À propos de la ressource
John Howard Society of Saskatchewan c Saskatchewan (Procureur général), 2025 CSC 6 (Résumé)
Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit constitutionnel.
FAITS
En Saskatchewan, lorsqu’une personne incarcérée est accusée d’une infraction disciplinaire, elle doit se présenter devant un comité disciplinaire. Ce comité est chargé d’examiner les accusations et de déterminer si la personne a effectivement commis l’infraction. Selon l’article 68 du règlement intitulé The Correctional Services Regulations, 2013 (« Règlement »)[1], la norme de preuve dans de tels cas est celle de la prépondérance des probabilités. Cette norme s’applique lorsqu’il est question de conséquences comme l’isolement ou la perte de réduction de peine. La John Howard Society de la Saskatchewan conteste cet article, arguant qu’une norme de preuve plus élevée devrait être utilisée, soit une preuve hors de tout doute raisonnable. Elle fait aussi valoir que cet article du Règlement porte atteinte au droit garanti à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[2] (« Charte »).
Le juge de première instance de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan estime que l’article 68 du Règlement ne viole pas l’article 7 de la Charte et que la norme de preuve de la prépondérance des probabilités est suffisante. La Cour d’appel de la Saskatchewan confirme cette décision.
QUESTIONS EN LITIGE
- L’article 68 du Règlement viole-t-il les droits garantis à l’alinéa 11d) de la Charte? Dans l’affirmative, cette violation peut-elle être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte?
- L’article 68 du Règlement viole-t-il les droits garantis à l’article 7 de la Charte? Dans l’affirmative, cette violation peut-elle être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte?
RATIO DECIDENDI
La norme de preuve hors de tout doute raisonnable doit être utilisée dans les procédures disciplinaires en prison, car les sanctions peuvent être très sévères et sont de vraies peines. Par conséquent, ces procédures doivent respecter les droits fondamentaux des personnes détenues, notamment ceux protégés par l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte.
ANALYSE
Le gouvernement de la Saskatchewan soutient que l’emprisonnement est une notion « binaire », c’est-à-dire qu’une personne emprisonnée ne peut pas l’être davantage. Il poursuit en affirmant que des mesures comme la ségrégation disciplinaire ou la perte de réduction de peine concernent uniquement les conditions de détention, et non la peine elle-même. Il soutient aussi que ces mesures n’activent pas les droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d).
1. L’alinéa 11d) de la Charte : la question de la présomption d’innocence
L’alinéa 11d) de la Charte garantit le droit à la présomption d’innocence. Cela signifie qu’une personne accusée d’une infraction ne peut être déclarée coupable sans preuve hors de tout doute raisonnable. La Cour précise que cette présomption est protégée à deux endroits dans la Charte : l’article 7 et l’alinéa 11d). Elle doit ainsi déterminer si les sanctions imposées aux personnes détenues pour une faute disciplinaire activent le droit à la présomption d’innocence prévu par ces deux dispositions.
Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau s’appuient sur le test établi dans l’affaire R c Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541 pour rejeter l’argument du gouvernement de la Saskatchewan. Selon cet arrêt, l’alinéa 11d) de la Charte s’applique lorsque la procédure est de nature criminelle ou qu’elle peut entraîner de véritables conséquences pénales. Les juges majoritaires considèrent que l’emprisonnement ne se limite pas simplement au fait d’être détenu. Des mesures comme la ségrégation disciplinaire (qui isole davantage la personne incarcérée), et la perte de réduction de peine (qui prolonge sa détention) sont des formes de privation de liberté les plus sévères.
Ces sanctions sont suffisamment graves pour être qualifiées de pénales au sens de l’arrêt Wigglesworth, ce qui déclenche l’application de la présomption d’innocence garantie par l’alinéa 11d) de la Charte.
En raison de cette incompatibilité entre la norme de preuve imposée par l’article 68 du Règlement et celle requise par l’alinéa 11d) de la Charte, la Cour déclare que ces sanctions sont inconstitutionnelles.
2. L’article 7 de la Charte : la question de la vie, la liberté et la sécurité
L’article 7 de la Charte protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Ce droit ne peut être limité ou restreint que si cela se fait en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Dans le cadre de l’article 68, la question centrale ne porte pas tant sur le fait que la privation de liberté (comme l’isolement ou la perte de réduction de peine) constitue en soi une violation de l’article 7, car il est évident que ces mesures restreignent la liberté. Ce qui est en jeu ici, c’est de savoir si le Règlement respecte les principes de justice fondamentale lorsqu’il impose de telles restrictions.
La Cour rappelle que l’un des principes de justice fondamentale défendus dans la Charte est la présomption d’innocence. L’article 68, en permettant à une personne d’être déclarée coupable sur la base d’une norme moins exigeante, contrevient à ce principe de justice fondamentale. Cette disposition n’étant pas en conformité avec ce principe, elle est par conséquent inconstitutionnelle.
3. L’article 1 de la Charte justifie-t-il cette violation?
La Cour juge que la norme de preuve de la prépondérance des probabilités dans les procédures disciplinaires ne répond pas aux critères du test de l’arrêt R c Oakes, [1986] 1 RCS 103. Pour elle, cette violation ne peut pas être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. Elle a précisé que, bien que l’objectif de célérité soit légitime, la violation n’était pas une atteinte minimale, car l’application de la norme plus stricte de la preuve au-delà de tout doute raisonnable aurait permis d’atteindre le même but.
DISPOSITIF
L’appel est accueilli, les décisions des juridictions inférieures sont annulées, et l’article 68 du Règlement est déclaré inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[3].
[1] The Correctional Services Regulations, 2013, RRS, c C-39.2, règl 1, art 68.
[2] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[3] Loi constitutionnelle de 1982, para 52(1), constituant l’annexe B de la Loi sur 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.