Le 6 novembre 2019, la Cour suprême du Canada a entendu l’affaire impliquant Uber et un de ses conducteurs. Le cœur du litige portait sur une clause qui impose l’arbitrage aux Pays Bas comme seule mesure de résolution de conflit entre l’entreprise multinationale et ses conducteurs. Qu’elle penche d’un bord ou de l’autre, la décision de la Cour suprême aura des effets importants sur le droit en matière de travail et de contrat.
Historique
En 2014, l’entreprise technologique américaine Uber a lancé ses applications mobiles dans les villes du Canada, permettant de jumeler les usagers de l’application avec des conducteurs. Ce service arrive dans la vague de l’économie à la demande. Aujourd’hui, Uber offre aussi le covoiturage et le service de livraison de nourriture UberEATS.
Les usagers peuvent facilement accéder sur demande aux services d’Uber par l’entremise de l’application disponible sur un téléphone intelligent. D’ailleurs, il est tout aussi facile et rapide de devenir conducteur Uber, un emploi qui offre la flexibilité au niveau du travail (para. 102).
L’économie à la demande a créé une nouvelle situation d’emploi qui présente des défis pour les tribunaux quant aux relations entre employés et employeurs.
Uber c. Heller devant la Cour suprême du Canada
Dans la présente affaire, David Heller, un résident de l’Ontario, était employé de la compagnie UberEATS à Toronto depuis février 2016. Lors de son inscription à l’application, M. Heller avait accepté un contrat avec Uber en un seul clic.
Le 6 novembre 2019, la Cour suprême du Canada a tenu l’audience d’Uber Inc. et de M. Heller. En plus des parties, dix-huit intervenants d’expertise diverse étaient aussi présents pour conseiller la Cour. Parmi eux, on retrouvait des spécialistes en arbitrage international ainsi que des avocats experts en domaine de sécurité du revenu.
Une question d’équité ou de stabilité des contrats?
D’abord, il faut comprendre que le contrat signé par les conducteurs Uber comprend des conditions élaborées. On peut notamment y trouver une clause qui impose l’arbitrage comme moyen principal de résolution de litiges entre un chauffeur et la société. Or, l’accès à l’arbitrage entraîne des coûts initiaux d’environ 15 000 $ US et doit avoir lieu à Amsterdam, aux Pays-Bas, où se trouve le siège social d’Uber (para.9).
En deuxième instance, aux paragraphes 62 à 65 de la décision, le juge Nordheimer de la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcé en faveur de M. Heller en déclarant que la clause d’arbitrage est invalide et inique car ce mode alternatif de résolution des conflits n’est pas accessible en raison de la clause d’élection de for.
Parmi les jurisprudences examinées au paragraphe 63 de la décision Heller v. Uber Technologies Inc., le juge Nordheimer a considéré Douez c. Facebook pour justifier son raisonnement. Dans cette affaire, il y avait quatre juges majoritaires et trois juges dissidents. La Cour suprême du Canada a statué que les considérations de politiques publiques dans ce cas l’emportent sur la clause d’élection de for.
La décision de la Cour suprême dans cette affaire aura des effets importants. Une décision de la Cour Suprême en faveur de M. Heller pourrait ouvrir la porte aux conducteurs à l’accès au salaire minimum, aux congés payés et aux procédures de plainte de la Loi sur les normes d’emploi. D’autres parts, si les juges penchent en faveur d’Uber, cela pourrait entraîner une stabilité sur les normes de contrat dans le secteur des technologies selon les normes prévues par l’International Chamber of Commerce (ICC).
L’équité est un concept fondamental en matière de droit contractuel et a fait l’objet de vives discussions d’une part et d’autres au cours de la procédure menée devant la Cour suprême. En principe, un contrat est jugé inique lorsqu’il comprend une importante disparité de pouvoir entre les deux parties. Cela se traduit ensuite dans le pouvoir de négociation des modalités du contrat. Selon la décision du juge Nordheimer, au paragraphe 68, la partie la plus puissante, en l’occurrence Uber, peut parfois tirer profit de cette inégalité en imposant à l’autre partie des modalités jugées abusives rendant le contrat invalide dans certains cas.
Dans cette affaire, la preuve a démontré que le défendeur gagnait entre 21 000 $ et 31 000 $ par année en travaillant à temps plein comme chauffeur. La défense a insisté sur ce point, ainsi que sur le coût initial prohibitif imposé par la clause d’arbitrage pour expliquer le caractère inéquitable de cette clause.
Des effets importants, peu importe le tournant de la décision
La décision de la Cour suprême dans cette affaire aura des répercussions sur plusieurs domaines de droit, notamment en matière de contrats, le droit du travail et la responsabilité des industries de la technologie envers les utilisateurs de leurs applications dans l’économie de marché en pleine croissance.
On peut s’attendre à une décision de la Cour suprême du Canada au cours des prochains mois.
En attendant, consultez notre dossier thématique sur le droit de l’emploi qui porte notamment sur le salaire minimum, les vacances, les questions de discrimination, ainsi que l’avis de cessation d’emploi et la mise à pied
À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.
Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour.