R c Brunelle, 2024 CSC 3 (Résumé)

Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit criminel   

 

FAITS 

En 2016, lors d’une opération policière dans les districts de Trois-Rivières, Québec et Chicoutimi, trente et une personnes ont été arrêtées et accusées de crimes liés à la production et au trafic de stupéfiants. Elles ont été divisées en quatre groupes en vue de procès. Le groupe 1 était celui dont le procès devait avoir lieu en premier.  

 

Plusieurs parties appelantes ont allégué avoir été victimes de la violation de leurs droits garantis par l’article 8 et l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien qu’elles aient été informées de leur droit à consulter un avocat conformément à l’alinéa 10b), plusieurs ont affirmé que ce droit avait été retardé de manière injustifiée jusqu’à leur arrivée au poste de police. Toutefois, trois des sept personnes appelantes du groupe 1 n’avaient pas exercé leur droit à l’assistance d’un avocat, soit en le refusant ou en ne le demandant pas.  

 

Ces retards ont été perçus comme une atteinte à leurs droits fondamentaux. De plus, l’absence d’avis pour les perquisitions secrètes et l’exécution de mandats hors du district judiciaire ont été soulignées.  

 

En première instance, le juge a conclu que la conduite policière constituait un abus de procédure en raison de la gravité et du cumul des violations des droits des personnes accusées, notamment le droit à un avocat. Il a donc ordonné un arrêt des procédures pour l’ensemble des groupes d’accusés, estimant que l’intégrité du système judiciaire avait été compromise.

 

La Cour d’appel du Québec a annulé la décision de première instance, jugeant que le tribunal n’avait pas évalué individuellement les violations des droits constitutionnels des parties appelantes, particulièrement le droit à l’assistance d’un avocat puisque certaines parties n’avaient pas subi de violation ou avaient refusé d’exercer leur droit. Elle a également estimé que le juge n’avait pas examiné d’autres réparations possibles avant d’ordonner l’arrêt des procédures, une mesure considérée comme étant radicale.  

 

 

QUESTIONS EN LITIGE 

Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada répond à quatre questions : 

  1. Les parties appelantes avaient-elles toutes l’intérêt requis afin de demander une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte? 
  2. Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en concluant à l’existence d’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle? 
  3. Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en ordonnant l’arrêt des procédures à l’égard de toutes les parties appelantes? 
  4. La Couronne pouvait-elle soulever devant la Cour d’appel l’omission du juge de la Cour supérieure de considérer les circonstances particulières de l’arrestation de chaque partie appelante des groupes 2, 3 et 4 après avoir consenti au jugement? 

 

RATIO DECIDENDI 

Une pratique policière systémique de retarder l’accès à un avocat ne constitue pas, à elle seule, une violation des droits garantis par l’alinéa 10b) de la Charte.  Chaque cas doit être évalué individuellement, en fonction de la raisonnabilité du délai. Toutefois, un cumul de violations graves des droits constitutionnels, jumelé à des manquements procéduraux graves, peut justifier un arrêt des procédures lorsqu’il compromet l’intégrité du système judiciaire et rend le procès inéquitable.  

 

 

ANALYSE  

Tout d’abord, la Cour suprême du Canada souligne que l’abus de procédure fait référence à une conduite du ministère public qui est inacceptable et qui va à l’encontre de l’équité du procès ou mine l’intégrité du système de justice.  

 

A. Les parties appelantes avaient-elles toutes l’intérêt requis afin de demander une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte? 

Pour commencer, la Cour a rappelé que l’intérêt pour agir est reconnu dès qu’une personne affirme une atteinte à ses droits constitutionnels, sans qu’il soit nécessaire de prouver immédiatement la violation.  

 

Les parties appelantes soutenaient que les violations de l’article 8 (protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives) et de l’alinéa 10b) (droit à l’assistance d’un avocat) de la Charte, considérées de manière cumulative, constituent un abus de procédure en vertu de l’article 7. Ces dernières ont souligné qu’il s’agit d’un abus, car les violations de ces deux dispositions portent atteinte aux principes de justice fondamentale et compromettent l’intégrité du système judiciaire.  

 

À cet effet, la Cour a rappelé que l’article 7 protège les personnes accusées contre les atteintes à l’intégrité du système judiciaire, au-delà des préjudices personnels.  

 

Une conduite étatique abusive qui mine la confiance du public envers l’administration de la justice peut constituer une violation de l’article 7, à condition qu’il existe un lien suffisant avec les procédures intentées contre la personne accusée. Afin d’obtenir un arrêt des procédures en raison d’une conduite étatique abusive, il est indispensable de démontrer que cette conduite a directement affecté les procédures judiciaires intentées contre les personnes accusées. Ce lien de causalité suffit à établir une atteinte aux droits fondamentaux de la personne accusée, même en l’absence d’impact sur d’autres droits garantis par la Charte ou sur l’équité du procès. 

