Réparation civile pour les victimes du blanchiment d’argent : le cas de la France

Réparation civile pour les victimes du blanchiment d’argent : le cas de la France

Le présent billet de la série Transnational Anti-Corruption Watch porte sur les recours civils pour les victimes du blanchiment d’argent tels qu’ils existent en droit français. C’est à travers les procédures dites de biens mal acquis que la France s’engage depuis 2010 dans la répression du blanchiment d’argent sur son territoire.  Récemment, soit le 27 octobre 2017,  le Tribunal correctionnel de Paris condamne Teodorin Obiang, le vice-président de la Guinée Équatoriale à 3 ans d’emprisonnement, à 30 millions d’euros d’amende et à la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français. C’était alors le premier haut dirigeant étranger jugé dans le cadre de ces procédures, puisqu’à ce jour, d’autres procédures d’enquêtes sont en cours au sujet d’autres personnalités africaines. 

  

Puisque les procédures susmentionnées sont des procédures pénales, l’amende est une créance payable à l’État et la victime ne touche rien. Comment donc permettre une réparation des victimes qui s’obtient normalement par le biais de la procédure civile ? À cela, le droit positif international, auquel se conforme le droit français (en vertu de l’article 55 de la Constitution de la République française), présente une piste vers une réponse. 

  

Le 11 juillet 2005, la France ratifie la Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC), et le 25 avril 2008, elle adhère à la Convention civile sur la corruption (CCC) du Conseil de l’Europe. De portée plus large que la CCC, la CCNUC établit dans son chapitre III plusieurs infractions dont la corruption, le détournement, le trafic d’influence, l’abus de fonctions, l’enrichissement illicite, le blanchiment, le recel et même la participation, la tentative ou la préparation de telles infractions. La CCC quant à elle porte essentiellement sur la corruption, telle que définie à son article 2. 

  

Ces conventions internationales contiennent des dispositions qui permettent aux victimes d’entamer des procédures civiles afin d’obtenir une réparation a priori économique qui peut se traduire par des dommages-intérêts ou par d’autres ordonnances, telles que la reconnaissance d’un droit de propriété qui permettrait la confiscation et la restitution des avoirs (Voir CCC, art 1 et 3(2); CNUCC, art 51, 53, 54(1)b) et 57). D’autres formes de réparations pour les préjudices extrapatrimoniaux sont envisagées, telles que la publication du jugement dans la presse. 

  

Généralement, six (6) conditions doivent être remplies dans le cadre de ces procédures civiles. Premièrement, la France doit avoir compétence à l’égard de l’acte de corruption allégué (CNUCC, art 42). Deuxièmement, l’acte de corruption doit être prohibé par le droit pénal de la France (CCC, art 1; CNUCC, art 23(2)c) ; CNUCC, 30(9)). Troisièmement, le défendeur doit être l’auteur de l’acte de corruption allégué (CCC, art 4(1)I); CCNUCC, préambule et art 35). Quatrièmement, le demandeur doit avoir subi un préjudice ou dommage (CCC, art 4(1)II); CNUCC, art 35). Cinquièmement, il doit exister un lien de causalité entre l’acte de corruption et le dommage du demandeur (CCC, art 4(1)III); CNUCC, art 35). Enfin, le demandeur doit respecter les délais de prescription applicables en France (CCC, art 7(1); CNUCC, art 29). 

  

Si telle procédure civile est possible selon les conventions, il faut savoir qu’elles sont applicables à condition que les États les mettent en œuvre, ce qui confère une certaine latitude aux États (voir par exemple le commentaire 44 du Rapport explicatif de la CCC sur la capacité des tierces parties de se prévaloir du recours). C’est dans les rapports de la Conférence des États Parties et du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), entités respectivement instaurées par la CNUCC (art 63) et la CCC (art 14) pour examiner l’application des conventions, que l’on retrouve les mesures prises par la France. Selon ces rapports, la France présente un haut degré de conformité aux conventions. 

