La défense de non-responsabilité criminelle (NRC) : Un paradoxe juridique
31 janvier 2025
Introduction
La défense de NRC représente un carrefour entre justice, santé mentale et droits individuels. La défense de NRC en raison de troubles mentaux est un concept fondamental dans le système de justice canadien, car elle reflète des principes de compassion et de protection des droits des personnes atteintes de troubles mentaux. En bref, elle a au cœur l’idée que la justice ne consiste pas uniquement à sanctionner.
Cadre juridique et la défense de NRC
La défense de NRC en raison de troubles mentaux peut être invoquée par les personnes accusées. Chaque personne est présumée ne pas être atteinte de troubles mentaux affectant sa responsabilité criminelle, sauf preuve contraire[1]. Une maladie mentale se définit comme « toute maladie, trouble ou condition anormale qui altère l’esprit humain et son fonctionnement[2]».
Des exceptions à ce que peuvent constituer des troubles mentaux incluent :
- Des états mentaux auto-induits comme l’intoxication, sauf s’il y avait déjà un trouble mental existant étant à l’origine de cet état[3];
- Les états temporaires induits par des facteurs externes comme un traumatisme crânien ou l’hystérie[4];
- Les formes de psychopathie qui n’affectent pas la capacité de la personne accusée à apprécier la nature et la qualité de l’acte ni sa capacité à distinguer le bien du mal[5].
Procédure légale lors de l’invocation de la défense de NRC
Afin d’employer la défense de NRC en raison de troubles mentaux, le premier volet consiste à établir le trouble mental conformément à l’article 16 du Code criminel l’incapacité d’apprécier la nature et la qualité de l’acte ou l’incapacité de savoir si ses actions ou omissions sont répréhensibles[6]. Par exemple, si la personne accusée est atteinte d’une psychose, elle peut être jugée incapable de reconnaître le caractère répréhensible de son acte[7].
Rôle des expertes et experts médicaux
Afin de prendre une décision sur l’état mental de la personne accusée, le tribunal ou la commission d’examen prend en compte l’évaluation de la personne accusée. Celle-ci peut être évaluée par un ou une professionnelle de la santé mentale. Le ou la psychiatre peut interroger les membres de famille de la personne accusée et ordonner des tests médicaux[8]. En vertu de l’article 672.11 du Code criminel, un tribunal peut émettre une Ordonnance d’évaluation de l’état mental de la personne accusée s’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle est nécessaire pour déterminer la responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux au moment de l’infraction et décider des mesures à prendre après un verdict de NRC[9].
Dans d’autres situations, en vertu de l’article 672.121 du Code criminel, la commission d’examen peut ordonner une évaluation si celle-ci est nécessaire pour rendre un verdict de NRC si aucun rapport d’évaluation n’est disponible ou n’a été réalisé depuis un an[10].
Une Ordonnance d’évaluation de l’état mental de la personne accusée implique que celle-ci soit transférée du centre de détention ou de la prison à un hôpital psychiatrique[11]. Lors de l’évaluation, la personne accusée est en contact direct avec des psychiatres, des travailleuses et travailleurs sociaux, ainsi que des psychologues. Lorsque l’évaluation est terminée, le ou la psychiatre rédige un rapport pour le tribunal et peut éventuellement être appelé à témoigner[12].
Conséquences d’une déclaration de NRC : le rôle des tribunaux et des commissions d’examen
Conformément à l’article 672.54 du Code criminel, les conséquences d’une déclaration de NRC sont différentes dépendamment de la situation. Une telle déclaration est prononcée en prenant en compte principalement la sécurité du public, l’état mental de la personne accusée et la réinsertion sociale, entre autres.
- Lorsqu’une décision de NRC en raison de troubles mentaux est prononcée à l’encontre de la personne accusée, une décision d’absolution inconditionnelle peut être rendue si le tribunal ou une commission d’examen provinciale ou territoriale estime que la personne accusée ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;
- Dans d’autres cas, une décision d’absolution sous conditions de la personne accusée est prononcée, assortie de modalités jugées appropriées par le tribunal ou la commission;
- Dans les cas les plus graves, une décision ordonnant la détention de la personne accusée dans un établissement hospitalier est prononcée, avec des modalités fixées par le tribunal ou la commission.
