Les candidats en droit devraient-ils opter pour le stage traditionnel ou le Programme de pratique du droit ?

Les candidats en droit devraient-ils opter pour le stage traditionnel ou le Programme de pratique du droit ?

Introduction 

En Ontario, le cheminement d’accès au Barreau est demeuré essentiellement le même au cours des dernières décennies. Le processus comprend trois composantes obligatoires, mais on discute actuellement de la possibilité d’apporter des changements aux options d’accès à la profession d’avocat.[1] Nonobstant ces éventuelles modifications, la première exigence est une composante d’ordre scolaire, en vertu de laquelle les étudiants doivent en règle générale avoir obtenu un diplôme de premier cycle, suivi d’un diplôme de common law de trois ans intitulé baccalauréat en droit (LL.B.) ou Juris Doctor (J.D.). Le second volet exige la réussite aux examens de compétence administrés par le Barreau de l’Ontario, soit l’examen d’avocat plaidant et l’examen de procureur. Le troisième et dernier élément, fondé sur l’expérience, a récemment suscité davantage de controverse. Connu sous le nom de stage traditionnel, il s’agit d’une période de dix mois au cours de laquelle un candidat fournit des services juridiques sous la supervision d’un membre de la profession. Par contre, il y a une alternative à ce stage : le Programme de pratique du droit (ci-après « PPD »). Après avoir réussi ces trois étapes et avoir satisfait à l’exigence de bonnes mœurs, le candidat peut être admis au Barreau afin d’obtenir un permis pour exercer le droit en Ontario.[2] 

  

Formation juridique 

Lorsque la fin de leur formation juridique approche, les étudiants doivent décider du cheminement à suivre. Pour la plupart d’entre eux, c’est simple – ils vont passer les examens du Barreau, effectuer le stage traditionnel, et trouver un emploi en tant qu’avocat (généralement dans cet ordre). Cependant, avant même de débuter le processus exigeant de recherche d’un stage, les étudiants doivent envisager les autres options, telles que le PPD. Les candidatures à de nombreux postes doivent être présentées plus d’un an avant le début du stage. Les étudiants doivent donc explorer les possibilités, faire de la recherche et recueillir des informations le plus tôt possible.[3] Bien que les expériences de stage varient grandement en qualité, elles ont une chose en commun : du travail acharné. Il n’est pas inhabituel qu’un étudiant travaille soixante heures ou plus par semaine dans un grand cabinet. En l’occurrence, l’étudiant va beaucoup apprendre, tant sur le droit que sur la vie en tant que conseiller juridique. Les stagiaires vont en général faire observer que la faculté de droit a très peu à voir avec la profession d’avocat en ce qui a trait aux tâches quotidiennes.[4] 

En 2014, le PPD a été lancé en Ontario, créant ainsi une voie alternative au processus traditionnel du stage.[5] Le PPD a été créé par le Barreau afin de répondre à la crise de stages et ce, à titre de projet pilote pour une période de trois ans avec une possibilité́ de prolongation pour une période de deux années additionnelles.[6] À l’heure actuelle, le PPD a été prolongé jusqu’à la période du processus d’accès 2019-2020.[7] En effet, la préoccupation concernant la crise de stages a pris de l’ampleur en 2011. Le Barreau a mis en place une consultation avec de nombreux intervenants par rapport à l’avenir du stage lui-même. L’objectif du Barreau avec cette consultation était d’envisager une approche d’apprentissage fondée sur l’expérience qui remplirait son devoir réglementaire et bénéficierait d’un large soutien de la part des intervenants. L’idée était de réfléchir à propos du stage et d’envisager une gamme d’options, plutôt que de supposer que le modèle actuel était le meilleur. La consultation a mis en évidence la nécessité d’une différente approche pour remplir la condition du stage.[8] 

