L’évolution de la Cour suprême du Canada : 150 ans de justice et de décisions marquantes
11 mars 2025
Introduction
Le 8 avril 1875 marque la création de la Cour suprême du Canada (CSC), l’unique tribunal de dernière instance à la fois bilingue et bijuridique au monde[1]. En tant que pilier central du système judiciaire canadien, la CSC joue un rôle clé dans l’évolution du droit et de la société par son engagement envers les principes d’ouverture, de transparence et d’indépendance judiciaire[2].
La naissance de la Cour suprême : Un long chemin vers l’indépendance
Avant la création de la CSC, le Canada n’avait pas de juridiction nationale ultime pour trancher les différends. Après des tentatives infructueuses en 1869 et 1870, la CSC a été créé en 1875 conformément à la Loi constitutionnelle de 1867. Cette création est le fruit des efforts de nombreux politiciens.
Toutefois, jusqu’en 1949, les décisions de la CSC pouvaient encore être contestées devant le Comité judiciaire du Conseil privé. Ce n’est qu’après cette date, que la CSC est devenue le plus haut tribunal du pays, consolidant ainsi l’autonomie judiciaire canadienne[3].
De tribunal d’appel à gardienne des droits : L’évolution de la Cour suprême du Canada
La CSC compte un juge en chef et huit juges, nommés par le gouverneur en conseil. Trois des juges doivent être originaires du Québec, trois autres doivent venir de l’Ontario, un de l’Atlantique et deux de l’Ouest, avec une rotation pour l’Atlantique et les Prairies[4].
La CSC rend non seulement des jugements, mais conseille aussi le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux sur des questions importantes d’interprétation constitutionnelle ou législative. Elle a rendu des décisions marquantes, notamment le Renvoi sur le rapatriement en 1981 et le Renvoi sur la sécession du Québec en 1998[5].
Les décisions qui ont transformé le Canada
Au fil des décennies, la CSC a rendu des jugements déterminants qui ont façonné le droit canadien et influencé les valeurs du pays. Parmi les décisions les plus marquantes :
- L’arrêt R c Beaulac[6] est une décision clé en matière de droits linguistiques au Canada. L’affaire portait sur le droit d’une personne accusée francophone d’être jugée dans la langue de son choix en vertu de l’article 530 du Code criminel[7]. La CSC a statué que les droits linguistiques sont des droits fondamentaux qui doivent être interprétés de manière large et réparatrice[8]. Elle a affirmé que ces droits visent l’égalité réelle et non seulement formelle[9], marquant donc une avancée significative en établissant que les droits linguistiques doivent être appliqués de façon systématique et non discrétionnaire[10].
- L’arrêt R c Morgentaler[11], est une décision constitutionnelle qui a profondément influencé le cadre juridique de l’avortement au pays. Avant ce jugement, l’article 251 du Code criminel encadrait strictement l’accès à l’avortement, requérant son approbation par un comité de l’avortement thérapeutique d’un hôpital accrédité ou approuvé[12]. La majorité de la Cour a conclu que l’article 251 violait le droit des femmes à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l’article 7 de la Charte d’une manière non conforme avec les principes de justice fondamentale[13]. D’ailleurs, il a été souligné que la décision de poursuivre une grossesse relevait de l’autonomie personnelle de la femme[14].
- L’arrêt R c Sparrow[15], est une décision phare en ce qui a trait aux droits ancestraux des peuples autochtones en vertu de de la Loi constitutionnelle de 1982. Ronald Sparrow, membre de la Nation Musqueam, était accusé d’avoir pêché avec un filet plus long que ce qui était permis, ce à quoi il a répondu qu’il exerçait un droit ancestral de pêche protégé par l’article 35[16]. La CSC a affirmé que les droits ancestraux existants sont protégés par la Constitution. La Cour a également établi que toute atteinte à un droit ancestral protégé par l’article 35 doit être justifiée par le gouvernement[17]. Pour analyser la validité d’une restriction imposée à un droit ancestral, un objectif législatif valide et une atteinte minimale au droit sont requis[18].
- Le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe[19], visait à répondre à des questions concernant la constitutionnalité du mariage entre personnes du même sexe au Canada. La CSC a souligné que le mariage était une institution évolutive devant s’adapter aux changements de la société canadienne pluraliste[20]. De plus, il a été souligné que l’extension du mariage aux couples du même sexe ne portait pas atteinte aux droits des autres et favorisait l’égalité conformément à la Charte[21].
- L’arrêt R c Keegstra[22], est une décision marquante en ce qui a trait à la liberté d’expression et la propagande haineuse. Il était question de savoir si le paragraphe 319(2) du Code criminel, qui interdit la promotion volontaire de la haine, violait le droit à la liberté d’expression protégé par l’alinéa 2b) de la Charte. La CSC a conclu que bien que le paragraphe 319(2) porte atteinte à la liberté d’expression, cette atteinte est justifiée dans une société libre et démocratique. En effet, la restriction visait à prévenir les effets nuisibles de la propagande haineuse qui priverait les personnes du respect et de la dignité en raison de leurs caractéristiques raciales ou religieuses[23].
Un rôle crucial à l’ère moderne
Alors que la société évolue, la CSC continue d’être une actrice centrale dans l’interprétation du droit. il s’inscrit dans une volonté plus large de renforcer la protection des données personnelles et de s’adapter aux avancées technologiques. En effet, la CSC garantit un équilibre entre tradition et progrès.
L’influence de la Cour suprême au-delà des frontières
Finalement, la CSC est reconnue comme un leader au sein de la communauté juridique internationale. En effet, les juges participent fréquemment à des échanges judiciaires avec d’autres tribunaux du monde et la CSC est membre de nombreuses organisations internationales telles que l’Association des cours constitutionnelles francophones[26]. En jouant un rôle actif sur la scène internationale, la CSC répand les valeurs de l’accès à la justice et de l’indépendance judiciaire[27].
[1] Cour suprême du Canada, Les 150 ans de la Cour suprême du Canada, en ligne : https://www.scc-csc.ca/150/index_fra.html.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] The Canadian Encyclopedia, Supreme Court of Canada, en ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/supreme-court-of-canada.
[5] Ibid.
[6] [1999] 1 RCS 768.
[7] Ibid au para 7.
[8] Ibid au para 56.
[9] Ibid au para 24.
[10] Ibid au para 29.
[11] [1988] 1 RCS 30.
[12] Ibid à la p 33.
[13] Ibid à la p 36.
[14] Ibid.
[15] [1990] 1 RCS 1075.
[16] Ibid à la p 1076.
[17] Ibid à la p 1078.
[18] Ibid.
[19] 2004 CSC 79.
[20] Ibid au para 22.
[21] Ibid au para 46.
[22] [1990] 3 RCS 697.
[23] Ibid à la p 764.
[24] Ministère de la Justice du Canada, Projet de loi C-27 : Loi édictant la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données et la Loi sur l’intelligence artificielle et les données et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, en ligne : https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c27_1.html.
[25] Ibid.
[26] Cour suprême du Canada, Engagement envers les Canadiens et Canadiennes, en ligne : https://www.scc-csc.ca/about-apropos/work-travail/engagement/.
[27] Ibid.