Les tribunaux canadiens favorisent généralement un plan parental où les deux parents ont un temps égal avec l’enfant. Cela peut devenir un problème lorsque la question du déménagement de l’enfant est soulevée.
L’affaire MBF v MNH, 2022 ABCA 42 illustre les facteurs sur lesquels un tribunal doit se baser pour déterminer le droit de mobilité d’un parent et son enfant.
Cette affaire provient de la Cour d’appel de l’Alberta. La décision est intéressante en raison de l’examen approfondi de la violence familiale dans le contexte de la demande de la mère de déménager avec son enfant de quatre ans. Il s’agit d’une décision clairement rédigée et détaillée qui vaut la peine d’être lue dans son intégralité.
Contexte
Dans l’affaire MBF v MNH, les parents étaient impliqués dans une dispute très conflictuelle au sujet de leur enfant de quatre ans, ayant eu ainsi un comportement préoccupant en sa présence. Selon la mère, le père avait un comportement contrôlant et coercitif à son égard. De plus, le père menaçait de diffuser une vidéo sexuellement explicite de la mère. Pour mettre ses menaces à exécution, le père a publié sur les médias sociaux des messages dans lesquels il annonçait publiquement la grossesse de la mère avec son nouveau partenaire.
MNH (ci-après la mère) et MBF (ci-après le père) étaient respectivement la mère et le père de AA (ci-après l’enfant). Après leur séparation en 2020, les parents ont adopté un plan de partage des responsabilités parentales. Cependant, la coopération entre les parties s’est détériorée et, en février 2021, les deux parents ont demandé à bénéficier d’un temps parental quotidien avec l’enfant.
Pensant que c’était dans l’intérêt de l’enfant, la mère a déposé une demande de mobilité pour déménager l’enfant d’Edmonton à Saskatoon où elle vivait avec son nouveau partenaire, CW (ci-après le nouveau partenaire), et leur enfant en bas âge. Le père s’est opposé à cette demande. La grand-mère de l’enfant, avec laquelle il avait un lien étroit, vivait également à Saskatoon. En outre, la mère a affirmé que le père de l’enfant avait un comportement contrôlant et coercitif à son égard, et que l’enfant n’était pas en sécurité avec lui.
Le père, de son côté, a affirmé qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de rester à Edmonton et d’être pris en charge par lui. L’enfant avait des liens étroits avec sa demi-sœur et ses grands-parents paternels. Le père a également affirmé que la mère représentait un risque pour l’enfant, ayant violé une ordonnance parentale provisoire qui interdisait tout contact entre l’enfant et le nouveau partenaire de la mère qui avait des antécédents de violence familiale.
L’analyse du tribunal
La Cour d’appel de l’Alberta a déterminé que le juge de première instance n’avait pas commis une erreur de droit en refusant d’autoriser la mère à déménager avec l’enfant. Cette décision était en accord avec les principes développés par la Cour suprême dans l’affaire Gordon c Goertz, en étant focalisés sur l’enfant plutôt que sur ses parents. Selon la Cour d’appel, le comportement du père envers la mère constituait une forme de violence. Toutefois, la Cour a estimé que les actions répréhensibles du père n’étaient pas dirigées contre l’enfant, et que le père était toujours capable de s’occuper de l’enfant et de répondre à ses besoins et toute action future pouvait être empêchée par une ordonnance du tribunal.
Le père a plaidé l’existence d’une ordonnance d’interdiction de contact entre le nouveau partenaire de la mère et l’enfant, car le nouveau partenaire représentait un risque grave en raison de ses antécédents de violence familiale. De plus, la mère n’avait pas respecté l’ordonnance d’interdiction de non-contact entre l’enfant et son nouveau partenaire. Par conséquent, la Cour a refusé de donner le rôle parental principal à la mère.
La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance et a refusé la demande de la mère de déménager avec l’enfant. Le tribunal a insisté en disant que les parents sont tenus de se conformer à un calendrier de partage des responsabilités parentales ordonné par le tribunal, avec un temps parental supervisé pour la mère et un temps parental quotidien pour le père.
Mobilité parentale : une équation épineuse
La responsabilité décisionnelle et le temps parental sont souvent des questions importantes lorsque les parents se séparent ou divorcent. Cela devient encore plus compliqué lorsqu’un parent veut s’éloigner de l’autre parent avec les enfants.
Que dit la loi sur la mobilité parentale en Ontario?
Lorsque le tribunal parle de droits de mobilité, il entend par là le droit d’un parent de déménager avec un enfant. En Ontario, les droits de mobilité sont traités au cas par cas en se focalisant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Un tribunal résout un conflit de mobilité en se fondant sur les circonstances factuelles au moment du déménagement proposé. Lorsque le parent qui habite avec l’enfant décide de déménager après une séparation, le déménagement aura certainement un impact sur le temps parental du parent qui ne vit pas avec l’enfant. Toutefois, il peut s’avérer nécessaire, selon le cas, pour le parent qui déménage d’obtenir l’accord de l’autre parent ou une ordonnance judiciaire qui modifie l’accord existant sur le droit d’accès.
Il y a de cela 27 ans, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant de déterminer les questions de mobilité parentale en droit de la famille dans l’affaire Gordon c. Goertz. L’exigence principale d’un « changement important de circonstances » doit être remplie pour que le tribunal puisse examiner la question. Une fois cette condition remplie, l’intérêt supérieur de l’enfant est l’unique facteur dans la prise de décision. Au paragraphe 49, la Cour suprême a énuméré les facteurs qui doivent s’appliquer aux litiges relatifs aux droits de mobilité. Les facteurs énumérés sont appliqués au cas par cas.
Ainsi, les tribunaux doivent toujours donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’un des principaux changements apportés à la Loi sur le divorce en 2021 a été la modification des critères que les tribunaux doivent prendre en compte dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il y a eu modification aussi par rapport aux problèmes de violence familiale et leurs impacts sur le bien-être de l’enfant. À la suite de ces changements, les considérations relatives à la violence familiale doivent jouer un rôle plus important lorsque les tribunaux évaluent les conflits parentaux, y compris les questions de responsabilité décisionnelle, de temps parental et de mobilité parentale.
Toutefois, le droit à la mobilité parentale reste discrétionnaire lorsqu’il s’agit de décider si un parent sera autorisé par le tribunal à déménager avec les enfants en cas de contestation par l’autre parent. Des pouvoirs discrétionnaires aussi étendus entraînent beaucoup d’incertitude et ne nous permettent pas de prédire l’issue d’une affaire particulière.
Pour en lire davantage sur les répercussions de la violence familiale et le droit, consultez notre article de blogue « Un nouveau délit de violence familiale en Ontario (Ahluwalia v Ahluwalia, 2022 ONSC 1303) ».