R v Anderson, 2021 NSCA 62 (Résumé)

 

R v Anderson, 2021 NSCA 62 est une décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse en droit criminel.

FAITS

Rakeem Anderson est arrêté par la police lors d’un contrôle routier aléatoire. Une fouille par palpation permet de trouver une arme à feu chargée de calibre 22. Il est arrêté, accusé et reconnu coupable d’une série d’infractions relatives aux armes à feu.

 

Lors de la détermination de la peine, la juge considère une Évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle (EIOEC) et demande plus d’informations sur les services et ressources disponibles pour M. Anderson. Elle entend également les témoignages des personnes qui ont rédigé l’EIOEC, et ceux de deux personnes qui travaillent auprès des services correctionnels et de la communauté afro-néo-écossaise. Il en ressort que le contexte social de M. Anderson, en tant qu’Afro-Néo-Écossais, a contribué à son cheminement vers la criminalité.

 

La juge de première instance conclut qu’une peine d’emprisonnement avec sursis est appropriée, sous plusieurs conditions rigoureuses. La Couronne interjette appel, mais ne demande pas à la Cour d’appel d’examiner la peine imposée. Les intervenants et la Couronne souhaitent obtenir des directives sur la détermination de la peine pour les personnes d’origine afro-néo-écossaise.

 

 

QUESTION EN LITIGE

Comment les EIOEC et les informations concernant les injustices historiques et la discrimination raciale devraient-elles être considérées lors de la détermination de la peine des personnes d’origine afro-néo-écossaise?

 

 

RATIO DECIDENDI

L’Évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle (EIOEC)  permet d’assurer que les facteurs systémiques et contextuels pertinents sont intégrés dans l’élaboration d’une peine appropriée et proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la culpabilité morale de la personne.

 

ANALYSE

L’histoire de l’esclavage et du racisme, le traumatisme de la marginalisation et de l’exclusion, la discrimination et l’injustice forment l’environnement de nombreuses personnes afro-néo-écossaises (para 102). Il est également reconnu que l’incarcération disproportionnée des personnes noires reflète la discrimination et le racisme systémiques qui influencent le système de justice (para 5). C’est pourquoi le traitement discriminatoire des personnes noires dans la société doit être reconnu à sa juste valeur (para 8), à chaque étape du processus de la détermination de la peine (para 164). Les motifs qui suivent constituent un guide pour la détermination de la peine des personnes afro-néo-écossaises.

 

1. Évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle 

Pour qu’une EIOEC soit crédible, elle doit avoir été préparée selon des normes professionnelles faisant autorité dans ce domaine (para 109). Certains aspects de l’EIOEC ne peuvent être contestés, notamment l’existence du préjugé racial, qualifié par la Cour suprême du Canada comme étant « notoire et indiscutable » (R c Spence, 2005 CSC 71, au para 5). Pareillement, le racisme anti-Noirs peut être admis sur la base de la connaissance d’office, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la preuve. Toutefois, il est important d’inclure, dans les EIOEC, des informations sur l’histoire de l’esclavage, du racisme systémique en Nouvelle-Écosse et de leurs effets sur les communautés. Cela contribue à sensibiliser les personnes intervenantes du système judiciaire à la situation des communautés afro-néo-écossaises (para 111).

 

Tout comme les personnes autochtones, les personnes afro-néo-écossaises ont le droit à une évaluation individualisée qui prend compte de tous les facteurs pertinents, y compris les facteurs systémiques et contextuels, de même que les expériences de vie (para 115). Un lien de causalité n’a pas besoin d’être établi entre les facteurs systémiques et contextuels et la commission de l’infraction (para 118).

 

Les éléments inclus dans les EIOEC contribuent ainsi à l’élaboration d’une peine adaptée et proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la culpabilité morale de la personne (para 114). L’absence de cette prise en compte peut constituer une erreur de droit (para 118).

 

Enfin, les informations sur le contexte social que contiennent les EIOEC peuvent aider à :

  • Contextualiser la gravité de l’infraction et le degré de culpabilité morale de la personne;
  • Révéler l’existence de facteurs atténuants ou expliquer leur absence;
  • Aborder les facteurs aggravants et en donner une explication plus approfondie;
  • Éclairer les principes de détermination de la peine, dont le principe de parité, et le poids à accorder à la dénonciation et à la dissuasion;
  • Identifier les options de réadaptation et de réparation à l’égard de la victime et de la communauté;
  • Renforcer l’engagement de la personne dans sa communauté;
  • Réduire le recours à l’incarcération (para 121).

2. Objectifs et principes de la détermination de la peine

 

2.1. Principe de proportionnalité (art 718.1, Code criminel)

 

Une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction renforce la confiance du public en l’administration de la justice. Toutefois, même lorsque l’infraction est grave, il faut tenir compte de l’impact du racisme systémique et de ses effets sur la personne (para 145).

 

La culpabilité morale de la personne afro-néo-écossaise doit également être évaluée en tenant compte du contexte historique et du racisme systémique. Il faut considérer l’impact des privations sociales et économiques, des désavantages historiques, des opportunités réduites ou inexistantes et des options restreintes. Ceux-ci peuvent avoir un effet atténuant sur la culpabilité morale de la personne (para 146).

 

Ainsi, tant la gravité de l’infraction que le degré de culpabilité morale doivent être examinés en fonction du contexte (para 142).

 

2.2. Dénonciation et dissuasion

 

L’objectif de dénonciation témoigne du rôle de « communication et d’éducation du droit » et reflète le fait que le droit pénal canadien est un « système de valeurs ». La dénonciation condamne donc l’atteinte au « code des valeurs fondamentales de notre société » (para 149; R c Friesen, au para 105).

 

Cela étant, la jurisprudence reconnaît que bien que l’incarcération vise les objectifs traditionnels d’isolement, de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion sociale, elle ne permet pas de réaliser certains d’entre eux. En revanche, l’emprisonnement avec sursis a le potentiel de pallier l’échec de la réadaptation des personnes et leur intégration dans la société – particulièrement lorsqu’elles doivent accomplir une réparation à la victime et à la collectivité (paras 151-154).

 

Par conséquent, en s’appuyant sur l’EIOEC, il faut évaluer si les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent être atteints tout aussi efficacement dans la communauté, dans le cadre d’un emprisonnement avec sursis, qu’en prison (para 160).

 

2.3.  Principe de modération (alinéas 718.2(d) et (e), Code criminel)

 

Pour inverser la tendance de l’incarcération excessive des personnes afro-néo-écossaises, il faut une application rigoureuse et cohérente du principe de modération. Les peines moins restrictives doivent être évaluées, comme l’emprisonnement avec sursis (paras 161-163).

 

 

DISPOSITIF

L’autorisation d’interjeter appel est accordée. Mais l’appel est rejeté, puisque la peine n’était pas contestée et que l’appel a été abordé par la Couronne comme une demande d’orientation.

 

 


Pour en savoir plus sur la pertinence du racisme anti-Noirs dans le processus de détermination de la peine, consultez notre résumé : R v Morris, 2021 ONCA 680 (Résumé).