Mères porteuses : Survol de l’encadrement juridique pancanadien
28 juillet 2022
Gestation pour autrui (mère porteuse/maternité de substitution)
Que ce soit pour les membres de la communauté LGBTQ2S+, les parents infertiles ou parent monoparental, la gestation pour autrui est pratiquée par tous les types de famille à l’échelle mondiale.
Reconnue et codifiée par l’Organisation mondiale de la santé, la gestation pour autrui est une pratique médicale de lutte contre l’infertilité. Voici quelques définitions pertinentes :
Les mères porteuses sont au cœur de l’actualité canadienne et des débats mondiaux depuis plusieurs années. Bien que certains pays l’interdisent, cette pratique n’est pas illégale en soi au Canada. En effet, même si la commercialisation demeure criminalisée, un contrat altruiste sans rétribution voire contrepartie entre les parents d’intention et la mère porteuse est toléré (Loi sur la procréation assistée (ci-après nommé : « LPA »), para 6(5)). Une panoplie d’enjeux éthiques entourent cette pratique. Parmi ceux-ci, il y a la chosification de la femme et de l’enfant, la commercialisation de la pratique, l’agentivité, le droit aux origines en matière d’adoption et encore plus (LPA, art 2).
Quatre types de procréations assistées sont spécifiquement reconnus au Canada. L’insémination artificielle, la fécondation in vitro (FIV), le diagnostic pré-implantatoire et la maternité de substitution (gestation pour autrui/mère porteuse). Le but de cet article est de déconstruire les préjugés généraux entourant l’encadrement des mères porteuses au Canada, et ce, tout en étant instructif juridiquement sur le plan pancanadien.
Cadre juridique fédéral
Au Canada, la pratique des mères porteuses est régie sur le plan fédéral par la LPA et le Règlement sur les remboursements relatif à la procréation assistée (ci-après nommé : « Règlement »).
Considérant que les soins de santé sont principalement de compétence provinciale en vertu des paragraphes 92(7), 92(13), 92(16) et 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, il y a un chevauchement entre le fédéral ainsi que les provinces et territoires quant à l’encadrement de la pratique. Partant de ce fait, il revient théoriquement aux provinces et territoires de l’encadrer davantage, afin de protéger les mères porteuses et les parents d’intention au sujet des omissions et lacunes qui se trouvent dans la LPA. À cet égard, certaines dispositions de la LPA ont été jugées ultra vires de la compétence législative du Parlement canadien et ont été en conséquence abrogées par les tribunaux (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61).
Bien que la pratique des mères porteuses ne soit pas criminalisée en soi, la LPA interdit la gestation pour autrui à titre onéreux ainsi que toute activité d’intermédiaire (LPA, paras 5(2), 5(3), 6(1) et 6(5)). Ainsi, la LPA interdit la rétribution d’intermédiaires, d’avocats, de sites et d’agences de rencontre pour avoir accès à la maternité de substitution. Elle autorise donc uniquement les contrats de mère porteuse à titre gratuit, mais ne leur donne pas une force contraignante au niveau juridique en cas de litige entre les parties y figurant puisque cette particularité revient aux provinces et territoires (LPA, para 6(5)). Sachant que le but principal de la législation et de la règlementation fédérale est d’empêcher l’exploitation des fonctions reproductives des enfants, des femmes et des hommes à des fins commerciales, il est totalement interdit de rémunérer une mère porteuse en contrepartie de son seul service d’avoir porté un enfant pour autrui (LPA, para 6(1)).
Or, il est important de préciser que cette loi permet le remboursement de certaines dépenses très spécifiques parce qu’il existe une nuance en contexte fédéral qui n’exclut effectivement pas toutes les formes de remboursement. En conformité avec le Règlement et en présentant les reçus appropriés, une mère porteuse peut obtenir une compensation pour les frais supportés par elle pour agir à ce titre (LPA, al 12(1)c) et para 12(2)). De surcroît, il est permis de lui verser une indemnité pour la perte de revenu de travail subie au cours de la grossesse si elle remplit les conditions requises (LPA, para 12(3) ; Règlement, arts 8 et 9). Plus précisément, les déplacements, les frais juridiques, l’épicerie, l’accouchement et les médicaments peuvent être couverts en remplissant certaines conditions bien précises.
