Société Radio-Canada c Personne désignée, 2024 CSC 21 (Résumé)

 

Société Radio-Canada c Personne désignée, 2024 CSC 21 est un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit criminel.

FAITS

Personne désignée est une indicatrice de police qui fait l’objet d’accusations criminelles. Elle présente une requête en arrêt de procédures fondée, notamment, sur la conduite abusive de l’État en lien avec le dépôt des accusations. Aucun avis n’est envoyé aux médias et la requête est entendue à huis clos. Son contenu, les pièces et les transcriptions sont confidentiels et ne figurent sur aucun plumitif. Le juge rejette la requête. Cette décision ne porte pas de numéro de dossier et son existence est inconnu du public. Personne désignée est ensuite déclarée coupable des accusations. Elle interjette appel.

 

La Cour d’appel du Québec ouvre un dossier à son greffe assorti d’une ordonnance de mise sous scellés. L’audition de l’appel se déroule à huis clos et les médias ne sont pas avisés. La Cour accueille le pourvoi et dénonce la tenue d’un « procès secret ». Elle exprime son désaccord avec l’étendue des mesures de confidentialité mises en place pour le procès de Personne désignée. Elle rend publique une version caviardée de son arrêt (Personne désignée c R, 2022 QCCA 406).

 

Que Personne désignée puisse avoir été déclarée coupable au terme d’un « procès secret » a pour effet d’alarmer la population et les médias. Des médias, le procureur général du Québec et la juge en chef de la Cour du Québec demandent alors à la Cour d’appel de réviser les ordonnances de confidentialité (Re Personne désignée c R, 2022 QCCA 984). La Cour confirme la mise sous scellés de tous les renseignements susceptibles d’identifier la personne. Elle refuse également de desceller partiellement le dossier d’appel au moyen d’un caviardage. Les médias et le procureur général du Québec font appel de cette décision.

 

QUESTIONS EN LITIGE

1. Afin de rendre la démarche davantage respectueuse du principe de la publicité des débats judiciaires, la démarche énoncée dans l’arrêt Personne désignée c Vancouver Sun, 2007 CSC 43 doit-elle être modifiée ?

 

2. En quoi consiste l’application du principe directeur de Vancouver Sun lors de la mise en œuvre d’un huis clos?

 

3. La Cour d’appel a-t-elle fait erreur en refusant de modifier ou d’annuler ses ordonnances de confidentialité (Société Radio-Canada c Personne désignée, 2024 CSC 21, para 22) ?

 

RATIO DECIDENDI

Le tribunal doit protéger le privilège de l’indicateur de police tout en réduisant au minimum, autant que possible, toute atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires.

 

ANALYSE

1. La publicité des débats judiciaires et la démarche de Vancouver Sun

Le principe de la publicité des débats judiciaires est un pilier de notre société libre et démocratique. Ce n’est que dans de rares exceptions que les tribunaux peuvent prononcer des ordonnances de confidentialité le restreignant. L’une de ces exceptions est celle du « privilège de l’indicateur de police » (2024 CSC 21,  paras 27-32). Lorsque ce privilège est revendiqué, le tribunal doit suivre la démarche proposée dans l’arrêt Vancouver Sun. Un seul principe directeur guide cette démarche: « donner plein effet aux exigences de ce privilège extrêmement large et impératif en vertu duquel toute divulgation de l’identité de l’indicateur est absolument interdite, tout en réduisant, autant que faire se peut, l’atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires » (2024 CSC 21,  para 47).

  • À la première étape de la démarche, le tribunal doit vérifier l’existence du privilège. Pour ce faire, il tient une audience à huis clos, en présence du ministère public et de l’indicatrice ou l’indicateur de police, ou, s’il y a lieu, ex parte (en présence d’une seule partie). Exceptionnellement, les membres du « cercle du privilège » peuvent assister à l’audience, par exemple une policière ou un policier appelé à témoigner sur l’existence du privilège (2024 CSC 21, para 48).
  • Une fois que le tribunal a conclu à l’existence du « privilège de l’indicateur de police », il détermine les mesures appropriées afin de protéger ce privilège. Les mesures appropriées dépendent des circonstances uniques de chaque affaire. Le tribunal doit aussi favoriser, autant que possible, le principe de la publicité des débats judiciaires, le droit d’être entendu et le caractère contradictoire des débats. À sa discrétion, le tribunal peut décider de diffuser un avis public invitant les tiers intéressés, dont les médias, à présenter des observations. Il peut également recourir à l’assistance d’un·e amicus curiae pour l’éclairer sur la question. Il doit alors leur communiquer un maximum de renseignement, en veillant à ce qu’aucun renseignement susceptible de compromettre l’anonymat de l’indicatrice ou l’indicateur de police ne soit communiqué (2024 CSC 21, paras 49-51).

