R c J.W., 2025 CSC 16 (Résumé)

 

Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit criminel.

 

FAITS

Dans la nuit du 26 au 27 mai 2018, W, membre de la Première Nation d’Attawapiskat, a agressé sexuellement, à plusieurs reprises, une employée de soutien à domicile autochtone, dans le foyer de groupe où il résidait. Après son arrestation, il a été placé en détention. En novembre 2018, il a plaidé coupable aux infractions d’agression sexuelle, de menace de causer la mort et de séquestration, prévues respectivement à l’article 271, l’alinéa 264.1(1)(a) et au paragraphe 279(2) du Code criminel[1] (« Code »). Ce plaidoyer a toutefois été annulé en mars 2019. Après avoir refusé une proposition de règlement, et après avoir révoqué plusieurs avocats, W a été déclaré inapte à subir son procès en janvier 2021, puis jugé apte en mai 2021. Une évaluation effectuée en novembre 2021 n’a pas permis de conclure à sa non-responsabilité criminelle. Il a ensuite plaidé coupable et a été condamné à neuf ans de prison le 14 avril 2022. Il faut noter qu’avant le prononcé de sa peine, W a passé 812 jours en centre de détention et 607 jours à l’Hôpital Providence Care, pour un total de 1 419 jours de détention.

 

Devant la juge chargée de la détermination de la peine, la Couronne a réclamé une peine de 8 à 10 ans, située à l’extrémité supérieure de la fourchette. De son côté, l’appelant a proposé une peine de 7,5 ans, accompagnée d’un crédit majoré à raison d’un jour et demi contre chaque jour pour l’ensemble de sa détention, tant au centre de détention qu’à l’Hôpital Providence Care (« Providence »).   La juge a refusé d’imposer la peine de 10 ans, estimant que le niveau de culpabilité morale de W était atténué en raison de son passé difficile, notamment une enfance marquée par la pauvreté, la violence et les séquelles d’un traumatisme intergénérationnel. Bien qu’elle ait reconnu qu’une peine située dans la fourchette inférieure pouvait répondre aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, elle s’est dite préoccupée par la protection de la société et la sécurité des femmes vulnérables, en particulier les femmes autochtones. Elle a donc jugé qu’une peine permettant à W de rester suffisamment longtemps en établissement fédéral pour suivre un programme pour délinquants sexuels était nécessaire.

 

Quant au crédit majoré demandé par W pour la période passée à Providence, la juge l’a refusé, estimant que les raisons d’être d’ordre qualitatif et quantitatif établis dans l’arrêt R c Summers, 2014 CSC 26, n’étaient pas établies. Selon elle, la détention prolongée était principalement attribuable aux nombreux changements d’avocat et d’avis de l’appelant, ce qui excluait l’octroi du crédit sur une base quantitative. De plus, comme les conditions à Providence étaient favorables à W (sa santé mentale et son comportement s’étaient améliorés durant ce temps), rien ne justifiait non plus le crédit sur une base qualitative. Elle l’a finalement condamné à une peine de 9 ans, réduite d’un crédit de 1 792 jours (1,5 contre 1 en détention et 1 contre 1 à Providence), ce qui lui laisse 4 ans à purger dans un établissement fédéral.

 

En appel, le juge a conclu que la juge chargée de la détermination de la peine a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant à W le crédit majoré pour le temps passé à l’Hôpital Providence Care.

 

QUESTIONS EN LITIGE

  1. Lorsqu’un·e juge détermine la peine, peut-il ou peut-elle à bon droit tenir compte du temps requis pour que la personne délinquante suive un programme de réinsertion sociale ou un traitement favorisant sa réinsertion sociale?
  2. Les actions de l’appelant ayant entraîné un délai considérable constituaient-elles une forme de « mauvaise conduite », laquelle le rendait inadmissible au crédit majoré?
  3. La raison d’être d’ordre qualitatif qui sous-tend l’octroi d’un crédit majoré trouve-t-elle application indépendamment de la question de savoir si le ou la délinquante était détenu·e dans un centre de détention ou dans un établissement psychiatrique?

RATIO DECIDENDI

Le temps requis pour qu’une personne délinquante suive un programme de réinsertion peut être pris en compte dans la détermination de la peine, pourvu qu’il existe une preuve concrète de la disponibilité du programme et que la peine demeure dans les limites de la fourchette appropriée. Une peine plus sévère fondée uniquement sur cet élément peut contrevenir au principe de proportionnalité. De même, les retards imputables à la personne délinquante ne suffisent pas, en soi, à justifier le refus d’un crédit majoré, sauf s’ils révèlent une intention manifeste de nuire au déroulement des procédures. Enfin, l’emprisonnement dans un établissement psychiatrique constitue, malgré ses particularités, une forme de privation de liberté pouvant donner lieu au crédit majoré.

