2023
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À propos de la ressource
R c Beaver, 2022 CSC 54 (Résumé)
Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit pénal.
FAITS
Il s’agit des pourvois de James Andrew Beaver et de Brian John Lambert à la suite d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta confirmant leur culpabilité pour homicide involontaire. La victime est Sutton Bowers. C’est le 9 octobre 2016 que Lambert a fait appel au service d’urgence 9-1-1. Il a mentionné que lui et Beaver avaient constaté que Bowers était mort dans une flaque de sang dans la maison en rangée qu’ils partageaient ensemble à Calgary et appartenant au père de Bowers. Lambert a précisé à l’opérateur du 9-1-1 qu’il ne savait pas comment Bowers était décédé. Néanmoins, il a admis qu’il y avait eu « des altercations toute la semaine » entre les trois colocataires. La veille, Bowers leur avait dit de « ficher le camp ». Les policiers sont venus sur les lieux. Ils ont détenu illégalement Lambert et Beaver et les ont amenés au poste de police, mais sans mandat d’arrestation. À priori, lorsqu’ils ont été interrogés, Lambert et Beaver ont nié connaître les causes du décès de Bowers. Plus tard, tous deux ont toutefois avoué avoir tué Bowers pendant une bagarre. Les deux hommes ont alors trainé le corps de Bowers au pied de l’escalier et feint une mort accidentelle. Au procès, l’admissibilité de ces confessions était mise en cause. D’une part, le juge de première instance a conclu que les aveux de Lambert et Beaver étaient admissibles et d’autre part, qu’ils n’avaient pas été obtenus d’une manière attentatoire à la Charte canadienne des droits et libertés.
QUESTIONS EN LITIGE
- En l’espèce, Beaver a-t-il fait sa confession sur une base volontaire ?
- Les policiers avaient-ils des « motifs raisonnables et probables » de détenir et d’arrêter Lambert et Beaver pour cause de meurtre ?
- Les confessions des appelants ont-elles été obtenues dans des conditions allant à l’encontre des droits garantis à l’article 24(2) de la Charte ?
RATIO DECIDENDI
Le « nouveau départ »
La police peut prendre un « nouveau départ » en respectant ultérieurement la Charte, bien que le respect ultérieur n’entraîne pas un « nouveau départ » dans tous les cas.
Lorsque la police prend un « nouveau départ » à la suite d’une violation antérieure à la Charte, les éléments de preuve recueillis ne seront pas considérés comme étant attentatoires à la Charte. Tout lien temporel, contextuel et causal doit alors être rompu entre les violations de la Charte et les confessions obtenues. Par surcroît, « le lien doit être éloigné ou ténu ».
ANALYSE
Arrestation sans mandat
Dans cette affaire, il y a eu une arrestation sans mandat. Généralement, lorsque le policier procède à une telle arrestation, il doit subjectivement avoir des « motifs raisonnables et probables » pour agir ainsi. En outre, il faut que les motifs en question soient objectivement justifiables. Dans ce cas, la crédibilité du policier doit être évaluée. La norme utilisée pour l’appréciation des « motifs raisonnables et probables » est plus stricte que celle adoptée pour des « soupçons raisonnables ».
Les policiers n’ont pas pris des notes détaillées au sujet des motifs qu’ils avaient de procéder à une arrestation sans mandat de Lambert et Beaver. Par conséquent, les appelants maintiennent qu’en l’absence de notes concomitantes. La Cour ne peut déterminer la présence de motifs d’arrestation subjectifs. Toutefois, le tribunal a conclu que le témoignage du détective Vermette indique que celui-ci avait des « motifs raisonnables et probables » de procéder à l’arrestation des deux appelants pour meurtre. Le détective Vermette avait à sa disposition des renseignements convaincants démontrant que la mort de Bowers était suspecte et que Lambert et Beaver avaient un mobile pour tuer la victime. Somme toute, bien que les notes concomitantes des policiers soient souhaitables, la Cour a déterminé qu’elles ne sont pas forcément obligatoires dans le cadre d’une arrestation sans mandat.
« Nouveau départ »
La Cour a établi que la confession de Beaver était à la fois volontaire et admissible en vertu de la règle des confessions reconnue en common law. Dans ce cas, la police n’avait pas pris un « nouveau départ ». La confession volontaire n’était donc pas entachée par une confession antérieure non volontaire. Beaver avait fait des aveux, mais ceux-ci ne découlaient pas de sa détention illégale, mais étaient plutôt attribuables à la confession de Lambert provenant de l’enregistrement magnétoscopique. De ce fait, le tribunal a déterminé qu’il n’y avait pas de lien causal entre les violations de la Charte et les éléments de preuve considérés. Pour Lambert, les détectives ont bel et bien pris un « nouveau départ » à la suite de sa détention illégale. Cependant, sa confession a eu lieu 12 heures après son arrestation pour meurtre. C’est pourquoi la Cour a établi que les liens entre les violations de la Charte et ses déclarations étaient « éloignés et ténus ». Essentiellement, il n’y avait pas de lien temporel, contextuel et causal dont il fallait tenir compte.
Paragraphe 24(2) de la Charte
Afin de déterminer si l’utilisation des éléments de preuves obtenus au moyen d’une conduite attentatoire à la Charte pourrait déconsidérer l’administration de la justice, le tribunal doit soupeser les répercussions de cette utilisation sur la confiance du public envers notre système judiciaire. Les trois questions soulevées dans l’arrêt R c Grant sont donc mises en balance :
(1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État ;
(2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte ; et
(3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.
Eu égard aux circonstances de l’affaire, les éléments de preuve obtenus de manière inconstitutionnelle ne seront pas retenus si leur utilisation pouvait potentiellement mener à une déconsidération de l’administration de la justice. En l’espèce, les droits protégés à l’article 9 et aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte ont été violés au moment de la détention illégale de Lambert et Beaver à la maison de Calgary. Il n’y avait pas de motif de les détenir pour fins d’enquête en vertu de la common law et d’après la Medical Examiners Act, c’est-à-dire un texte législatif inexistant.
Pour répondre à la troisième question, la Cour se rapporte au paragraphe 90 de l’arrêt R c Lafrance. Les effets cumulatifs des deux premières questions doivent être soupesés. Notamment, la troisième question « fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve lorsque les deux premières questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion ». En l’espèce, l’utilisation de la confession de Beaver en tant qu’élément de preuve ne mènerait pas à une déconsidération de la justice, car l’intérêt public justifie son admission.
DISPOSITIF
La majorité de la Cour suprême du Canada conclut que les éléments de preuve doivent être inclus et les pourvois rejetés.
Pour en découvrir plus, consultez notre schéma juridique sur l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.