La voie traditionnelle, exigeant un stage d’une durée de dix mois, existe toujours et continue d’être la voie que choisissent en majorité les candidats à la profession. Le PPD, quant à lui, permet à un candidat de suivre une formation et d’effectuer un stage d’une durée de huit mois afin d’être admis au Barreau à titre d’avocat.[9] Le programme est actuellement offert en anglais à la Ryerson University et en français à l’Université d’Ottawa. Les deux programmes ont été offerts pour la première fois au trimestre d’automne 2014 et ils sont similaires sur le plan de la structure. Les candidats doivent suivre un cours de formation, couvrant des sujets tels que le droit pénal, le droit de la famille et le droit administratif, d’une durée d’environ quatre mois, de septembre à décembre. Les compétences enseignées et évaluées sont dictées par les normes de la Fédération des ordres professionnels de juristes au Canada. Les établissements d’enseignement, Ryerson et Ottawa, ont ensuite élaboré leur propre programme d’études en fonction de ces compétences. Il y a cependant une différence substantielle entre les deux programmes : la formation en anglais est principalement un programme en ligne, alors que la formation en français requiert une présence obligatoire pour la durée de quatre mois. En automne 2014, lorsque le PPD ouvrait ses portes à sa toute première cohorte, le programme en français comptait dix-neuf candidats alors que le programme en anglais en comptait deux cent vingt-cinq. Chaque candidat du programme paie des frais de 2 800 $[10], soit le même tarif exigé d’un candidat qui suit le stage traditionnel. Pour tous les candidats du PPD, la formation est suivie d’un placement professionnel de quatre mois, de janvier à avril. Comme pour les candidats ayant suivi la voie traditionnelle, les étudiants du PPD passent normalement les examens d’admission au Barreau avant le début du programme ou après la fin du placement professionnel.[11] Entre autres aspects positifs du PPD, notons d’abord le simple fait que son existence permet à certains candidats d’être admis à exercer la profession alors qu’ils ne l’auraient possiblement pas été auparavant, ou, du moins, pas aussi rapidement.[12] 

L’existence même d’un programme comme le PPD est important puisque ce dernier offre une voie alternative à la profession juridique sans éliminer ou même modifier la voie traditionnelle. Toutefois, certains craignaient que le PPD crée une deuxième classe d’étudiants et, ultimement, une deuxième catégorie d’avocats. Les postes traditionnels de stagiaires ont une durée générale de dix mois et les étudiants reçoivent un salaire au cours de cette période. Dans certains cas, la période pendant laquelle un salaire est payé est en fait plus longue afin de couvrir les périodes d’études et de rédaction des examens du Barreau. Tel que susmentionné, le PPD s’étend quant à lui sur huit mois, ce qui comprend des études à temps plein pendant quatre mois, suivies d’un placement obligatoire de quatre mois. Non seulement les candidats du programme ne sont pas rémunérés pendant la formation en salle de classe, mais il leur est difficile de gérer un emploi rémunéré compte tenu des exigences du programme. En ce qui concerne le placement professionnel de quatre mois, il n’y a aucune garantie qu’un placement rémunéré sera trouvé pour chaque candidat. Comme l’a indiqué la Société des étudiants en droit de l’Ontario, cela place les candidats dans une incertitude financière, ce qui est particulièrement inquiétant et difficile étant donné le niveau élevé de l’endettement de l’étudiant à la fin du LL.B. ou du J.D. De plus, étant donné que le programme est une formation pratique dans le cadre d’un processus d’agrément professionnel, il n’est pas admissible au financement du Régime d’aide financière aux étudiants de l’Ontario (RAFEO). Passer huit mois ou plus sans revenu n’est tout simplement pas une option viable pour certains.[13] 

Compte tenu des coûts relatifs à la participation au programme, il serait surprenant que les candidats choisissent de participer à ce dernier si la voie traditionnelle de stages rémunérés était à leur disposition. Cela peut ajouter à la perception que les avocats formés par le PPD sont considérés parmi les étudiants les plus faibles et les moins compétents et qu’ils n’ont pas été sollicités par les employeurs. On observe un certain scepticisme au sujet du PPD. Pour le moment, la voie traditionnelle est l’option privilégiée pour la plupart des candidats. Le PPD demeure une option encore méconnue : du fait qu’il impose un fardeau financier important pour la plupart des candidats, plusieurs ont exprimé leur scepticisme quant à sa viabilité.[14] On verra si la perception du PPD va s’améliorer avec le temps. 