Selon la LPA, uniquement une personne de 21 ans et plus peut devenir mère porteuse (LPA, para 6(4)). De plus, nul ne peut induire une personne de sexe féminin à devenir mère porteuse ni lui conseiller de le devenir, sous peine d’être déclaré coupable d’une infraction passible d’une amende maximale de 500 000 $ et jusqu’à 10 ans de prison (LPA, art 60). Il est ainsi important de souligner que le choix d’être mère porteuse doit impérativement et uniquement provenir de celle-ci de manière libre et volontaire en toute connaissance de cause.
Quant à la filiation de l’enfant résultant de cette pratique, la législation fédérale octroie la nationalité canadienne au nouveau-né, et ce, même si ses parents d’intention n’ont pas la citoyenneté canadienne. Pour ce qui est du lien de filiation entre les parents d’intentions et l’enfant né de cette pratique, l’établissement est plus complexe et varie selon le territoire ou la province dans lequel elle a eu lieu.
Cadre juridique provincial
Au niveau de l’intervention juridique des procréations assistées, il y a trois options possibles pour les provinces et les territoires : ne rien faire, interdire voire désapprouver ou encadrer.
Les provinces et les territoires sont responsables des politiques administratives en matière de traitements de fertilité et de procréation assistée. Bien que l’éventail de législations, règlementations et politiques s’avère être très large, voici un survol non exhaustif des particularités pancanadiennes :
ONTARIO
- Pluriparentalité : il est légal pour un enfant d’avoir plus de deux parents reconnus.
- Encadrement de la pratique des mères porteuses en permettant une convention entre les parents d’intention et la mère porteuse.
- Clinique de procréation assistée de Toronto, Surrogacy in Canada Online : critères sévères pour devenir mères porteuses.
- Procédure d’adoption : démarche judiciaire à faire après la naissance avec le consentement de toutes les parties.
QUÉBEC
- Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée.
- Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée : encadrement strict : besoin d’un permis, inspection, sanction pénale, surveillance des centres de procréation assistée, sanctions si on ne respecte pas les règles en matière de pratique, etc.
- Biparentalité uniquement : un enfant ne peut pas avoir plus de deux parents (Droit de la famille – 191677, 2019 QCCA 1386).
- Nécessité pour les parents d’intention de rectifier les registres de l’État civil en présentant une demande d’adoption devant le tribunal.
- Pratique des mères porteuses est tolérée, mais désapprouvée.
- L’article 541 du Code civil du Québec déclare nul de nullité absolue les contrats conclus entre la mère porteuse et les parents d’intention en raison des enjeux éthiques découlant de cette pratique. Donc, rien n’empêche une mère porteuse de conserver l’enfant après l’accouchement malgré une entente commune.
- Projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil : Le législateur propose une panoplie de changements :
- Intervention du tribunal en cas de litige ;
- Protections supplémentaires pour les parents d’intention et la mère porteuse malgré le caractère nul de la convention actuellement ;
- Délai de 7 à 30 jours à la mère porteuse pour retirer son consentement (art 541.14) ;
- Filiation de l’enfant née par gestation pour autrui sera par voie administrative dans une entente notariée (art 541.15) ;
- Reconnaissance du droit à l’origine en matière de procréation médicale assistée : avancée majeure en parallèle à la confidentialité des données (Code civil du Québec, art 542) qui permettrait de manière égalitaire aux enfants issus de cette pratique de connaître leurs origines dans l’intérêt de combler l’équilibre entre l’intérêt de l’enfant (Code civil du Québec, art 33) et les différents droits concernés au sein de cet enjeu éthique.
NOUVEAU-BRUNSWICK
- Programme de procréation assistée avec une tierce personne : « Clinique Conceptia ».
COLOMBIE-BRITANNIQUE
- Seule province prévoyant un cadre législatif pour un transfert immédiat sans intervention judiciaire de la filiation de la mère porteuse à la mère d’intention (Family Law Act, SBC 2011, c 25, art 29). En effet, dans toutes les autres provinces canadiennes, les principes clés de la maxime latine mater semper certa priment en prévoyant que la mère porteuse est la mère biologique de l’enfant.
ALBERTA
- Les contrats de gestation pour autrui ne sont pas exécutoires, mais permis (Family Law Act, art 8.1).
NOUVELLE-ÉCOSSE
- Un ou une juge peut établir la filiation d’un enfant issu de cette pratique à l’égard des parents d’intention si un accord entre la mère porteuse et ceux-ci a été signé avant la conception et qu’au moins l’un des deux parents est le géniteur (Birth Registration Regulations, NS Reg 390/2007, art 5).
MANITOBA
- En 2021, le gouvernement manitobain a modifié la Loi sur l’obligation alimentaire pour y ajouter la filiation en cas de procréation assistée, qu’il y ait une mère porteuse ou non.