 

En l’espèce, la Cour suprême a déterminé que les parties appelantes pouvaient contester la conduite policière illégale au cours de laquelle il y a eu un refus d’accès à un avocat, une omission de prévenir les personnes visées par des mandats de perquisition et l’exécution des mandats en dehors de leur juridiction. Ces violations ont directement conduit aux preuves utilisées contre les parties appelantes. 

 

B.Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en concluant à l’existence d’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle? 

 Cadre d’analyse pour les abus de procédures liés à d’autres violations de la Charte  

En l’absence de garantie procédurale spécifique applicable, l’article 7 de la Charte protège les personnes accusées contre toute conduite étatique qui, de manière directe ou indirecte, porte atteinte à l’équité du procès ou mine la confiance du public dans le système judiciaire. 

 

En l’espèce, en raison des allégations d’abus de procédure résultant de multiples violations de droits fondamentaux, tels que le droit à la protection contre les perquisitions illégales et le droit à l’assistance d’un avocat, la Cour a confirmé qu’il était convenable d’adopter le cadre d’analyse de l’article 7. Plus précisément, il faut :  

a) Évaluer individuellement si les droits garantis par l’article 8 et l’alinéa 10b) de la Charte ont été violés; 

b) Évaluer si l’ensemble des violations constitue une atteinte suffisamment grave à l’intégrité du système judiciaire pour justifier la conclusion qu’il y a eu abus de procédure au sens de l’article 7 de la Charte. 

 

La Cour suprême a jugé que la Cour supérieure avait erré en concluant que le droit à l’assistance d’une avocate ou d’un avocat du groupe 1 avait été violé. Cependant, elle a validé la décision de la Cour d’appel, estimant que le juge de première instance avait erré en droit en inférant des violations généralisées sans examiner si les délais pour consulter un avocat étaient raisonnables selon les circonstances de chaque arrestation.  

 

La Cour suprême a rappelé que l’évaluation des délais devait être contextuelle et fondée sur des preuves concrètes. En bref, une pratique policière systémique problématique ne suffit pas, à elle seule, à établir une violation des droits constitutionnels.   

 

C. Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en ordonnant l’arrêt des procédures à l’égard de toutes les parties appelantes? 

L’arrêt des procédures est une mesure extrême qui ne doit être ordonnée que dans des cas manifestes. Les trois conditions suivantes doivent être présentes pour accorder un arrêt des procédures :  

a) Il faut établir une violation du droit de la personne accusée à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice, et cette atteinte doit être renforcée ou aggravée par la façon dont le procès se déroule ou par son résultat 

b) Il ne doit exister aucune autre réparation permettant de remédier à l’atteinte 

c) Si, après avoir examiné les deux premières conditions, il reste des doutes sur la nécessité d’arrêter les procédures, le tribunal doit peser les intérêts de la justice, qui appellent à sanctionner les abus, et l’intérêt général de la société à ce qu’un jugement final soit rendu sur le fond de l’affaire. 

 

En l’espèce, le juge n’a pas démontré que des réparations moins drastiques, comme l’exclusion de preuves spécifiques, étaient insuffisantes pour corriger l’atteinte alléguée. La Cour suprême a également ajouté que l’omission du juge de la Cour supérieure était particulièrement notable dans un contexte où les personnes accusées, touchées différemment par un même abus, pourraient nécessiter des ordonnances individualisées. 

 

D. La Couronne pouvait-elle soulever devant la Cour d’appel l’omission du juge de la Cour supérieure de considérer les circonstances particulières de l’arrestation de chaque partie appelante des groupes 2, 3 et 4 après avoir consenti au jugement? 

La Cour suprême a déterminé que la Couronne pouvait soulever en appel que le juge de la Cour supérieure n’avait pas pris en compte les circonstances spécifiques des arrestations des groupes 2, 3 et 4, même s’il avait accepté que la preuve et les arguments du groupe 1 soient utilisés pour ces groupes.  

 

Contrairement à ce que prétendaient les parties appelantes, la Couronne n’a pas changé de position en appel et toutes les parties savaient que la Couronne ferait appel, donc il n’y a eu ni surprise ni injustice. De plus, l’erreur du juge de ne pas examiner chaque cas individuellement justifie que de nouvelles audiences soient tenues pour décider des demandes d’arrêt des procédures et d’exclusion de la preuve. 

 

DISPOSITIF 

Pour tous ces motifs, le pourvoi est rejeté. La tenue de nouveaux procès devant un autre juge, incluant de nouvelles auditions sur les requêtes en arrêt des procédures et en exclusion de la preuve, a été indiquée.