Cour suprême du Canada : Il n’y a pas eu de procès secret

Cour suprême du Canada : Il n’y a pas eu de procès secret

En 2022, la Cour d’appel du Québec a rendu publique une décision caviardée dans laquelle elle dénonçait la tenue d’un « procès secret » dans une cour de première instance (Personne désignée c R, 2022 QCCA 406). La possibilité qu’une personne ait pu être déclarée coupable d’accusations criminelles dans le cadre d’un « procès secret » a soulevé de vives réactions auprès de la population, de la communauté juridique et des médias. Ces réactions sont illustrées dans cet article de blogue : Un procès secret dévoilé.

Cependant, dans sa récente décision (Société Radio-Canada c Personne désignée, 2024 CSC 21), la Cour suprême du Canada affirme qu’il n’y a pas eu de « procès secret ».

 

Rappel des faits

Une personne indicatrice de police est accusée d’infractions criminelles. Elle présente une requête en arrêt des procédures. Comme son statut d’indicatrice est au cœur de la requête, plusieurs mesures de confidentialité sont mises en place :

  • aucun avis n’est envoyé aux médias;
  • la requête est entendue à huis clos;
  • le contenu de la requête, les pièces et les transcriptions sont confidentiels et ne figurent sur aucun plumitif; et
  • la décision relativement à la requête en arrêt des procédures ne porte pas de numéro de dossier.

Le public et les médias découvrent l’existence de cette affaire en raison de la décision de la Cour d’appel du Québec. La Cour y affirme :

« En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués (Personne désignée c R, 2022 QCCA 406, para 11) ».

Des médias, le procureur général du Québec et la juge en chef de la Cour du Québec demandent alors à la Cour d’appel d’obtenir la levée totale ou partielle des ordonnances de mise sous scellés et de caviardage du dossier d’appel, ou d’obtenir un accès à celui-ci (Re Personne désignée c R, 2022 QCCA 984). Le tout est refusé.

 

Procès secret ou huis clos ?

Généralement, « le public peut assister aux audiences et consulter les dossiers judiciaires, et les médias — les yeux et les oreilles du public — sont libres de poser des questions et de formuler des commentaires sur les activités des tribunaux, ce qui contribue à rendre le système judiciaire équitable et responsable » (Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25, para 1). Ce principe de la publicité des débats judiciaires est protégé par le droit constitutionnel à la liberté d’expression (2024 CSC 21, para 27).

L’expression « huis clos » signifie « les portes fermées » (dictionnaire de droit québécois et canadien). Il s’agit d’une exception au principe de la publicité des débats. Le huis clos peut être ordonné pour protéger des intérêts qui ont été identifiés par la jurisprudence ou qui sont expressément prévus dans des textes législatifs. Par exemple, le paragraphe 486 (1) du Code criminel prévoit que le juge peut ordonner que soit exclu de la salle d’audience l’ensemble ou tout membre du public, pour protéger les intérêts suivants :

  • la moralité publique;
  • le maintien de l’ordre ou de la bonne administration de la justice; ou
  • toute atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

En revanche, l’expression « procès secret » n’a pas d’assise en droit canadien, selon la Cour suprême (2024 CSC 21, para 89). Diverses ordonnances de confidentialités peuvent être prononcées dans une instance, mais les « procès secrets » qui ne laisseraient aucune trace ne font pas partie de la gamme des mesures possibles (2024 CSC 21, para 4).

Naturellement, l’utilisation d’une telle expression par le plus haut tribunal d’une province a eu pour effet de susciter de l’inquiétude concernant le système judiciaire. Considérant qu’il n’y a pas eu de « procès secret », mais bien un « huis clos », cette affaire illustre l’importance, pour toutes les parties intervenantes du système, d’utiliser une terminologie juridique exacte.

 

La démarche à suivre

Cela étant, cette affaire a permis à la Cour suprême du Canada de réitérer et de préciser le principe directeur et la démarche proposés par l’arrêt Personne désignée c Vancouver Sun, 2007 CSC 43. Si cet arrêt avait été suivi par le tribunal de première instance, il aurait ordonné le huis clos en créant une instance parallèle dissociée de l’instance criminelle dans laquelle la personne comparaissait publiquement. Cette instance parallèle aurait eu un numéro de dossier qui lui est propre et aurait pu être inscrite au plumitif et au rôle des audiences du tribunal. Une version caviardée de la décision tranchant la requête en arrêt des procédures aurait également pu être publiée (2024 CSC 21, para 82).

La démarche à suivre lorsque le « privilège de l’indicateur de police » est revendiqué est expliquée dans notre résumé : Société Radio-Canada c Personne désignée, 2024 CSC 21 (Résumé).

 


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