Des médias soutiennent qu’il faut modifier la seconde étape de la démarche. Ils suggèrent, notamment, d’imposer l’obligation de diffuser un avis public lorsque le privilège de l’indicateur de police est revendiqué et que les mesures appropriées seront débattues. Cela empêcherait qu’une affaire ne soit subtilisée aux yeux du public. Selon eux, il faudrait également fournir aux tiers intéressés, ou à leurs avocat·es, l’ensemble des renseignements qui ne permettent pas d’identifier directement l’indicatrice ou l’indicateur, moyennant des engagements de confidentialité. À défaut de la communication de ces renseignements, les tiers intéressés, ou seulement leurs avocat·es, devraient être informé·es de la nature de l’information que l’on cherche à soustraire au public et le motif qui le justifie, afin de pouvoir en débattre (2024 CSC 21, paras 52, 53).

 

La Cour suprême est d’avis qu’il n’y a pas lieu de rompre avec la jurisprudence. Le pouvoir discrétionnaire de diffuser un avis se justifie par le fait que nul ne jouit d’un droit constitutionnel d’être informé de toutes les instances dans lesquelles le privilège de l’indicateur est revendiqué. De plus, dans certains cas, une règle rigide pourrait empêcher l’anonymat de l’indicatrice ou de l’indicateur. En outre, la communication d’informations privilégiées, même assortie d’engagements de confidentialité, minerait l’atteinte du double objectif visé par le privilège: la protection de l’anonymat des indicatrices et indicateurs actuels et l’incitation d’autres personnes à collaborer avec la police dans le futur (2024 CSC 21, paras 55-65).

 

2. L’application du principe directeur de Vancouver Sun lors de la mise en œuvre d’un huis clos

Une fois la nécessité d’un huis clos constaté, il faut le mettre en œuvre en favorisant des ordonnances de confidentialité qui ne soustraient pas entièrement, ni indéfiniment, à la connaissance du public l’existence de l’audience à huis clos ou d’un jugement rendu à l’issue de celle-ci. Cela permet aux tiers intéressés de déposer une requête en révision des ordonnances et d’éviter que le pouvoir judiciaire ne se soustraie à toute forme d’imputabilité (2024 CSC 21, paras 72-73).

 

À cet effet, il est possible de créer une instance parallèle entièrement dissociée de l’instance publique dans lequel est initialement invoqué le privilège de l’indicateur. Bien que sous scellés, le dossier de l’instance parallèle créée dispose d’un numéro de dossier qui lui est propre. Sous réserve du caviardage des renseignements susceptibles de révéler l’identité de l’indicatrice ou de l’indicateur, il est généralement possible d’inscrire l’instance au plumitif et au rôle, et de rendre un jugement public. En l’espèce, après avoir constaté la nécessité d’un huis clos, le juge de première instance aurait dû ordonner le huis clos en créant une instance parallèle (2024 CSC 21, paras 74-82).

 

3. Les ordonnances de confidentialité rendues par la Cour d’appel

La décision de la Cour d’appel d’ouvrir un dossier au greffe et de rendre publique une version caviardée de ses arrêts est bien fondée. Les circonstances particulières et inusitées de l’affaire justifient l’ampleur du caviardage des deux arrêts de la Cour d’appel, afin de ne pas compromettre l’anonymat.

 

Concernant la décision de la Cour d’appel de maintenir l’ordonnance de mise sous scellés de l’entièreté du dossier d’appel, celle-ci a commis une erreur en refusant de rendre publique une version caviardée du jugement de première instance. Il s’agit d’une tâche réalisable qui favorise la publicité des débats judiciaires. Toutefois, le principe de prudence qui doit guider les tribunaux dans la protection de l’anonymat impose de garder sous scellés le reste du dossier d’appel. Selon la Cour suprême, un descellement partiel emporte en l’espèce un risque trop élevé d’erreurs (2024 CSC 21, paras 84-88).

 

DISPOSITIF

La Cour suprême du Canada accueille partiellement les pourvois et renvoie l’affaire à la Cour d’appel du Québec pour qu’elle rende publique une version caviardée du jugement de première instance incluse dans le dossier d’appel, après avoir consulté les parties intimées sur une proposition de descellement partiel et de caviardage (2024 CSC 21, para 93).

 


 

Pour en savoir plus sur cette affaire, consultez nos articles de blogue sur le sujet :