Le 23 mars 2022, la Cour d’appel du Québec a rendu publique la décision Personne désignée c R, 2022 QCCA 406, une décision caviardée qui soulève des préoccupations importantes. On y découvre l’existence d’un procès criminel tenu au Québec, mais dont il n’y a aucune trace.
Résumé de l’affaire
Personne Désignée (que l’on nommera ici « PD ») est indicatrice de police. Après avoir révélé l’existence d’un crime aux policiers, elle est accusée et déclarée coupable de sa participation dans ce crime. Lors de son procès tenu en secret, PD prétend que l’accusation portée contre elle constitue un abus de procédure. Le juge n’est pas convaincu de cela. PD porte ensuite sa cause en appel et avance que la conclusion du juge de première instance est erronée. L’appel est accueilli et l’arrêt des procédures est prononcé.
L’État a une obligation de renseignement. PD aurait dû être informée par les policiers qu’une immunité n’accompagne pas le privilège d’informateur. Or, dans cette affaire, les policiers insistent sur l’importance de leur dire la vérité, sans lui donner d’explication satisfaisante à cet effet. Étant donné le comportement des policiers lors de leurs échanges, PD pouvait raisonnablement croire que si elle divulguait un crime auquel elle avait participé, et pour lequel les policiers avaient un intérêt, elle ne serait pas accusée. Dans les circonstances de l’affaire, le fait de porter des accusations est choquant.
L’autre aspect alarmant : n’eût été la décision de la Cour d’appel, personne n’aurait entendu parler de cette affaire! En effet, avec l’aval du juge de première instance, les parties ont décidé de procéder à « huis clos complet et total », prétendument pour protéger l’identité de PD. Aucune trace du procès n’existe :
- Aucun numéro formel ne figure sur le jugement de première instance;
- Les témoins ont été interrogés hors cour;
- Les parties ont demandé au juge de trancher sur la base des transcriptions, dans le cadre d’une audience secrète;
- Le jugement de première instance est gardé secret;
- Le dossier d’appel est ouvert de façon parallèle à la procédure habituelle;
- Et l’audience en appel s’est déroulée dans le secret absolu.
Principes fondamentaux
Les policiers n’ont jamais informé PD de son droit au silence, et la preuve ne démontre pas qu’ils lui ont suggéré de consulter un avocat. L’État a manqué à son devoir d’information. PD a renoncé à plusieurs droits constitutionnels sans être adéquatement éclairée, ou en toute connaissance de cause. De surcroît, la procédure dans cette affaire est démesurée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice.
Le droit à un procès public et équitable, protégé par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, garantit à l’inculpé :
- Le droit à une défense pleine et entière, qui exige de pouvoir présenter les éléments de preuve qui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite (R c Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p 608);
- Le droit aux garanties fondamentales en matière de preuve et de procédure;
- Le droit à l’intégrité du processus judiciaire et le droit de faire réviser l’abus de procédures.
Une audience publique et le droit à ce que les médias aient accès à la salle d’audience, et rapportent ce qui s’y déroule, permet au public de s’assurer que le système judiciaire continue de « tenir des procès équitables, et non de simples apparences de procès où la culpabilité est décidée d’avance » (R c Mentuck, 2001 CSC 76, au para 53).
Le principe de la publicité des débats judiciaires est également protégé par l’alinéa 2b) de la Charte et est profondément enraciné dans notre tradition de common law. Ce principe n’est pas absolu et dans certaines circonstances il convient de protéger certains renseignements ou, comme dans le cas présent, protéger l’identité d’un informateur. Sans garder un procès dans le secret absolu, nos tribunaux ont maintes fois tenu compte de ces circonstances et ont limité la publicité des débats par des ordonnances de non-publication, de mise sous scellés ou de huis clos. Une personne peut également être autorisée à comparaître en utilisant un pseudonyme. D’ailleurs, dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec a demandé qu’un dossier au greffe de la Cour soit ouvert, sujet à une ordonnance de le garder sous scellés.
La découverte d’un procès aussi secret, à l’abri de tout regard pouvant y juger la légitimité du processus, ou même la partialité du décideur, soulève de vives réactions.
Réactions
Des explications sont exigées. Notamment, après avoir tenté de découvrir l’identité du juge impliqué, la juge en chef de la Cour du Québec demande d’obtenir sous scellés le dossier complet de première instance ou les éléments pertinents permettant de le reconstituer. Le ministre de la Justice du Québec demande également à la Cour d’appel d’identifier le juge et les avocats qui ont été impliqués. De plus, le chef syndical du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, qui représente les greffiers-audienciers, huissiers-audienciers, sténographes et agents de bureau, a annoncé que des vérifications seront faites.
En outre, un front commun d’organisations journalistiques a présenté une requête demandant l’annulation des ordonnances de confidentialité et de mise sous scellés du dossier. Dénonçant le débat qui s’est fait secrètement, ils demandent également un nouveau débat sur les informations qui devraient rester confidentielles, ou pas, dans cette affaire.
Questions sans réponse
Nous ignorons toujours dans quel district le procès s’est déroulé, le nom des avocats impliqués, ou encore s’il y avait du personnel présent lors de l’audience. Nous ne connaissons pas non plus l’identité du juge de première instance qui a autorisé une telle procédure, ni s’il provenait de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec.
Rappelons que le Code de déontologie de la magistrature, qui s’applique, entre autres, aux juges de la Cour du Québec, prévoit que le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit (art 1). Cette obligation doit être respectée lors de l’audience et dans la manière de rendre jugement. Quant aux juges de la Cour supérieure, bien qu’ils ne disposent pas d’un Code de conduite, ils devraient idéalement avoir une conduite conforme aux Principes de déontologie judiciaire.
Le juge a-t-il délibérément dérogé de nos principes juridiques fondamentaux? S’agit-il d’un cas isolé ou récurent? Seule la suite nous le dira…
Pour connaître la suite de cette affaire, consultez: