

 

On y a aussi condamné un argument qui allait strictement à l’encontre du principe de l’Honneur de la Couronne. En effet, le procureur général niait catégoriquement que la chaîne d’alliance, traité en cause en l’espèce, puisse être effectivement considéré comme un traité. Pour appuyer sa position, la Couronne a plaidé l’absence d’intention et que celle-ci n’était pas réellement liée par l’accord. En d’autres mots, le procureur général avançait que les actions de la Couronne devaient être analysées selon la logique impériale de l’époque pour que l’interprétation historique soit juste.  

 

Maintenant | Selon la Cour, de tels arguments sont non seulement déplacés, mais inutiles. D’abord, il n’y a rien d’anticolonial dans la mise en place d’un processus de règlement des différends. Puis, il serait particulièrement problématique qu’une inconduite du passé puisse efficacement servir à se départir de ses obligations présentes. Cela irait carrément à l’encontre du principe de l’Honneur de la Couronne et du principe de la réconciliation.  

 

5. Le sens du terme réconciliation 

Avant | Le concept étant relativement nouveau, la Cour suprême du Canada ne s’est pas encore prononcée sur la définition précise qui doit être associée au principe juridique de la réconciliation. De fait, quand le terme a été introduit dans la décision R c Sparrow en 1990, il référait plutôt au besoin de réconcilier le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral sur les Indiens (para 91(24) de la Loi de 1867 sur l’Amérique du Nord britannique) et sa nouvelle obligation constitutionnelle prévue par le para. 35(1) de la LC 1982. Plus tard, l’arrêt Van der Peet tente une clarification en précisant que la réconciliation viserait une limitation des droits des Autochtones qui a pour but de « concilier » les droits des peuples qui avaient une « occupation » antérieure du territoire avec la souveraineté de la Couronne. 

 

Maintenant | La réconciliation, décrite comme l’objectif ultime du para. 35(1) de la LC 1982, est un concept qui vise à poser un regard sur le passé afin de mieux le comprendre et l’accepter, et sur le futur, afin de solidifier la relation Couronne-Autochtones. Il s’agit, en fait, d’un processus continu de reconstruction qui implique l’arrêt immédiat de tout comportement déshonorable. En effet, la Cour supérieure du Québec reconnait ici la vision de la réconciliation mise de l’avant dans par la Commission vérité et réconciliation, dans son Sommaire du rapport final publié en 2015 (p. 216), qui voit plutôt à rétablir une relation respectueuse entre des peuples souverains. 

 

D’ailleurs, la Cour a précisé qu’il est absolument nécessaire de rejeter tout argument qui irait à l’encontre de ce processus de réconciliation. 

 

Conclusion

Somme toute, la Cour a donc globalement rappellé que le gouvernement du Canada a pris des engagements, et que ces derniers doivent guider ses actions. Cette conclusion est d’autant plus valide devant un tribunal.

« The Crown must now live with its decisions » (para 574).

 

Et ce, même dans une affaire où 18 millions de dollars en potentielles taxes impayées étaient en jeu, comme c’était le cas dans R c Montour.

 


Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter notre dossier thématique sur les droits autochtones