 

ANALYSE

1. Principes de détermination de la peine et prise en compte des programmes et des traitements

La détermination de la peine est une démarche individualisée qui confère au juge un large pouvoir discrétionnaire quant au poids accordé aux différents objectifs prévus à l’article 718 du Code. Toutefois, quel que soit le poids accordé à ces objectifs, la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. Chaque affaire étant unique, selon ses circonstances atténuantes ou aggravantes, il existe une fourchette d’issues acceptables dans laquelle le ou la juge peut fixer une peine juste.

La Cour distingue les situations où la peine reste à l’intérieur de cette fourchette, et celles où elle en sort. Elle précise que le ou la juge ne commet pas d’erreur de principe en tenant compte du temps requis pour un programme de réinsertion ou un traitement qui favorisent la réinsertion sociale d’un·e délinquant·e. Selon elle, ces éléments peuvent être des facteurs pertinents pour fixer une peine juste qui se situe à l’intérieur de la fourchette applicable. En revanche, fixer une peine à l’extérieur de la fourchette uniquement pour permettre l’achèvement d’un programme constitue une erreur de principe. Une telle approche contrevient au principe de proportionnalité et revient à imposer une forme de détention préventive, ce que le Code ne permet que dans le cadre du régime strictement encadré des délinquants dangereux ou à contrôler

Enfin, la Cour souligne qu’un tribunal ne peut fonder sa décision sur des spéculations concernant l’accès aux programmes de réinsertion, lesquels relèvent exclusivement des services correctionnels. Parce que ces services disposent de ressources limitées, il n’existe aucune garantie quant à leur disponibilité. Ce manque de prévisibilité, combiné à une preuve souvent rare ou insuffisante, peut mener à des conjectures inappropriées. Cette réalité touche particulièrement les personnes délinquantes autochtones, qui rencontrent des obstacles systémiques dans l’accès à des programmes adaptés à leur culture, ce qui risque d’entraîner des peines plus longues, sans lien avec la gravité de l’infraction ou la culpabilité morale. En conséquence, sauf preuve suffisante quant à la disponibilité réelle du programme envisagé, ces considérations ne devraient pas être tenues en compte lors de la détermination de la peine

 

2. Est-ce que les retards causés par l’appelant peuvent être considérés comme une « mauvaise conduite » l’empêchant d’obtenir un crédit majoré?

La Cour adopte une position nuancée. Elle souligne qu’une interprétation trop large de la notion de « mauvaise conduite » risquerait de compromettre les principes de proportionnalité et de parité, en entraînant des écarts injustifiés entre les peines imposées pour des infractions semblables. Des retards attribuables à l’accusé ne constituent donc pas, en soi, une mauvaise conduite. Le fait pour une personne délinquante de changer d’avocat, de plaider non coupable ou de présenter des requêtes ne peut être jugé répréhensible en tant que tel, puisqu’il s’agit de l’exercice de droits fondamentaux. Cela dit, la Cour précise que ces comportements peuvent être qualifiés de « mauvaise conduite » lorsqu’ils sont adoptés dans l’intention manifeste de retarder les procédures ou de nuire au bon fonctionnement du système de justice criminelle

 

3. Les raisons d’être d’un crédit majoré

La Cour explique qu’il existe suffisamment de motifs fondés sur la raison d’être quantitative pour justifier l’octroi d’un crédit majoré et qu’un seul fondement suffit pour accorder ce crédit. Il n’était donc pas nécessaire d’examiner la raison qualitative. À cela, la Cour ajoute que, bien que les conditions de vie en milieu psychiatrique puissent différer, ce qui importe avant tout, c’est la réalité de la privation de liberté. Dès qu’un accusé est détenu dans un établissement psychiatrique, il subit une restriction importante de ses droits, équivalente à celle vécue en détention. De ce fait, l’hospitalisation de W est une forme d’emprisonnement pouvant justifier l’octroi d’un crédit majoré en application du raisonnement établi dans l’arrêt Summers.

 

DISPOSITIF

La Cour suprême accueille en partie le pourvoi et accorde à W un crédit supplémentaire de 304 jours à déduire de sa peine, en plus du crédit déjà accordé par la Cour d’appel.


[1] Code criminel, LRC 1985, c C-46.