Zones grises
En conclusion, la pratique de la gestation pour autrui est source de débats depuis plusieurs années, et ce, même à l’intérieur des frontières provinciales et territoriales du Canada. Bien que son encadrement soit en plein essor et en constante évolution, il y a des limites à l’interdiction juridique de cette pratique puisque rien n’interdit aux individus de vivre différemment de ce que prescrivent les règles d’ordre public.
À titre d’exemple, sur les réseaux sociaux et sur Internet, il est possible de trouver des mères porteuses qui offrent leurs services, des couples qui cherchent des mères porteuses de même que des intermédiaires pour ceux-ci.
En ajout, à titre de second exemple, pensons à l’établissement de la filiation de l’enfant créé par gestation pour autrui au Québec où deux courants jurisprudentiels s’opposent. Sachant que la filiation de l’enfant est établie par adoption, un des enjeux québécois actuels est qu’il n’y a aucun lien de filiation possible entre l’un des parents d’intention et l’enfant issu de la pratique (Code civil du Québec, arts 113, 538, 538.1, 543, 553 et 555). Le premier courant jurisprudentiel prône l’adoption de l’enfant au nom de l’intérêt supérieur de celui-ci [1] alors que l’autre courant préconise de refuser l’adoption de l’enfant au nom de l’intérêt public[2]. Ce premier courant progressiste appuie le fait que les tribunaux tentent d’encadrer la pratique pour se conformer aux mœurs éthiques de la société actuelle afin de pallier les lacunes du législateur (Thouvenin, 1985)[3].
Malgré que les zones grises subsistent, si le projet de loi n°2 est adopté, il y aura d’énormes changements au Québec quant aux procréations assistées qui se déferleront fort probablement à l’échelle du Canada sur les autres provinces et territoires.
En définitive, plusieurs auteurs soulignent les risques entourant l’encadrement ou non de cette pratique (cette liste est non exhaustive et non limitative) :
- Lacunes au niveau du consentement éclairé au cumul de complications médicales que peut impliquer cette pratique (grossesse gémellaire, césarienne, hémorragie, complications obstétricales);
- Clandestinité ou délocalisation dans un autre pays lorsqu’on criminalise la pratique;
- Devenir une destination de choix pour le tourisme procréatif en légalisant totalement la pratique en raison des soins et de l’accouchement payés par l’État;
- Changement d’avis de la mère porteuse ou des parents d’intention et aucune force légale du contrat entre les parties;
- Commercialisation de l’être humain pour l’enfant et la mère porteuse;
- Difficulté au niveau de la filiation pour les parents d’intention;
- Aucun accès aux origines pour les enfants issus de gestation pour autrui.
Sachant qu’il s’agit d’une question juridique en pleine évolution, il sera intéressant de voir comment les changements sociétaux pourront affecter cette pratique. Qu’en pensez-vous, devons-nous accélérer l’encadrement de cette pratique ou la restreindre?
Ressources Jurisource.ca à consulter
Afin de consulter notre lexique sur la médecine et le droit, cliquez ici.
Pour notre lexique sur les experts en milieu médical, cliquez ici.
Concernant la terminologie des experts médicaux, cliquez ici.
Consultez également notre article de blogue sur les différents types de modèles de famille reconnus par le droit ontarien en cliquant ici.
Sources
[1] Voir Adoption-07219, 2007 QCCQ 21504; Adoption-09184, 2009 QCCQ 9058; Adoption-09185, 2009 QCCQ 8703; Adoption-09367, 2009 QCCQ 16815; Adoption-09558, 2009 QCCQ 20292; Adoption-10329, 2010 QCCQ 18645; Adoption-10330, 2010 QCCQ 17819; Adoption-10489, 2010 QCCQ 19971; Adoption-10539, 2010 QCCQ 21132 et Adoption-1342, 2013 QCCQ 4585.
[2] Voir Adoption-091, 2009 QCCQ 628; Adoption-12464, 2012 QCCS 20039 et Adoption-1549, 2015 QCCQ 7955.
[3] Dominique Thouvenin, Éthique et droit en matière biomédicale, 4e cahier, Recueil Dalloz Sirey 21, 1985, p 21 à 26.
*Les autres sources utilisées sont insérées directement dans le texte.
Contrairement aux autres provinces, le recours aux mères porteuses au Québec n’est pas encadré par la loi. Bien que la pratique ne soit pas illégale, les contrats de mère porteuse n’ont pas de valeur légale. Cela qui signifie que la femme accouchant de l’enfant reste légalement sa mère.