  

Les infractions créées par les deux conventions se retrouvent désormais dans le Code pénal (CP) français et, dans le cas où elles ne le sont pas, d’autres infractions poursuivent les mêmes objectifs. À titre illustratif, le blanchiment d’argent ou même sa tentative (CNUCC, art 23) sont visés aux articles 324-1, 324-2 (132-71) et 324-6 (125-5) du CP. Le détournement de biens ou sa tentative dans le secteur public (CNUCC, art 17) est couvert par les articles 432-15 et 432-16 du CP. La responsabilité des personnes morales (CNUCC, art 26) est prévue par l’article 121-2 du CP. 

  

En plus du haut degré de conformité au régime international, la France a pris des mesures pouvant servir d’exemple pour les autres États membres. Entre autres, celle portant sur le dommage causé par l’infraction, régie par les articles 1240 et 1241 du Code civil (CC), et par l’article 2 du Code de procédure pénale (CPP). En fait, ces deux conditions placent l’État d’origine du défendeur au premier rang, en tant que demandeur, puisqu’un groupe de personnes ne peut se déclarer propriétaires de tels biens. D’ailleurs, l’article 53 de la CNUCCC mentionne explicitement le terme « État partie ayant subi un préjudice » pour faire référence au demandeur. Il en est de même pour la restitution des biens prévue à l’article 57 de cette même convention. 

  

Puisqu’une procédure civile entamée uniquement par l’État lésé serait inappropriée, étant donné que, dans la plupart des cas, les responsables sont membres du gouvernement lésé, devons-nous nous contenter de cette seule option? Le droit pénal français répond que non. Outre les fondations françaises d’utilité publique et les associations agréées par la France qui peuvent agir pour certaines infractions sans avoir à prouver de préjudice (CPP, arts 2-13), lors des procédures dites de biens mal acquis, la Cour de cassation a reconnu que des associations non gouvernementales légalement constituées (en l’occurrence, Transparency International France) pouvaient agir en justice en raison de la spécificité du but et de l’objet de leur mission, l’absence d’intérêt financier dans le litige. 

  

La France s’est fondée sur la CNUCC qui, dans son préambule (para 11), encourage la participation de telles organisations, dans la prévention et la lutte contre la corruption. Désormais, même sans habilitation et pour toutes les infractions, une association privée peut agir au nom d’intérêts collectifs par application de l’article 2 du CPP dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social. Si telle action est possible, la notion de préjudice reste pertinente pour ces associations qui seront admissibles à agir en justice seulement si l’infraction porte atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent. L’association doit alors justifier des actions entreprises dans le cadre de son objet social et du préjudice matériel (ressources engagées dans la lutte, etc.), corporel ou moral qu’elle a subi (CPP, art 3 et 85). Selon la cour, il suffit de montrer, si possible, l’existence d’un préjudice qui serait causé par l’infraction. 

  

Concernant les autres conditions, la compétence est régie par le Code de procédure civile (CPC). La France serait compétente si soit le défendeur y demeure (CPC, art 42), soit le fait dommageable y a eu lieu (art 46 CPC) ou encore si le dommage y a été subi (CPC, art 46). Le délai de prescription se trouve dans les règles du CC. Il est, selon le droit commun, de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (CC, art 2224). Le droit de propriété, quant à lui, est imprescriptible sauf pour les actions réelles immobilières qui se prescrivent par trente ans (CC, art 2227). 

  

En définitive, la justice française offre deux choix à la victime. Celle d’une action en justice devant une juridiction civile (CPP, art 4, al 1) ou la constitution en partie civile dans le cadre d’une procédure pénale portant sur les mêmes faits (CPP, art 3, al 1). L’avantage du deuxième cas est qu’on obtient une réparation et, en même temps, la condamnation du responsable, en évitant de devoir passer par le procureur et d’attendre qu’une procédure pénale soit enclenchée (CPP, art 4, al 2). Dans un tel cas par contre, il faut plutôt s’enquérir des règles de compétence (CP, art 113-1 à 113-12) et de prescription (CPP, art 7 et 8) pénale. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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