Conseil scolaire de district de la région de York c Fédération des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22 (Résumé)

Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit constitutionnel  

 

FAITS

Mme Rai et Mme Shen, enseignantes de 2e année à l’école Mount Joy en Ontario, ont tenu un journal privé dans un document Google protégé par un mot de passe pour exprimer leurs préoccupations au travail. Le directeur, M. Pettigrew, ayant appris l’existence de ce journal, a accédé sans autorisation à leur ordinateur scolaire pour le lire et en prendre des captures d’écran, les utilisant pour émettre des avertissements disciplinaires. Le syndicat des enseignantes a contesté cette action en invoquant une atteinte à leur droit à la vie privée au travail.

 

L’arbitre a conclu que les enseignantes avaient une attente réduite de confidentialité concernant les ordinateurs de l’école, qui étaient partagés et destinés à un usage professionnel. Mme Shen ayant laissé son journal ouvert et M. Pettigrew, en tant que gestionnaire, a légitimement vérifié l’ordinateur. Bien qu’il ait ensuite lu et capturé des écrans du journal, celui-ci ne contenait pas d’informations intimes, mais seulement des opinions sur leur environnement de travail, justifiant l’absence de violation grave de la confidentialité.

 

En appliquant la norme de contrôle de la raisonnabilité, la majorité de la Cour divisionnaire a confirmé les décisions de l’arbitre. Elle a estimé que l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège contre les perquisitions et les saisies abusives, ne devrait pas être pris en compte dans cette analyse, car les membres du personnel n’ont pas droit à cette protection dans un contexte de travail. Selon la Cour, l’arbitre a correctement équilibré l’atteinte réduite des employés et des employées en matière de vie privée avec le devoir de l’employeur de gérer le lieu de travail. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé cette décision, estimant que le droit à la vie privée des enseignantes était protégé par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui interdit les fouilles et les saisies abusives.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

  1. Quelle est la norme de révision appropriée?
  2. La Charte canadienne des droits et libertés s’applique-t-elle aux conseils scolaires publics?
  3. La sentence de l’arbitre devrait‑elle être annulée parce que celle‑ci n’a pas effectué une analyse fondée sur l’article 8 de la Charte?

 

RATIO DECIDENDI

Les enseignantes et enseignants des conseils scolaires publics de l’Ontario sont protégés par l’article 8 de la Charte dans leur lieu de travail, car, de par leur nature même, ces conseils font partie du gouvernement pour l’application de l’article 32 de la Charte.

 

 

ANALYSE

1. Quelle est la norme de révision appropriée?

La Cour suprême a déterminé que la norme de contrôle applicable pour décider si les conseils scolaires sont assujettis à la Charte est celle de la décision correcte en conformité avec l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov2019 CSC 65. La Cour a également estimé que cette norme de contrôle s’appliquait à la révision de la décision de l’arbitre, car l’arbitre avait omis de reconnaître qu’un droit constitutionnel, c’est-à-dire l’article 8 de la Charte, était en jeu, commettant ainsi une erreur fondamentale.

 

2. La Charte canadienne des droits et libertés s’applique-t-elle aux conseils scolaires publics?

La Cour a conclu que la Charte s’appliquait aux conseils scolaires publics de l’Ontario suivant le premier volet du test de l’arrêt Eldridge c Colombie‑Britannique (Procureur général)[1997] 3 RCS 624. Ce test détermine si une entité peut être considérée comme faisant partie du gouvernement et donc soumise aux obligations constitutionnelles.

 

A. Champ d’application conformément à l’article 32 de la Charte

L’article 32 définit le champ d’application de la Charte. La Charte s’applique au « Parlement et gouvernement du Canada » pour les questions de compétence fédérale, ainsi qu’à « la législature et au gouvernement de chaque province » pour les questions de compétence provinciale. La Cour devait donc déterminer si les conseils scolaires publics de l’Ontario, dans le cadre de leur mission, pouvaient être considérés comme faisant partie du gouvernement au sens de cet article.

 

B. Les deux volets du test Eldridge

Les deux volets du test de l’arrêt Eldridge sont utiles pour déterminer si les conseils scolaires publics relèvent du gouvernement.

 

Conformément au premier volet, une entité peut être elle-même considérée comme faisant partie du gouvernement en raison de sa nature ou du contrôle gouvernemental exercé sur elle. Dans ce cas, toutes les activités de cette entité sont soumises à la Charte.

 

La Cour a examiné la Loi sur l’éducation, LRO 1990, c E.2 et a confirmé que l’éducation publique est une mission essentielle du gouvernement. En effet, l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Charte donnent un statut unique à l’éducation. En plus, l’article 8 de la Loi sur l’éducation accorde de grands pouvoirs au ministère de l’Éducation sur les conseils scolaires, renforçant donc le rôle central du gouvernement dans la gestion et l’organisation de l’éducation publique.

 

La Cour a également déterminé que le deuxième volet n’était pas applicable puisque les conseils scolaires publics de l’Ontario ne sont pas des entités privées exerçant des activités gouvernementales.

 

 

3. L’arbitre a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas le cadre juridique de l’article 8?

A. La nécessité d’appliquer l’article 8 de la Charte

La Cour suprême a jugé que l’arbitre a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais cadre d’analyse. L’arbitre aurait dû procéder à son analyse en tenant compte de l’article 8. En effet, quand un droit protégé par la Charte s’applique, en l’espèce, le droit des employés des écoles au respect de leur vie privée, le décideur administratif doit considérer la Charte.

 

B. Application de l’article 8 de la Charte

Selon la Cour, les enseignantes des écoles publiques ont, en application de l’article 8 de la Charte, droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en milieu de travail. Il est nécessaire d’évaluer si c’était raisonnable pour les enseignantes d’avoir une attente en matière de vie privée selon les circonstances comme les politiques et les pratiques du directeur d’école.  L’analyse fondée sur l’article 8 comporte les deux étapes suivantes. Le tribunal doit déterminer si une raisonnable de vie privée existe et si la fouille, la perquisition ou la saisie est raisonnable.

 

1) Définition de l’attente raisonnable en matière de vie privée

Afin d’évaluer si une en matière de vie privée est raisonnable, il est nécessaire de prendre en compte les quatre critères suivants : l’objet de la fouille, le contrôle du demandeur sur cet objet, l’attente subjective du demandeur en matière de vie privée à l’égard de l’objet et la question de savoir si cette attente subjective de vie privée est objectivement raisonnable. Dans le contexte de travail, des facteurs comme la propriété des équipements et les politiques d’utilisation sont pertinents. En l’espèce, l’employeur avait permis aux enseignantes d’utiliser les ordinateurs à des fins personnelles et ceci démontre l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée.

 

2) Détermination du caractère abusif ou non d’une fouille

De plus, la Cour a réitéré qu’une fouille n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, que la loi elle-même n’est pas abusive et que la fouille est effectuée de manière non abusive conformément au test dans l’arrêt R c Collins, au paragraphe 104. L’arbitre aurait dû s’appuyer sur la jurisprudence arbitrale en tenant compte des conventions collectives en l’espèce et appliquer l’analyse de l’article 8 de la Charte.

 

DISPOSITIF

Pour tous ces motifs, le pourvoi est rejeté avec dépens.