Il est important de souligner que comme les tribunaux, les commissions d’examen, prévues à l’article 672.38 du Code criminel, ont pour mission de rendre ou de réviser des verdicts de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux. Composées de professionnels et professionnelles de la santé mentale, d’avocats et d’avocates, et de membres de la communauté, elles visent à protéger le public tout en respectant les droits de la personne accusée
Critiques de la défense de NRC
Les critiques à l’égard de la défense de NRC soulignent que ce dispositif peut minimiser le sentiment de justice pour les victimes puisque les personnes accusées ne répondent pas aux conséquences des actes criminels qu’elles ont posés. De plus, dans les cas de libération avec conditions, sous la supervision des commissions d’examen, la notion de sécurité publique est importante puisque ce résultat peut sembler trop permissif dans les cas de récidives violentes après la libération[14].
À l’opposé, les personnes en faveur de la défense soulignent qu’une personne qui n’est pas en mesure de comprendre la nature de ses actes en raison de troubles mentaux graves ne devrait pas être punie comme une personne consciente de ses actions[15]. D’ailleurs, cette idée serait incompatible avec les valeurs d’égalité de la Charte canadienne des droits et libertés.
Perception publique et stigmatisation des personnes déclarées NRC
Le recours à la défense de NRC est souvent mal compris par le public. Il peut percevoir ces déclarations comme une échappatoire injuste aux conséquences des crimes graves puisque les personnes accusées sont traitées comme des patientes et non comme des criminelles. Cette perception alimente la stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux, les considérant comme dangereuses ou imprévisibles.
La stigmatisation peut également affecter leur réinsertion sociale, malgré les efforts des commissions d’examen pour surveiller et accompagner les personnes NCR afin d’assurer la sécurité publique et leur réhabilitation. En somme, l’opinion publique se centre autour de l’existence d’une hiérarchie des droits entre les personnes qui sont considérées comme plus méritantes, plus précisément les victimes, et les personnes accusées qui sont considérées comme étant inférieures[17].
De plus, pour les victimes et leurs familles, les déclarations de NRC peuvent aggraver la douleur et les sentiments d’injustice, car le processus judiciaire met l’accent sur la santé mentale de la personne accusée plutôt que sur le préjudice subi. Il est donc nécessaire de trouver un juste équilibre entre la compassion pour les personnes souffrant de troubles mentaux et la protection de la sécurité publique.
Conclusion
En fin de compte, la défense de NRC illustre les tensions complexes entre justice, sécurité publique et santé mentale. Bien que contestée, cette défense offre un cadre pour traiter avec humanité des situations où un trouble mental brouille les frontières entre culpabilité et innocence. Face à ces défis, il faut continuer à affiner cet équilibre délicat, en intégrant compréhension, compassion et vigilance.
Pour en savoir davantage et enrichir votre compréhension quant au droit pénal, référez-vous au document de référence des arrêts clés en droit criminel et pénal.
[1] Code criminel, LRC 1985, c C-46 au para 16(2).
[2] R v Gajewski, 2011 ONSC 1697 au para 64.
[3] R c Turcotte, 2013 QCCA 1916 au para 108.
[6] Jessyca Greenwood and Dean Embry in The Criminal Law Ebook, Brent Anderson, Joven Narwal and Tony Paisana (eds.), Canadian Legal Information Institute, 2022 CanLIIDocs 3273, < https://www.canlii.org/en/commentary/doc/2022CanLIIDocs3273#!fragment/zoupio-_Toc171690633/BQCwhgziBcwMYgK4DsDWszIQewE4BUBTADwBdoAvbRABwEtsBaAfX2zgEYB2DgNgE4ADLwDMIgJQAaZNlKEIARUSFcAT2gByDZIiEwuBEpXqtOvQZABlPKQBC6gEoBRADJOAagEEAcgGEnkqRgAEbQpOzi4kA> à la section 8.11.
[7] R c Oommen, [1994] 2 RCS 507.
[8] Shannon Bettridge et Howard Barbaree, « The forensic mental health system in Ontario » (2008) à la p 21, en ligne (pdf) : Centre for Addiction and Mental Health < https://www.camh.ca/-/media/health-info-files/guides-and-publications/forensic-guide-en.pdf >.
[14] Keith Lenton, A Tough Pill to Swallow: Criminal Culpability arising from an Avoidable NCR State, 2011 35-1 Manitoba Law Journal 143, 2011 CanLIIDocs 244, <https://canlii.ca/t/2c80> à la p 152.
[16] Miller, T. « Framed: A Canadian news media analysis of accused persons deemed not criminally responsible on account of mental disorder » (2016) à la p 41, en ligne (pdf) : SFU < https://summit.sfu.ca/_flysystem/fedora/sfu_migrate/16395/etd9553_TMiller.pdf >.