  

Conclusion 

Ayant discuté de l’état actuel du stage traditionnel, du PPD et de la formation juridique en général, on comprend pourquoi ces sujets sont à l’heure actuelle au centre de nombreux débats passionnés, autant parmi les membres de la profession que chez ceux chargés de la réglementer. Certes, la situation actuelle en Ontario n’est pas parfaite, mais alors que plusieurs discutent de la qualité des options offertes aux étudiants, d’autres ont choisi d’agir plutôt que de parler, et ont pavé leur propre chemin. La Lakehead University à Thunder Bay offre notamment depuis 2014 un modèle d’éducation juridique novateur : le Integrated Practice Curriculum (IPC). Ce modèle est centré sur le concept de la formation de compétences juridiques intégrée à l’éducation. Le modèle de formation juridique à Lakehead harmonise la théorie du droit avec la pratique du droit, et permet ainsi aux étudiants d’apprendre non seulement les divers aspects du droit, mais également d’acquérir les compétences pratiques nécessaires pour l’appliquer efficacement. Alors, plutôt que de pointer du doigt le stage traditionnel et de chercher à le changer ou à le remplacer, pourquoi ne cherchons-nous pas à déterminer les causes sous-jacentes de ce problème ? Tout d’abord, le ralentissement de la demande pour des services juridiques et la croissance de l’offre en diplômés d’écoles de droit ont aggravé la situation sur le marché du travail des nouveaux avocats qui aspirent à intégrer la profession. Il existe effectivement un déséquilibre, notamment une pénurie de nouveaux venus et une surabondance de diplômés. Ces derniers auront donc tendance à trouver des débouchés dans d’autres professions ou à quitter la ville ou même la province pour trouver un emploi juridique ailleurs.[15] Par conséquent, ne serait-il pas plus judicieux d’adopter un modèle d’éducation juridique similaire à celui de la Lakehead University partout en Ontario, et d’éliminer ainsi le stage traditionnel et le PPD, pour mettre fin à l’ampleur des répercussions de ce problème ? 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

  

  

[1] « Options d’accès à la profession d’avocat : Consultation », Barreau de l’Ontario (Comité du perfectionnement professionnel), 24 mai 2018, en ligne : <https://lsodialogue.ca/wp-content/uploads/2018/05/options_dacces_a_la_profession_davocat-des-bm-toc.pdf> 

[2] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[3] Bram Lebo et Patricia Olasker, The Law Students’ Guide to Articling and Summer Positions in Canada, (Toronto : Emond Montgomery Publications Limited, 1993) à la p 3. 

[4] Bram Lebo et Patricia Olasker, The Law Students’ Guide to Articling and Summer Positions in Canada, (Toronto : Emond Montgomery Publications Limited, 1993) à la p 4. 

[5] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[6] Alain Roussy, « Le Programme de pratique du droit à mi-parcours : une étude empirique (The Law Practice Program at the Halfway Mark: An Empirical Study) » (12 septembre 2016). Ottawa L Rev, 48 : 1, Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2016-33. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2837782 à la p 43. 

[7] « Dates à retenir pour les nouveaux candidats avocats de 2019-2020 », Barreau de l’Ontario, 2018, en ligne : <https://lso.ca/devenir-titulaire-de-permis/processus-d-acces-a-la-profession-d-avocat/dates-a-retenir/2019-2020> 

[8] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[9] Alain Roussy, « Le Programme de pratique du droit à mi-parcours : une étude empirique (The Law Practice Program at the Halfway Mark: An Empirical Study) » (12 septembre 2016). Ottawa L Rev, 48 : 1, Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2016-33. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2837782 à la p 45. 

[10] « Grille tarifaire du Processus d’accès à la profession d’avocat pour 2018-2019 », Barreau de l’Ontario, 2018, en ligne : <http://www.lsuc.on.ca/licensingprocess.aspx?id=2147489426&langtype=1036> 

[11] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[12] Alain Roussy, « Le Programme de pratique du droit à mi-parcours : une étude empirique (The Law Practice Program at the Halfway Mark: An Empirical Study) » (12 septembre 2016). Ottawa L Rev, 48 : 1, Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2016-33. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2837782 à la p 77. 

[13] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[14] Michelle Flaherty et Alain Roussy, « The Law Practice Program: Tackling Racial Inequality in the Legal Profession? » (16 décembre 2015). Ottawa Faculty of Law Working Paper No. 2015-39. Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2704440 

[15] « Tendances et perspectives du marché du travail relatives aux professions réglementées en Ontario », Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur : un organisme du gouvernement de l’Ontario, 8 novembre 2018, en ligne : <http://www.heqco.ca/fr-ca/Research/ResPub/Pages/Tendances-et-perspectives-du-march%C3%A9-du-travail-relatives-aux-professions-r%C3%A9glement%C3%A9es-en-Ontario.aspx>