R c Stairs, 2022 CSC 11 (Résumé)

R c Stairs, 2022 CSC 11 est une décision de la Cour suprême du Canada en droit criminel sur la légalité d’une fouille accessoire à une arrestation au sein du domicile d’un accusé.

FAITS 

Dans un contexte de violence conjugale, les policiers, qui craignaient pour la sécurité de la femme, entrent dans la maison de l’accusé. Peu de temps après l’arrestation de l’accusé, ils ont effectué une inspection visuelle à des fins sécuritaires du sous-sol d’où provenaient l’accusé et la femme. Le sous-sol était hors du contrôle physique de l’accusé puisqu’il n’y était pas durant la fouille. Lors de l’inspection, les policiers ont saisi une quantité importante de méthamphétamine. L’accusé est déclaré coupable, entre autres, de possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic (paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances). Dans une demande préalable au procès, l’accusé allègue des violations de son droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « Charte »). La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la fouille et la saisie respectent les droits que l’article 8 de la Charte garantit à l’accusé. L’accusé se pourvoit de plein droit devant la Cour suprême du Canada.

 

QUESTIONS EN LITIGE 

  1. La fouille de la salle de séjour du sous-sol, accessoire à l’arrestation, était-elle abusive en contravention de l’article 8 de la Charte ?
  2. Dans l’affirmative, la méthamphétamine saisie par les policiers devrait-elle être écartée en application du paragraphe 24(2) de la Charte ?

RATIO DECIDENDI 

La Cour affirme que l’étendue acceptable d’une fouille accessoire à une arrestation dans le domicile d’une personne par les policiers exige exceptionnellement une modification de la norme de common law régissant de telles fouilles. Il faut établir un juste équilibre entre les intérêts d’un accusé quant au respect de son expectative élevée de vie privée dans sa maison d’habitation et les objectifs valables d’application de la loi au regard de l’article 8 de la Charte.

 

La Cour détermine que la norme plus stricte des soupçons raisonnables s’applique. Cette norme répond aux exigences de l’article 8 de la Charte lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

  • L’arrestation est légale.
  • La fouille est accessoire à l’arrestation lorsque :
  • l’espace visé par la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation. Dans ce cas, la norme de common law doit être satisfaite. Cette norme exige que la personne soumise à la fouille ait été légalement arrêtée, que la fouille soit véritablement accessoire à l’arrestation et qu’elle ne soit pas abusive (R c Fearon, 2014 CSC 77 aux para 21-27 [Fearon]).
  • l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation. Dans ce cas, les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille contribuera à l’atteinte de l’objectif de sécurité des policiers et du public, y compris celle de l’accusé.
  • Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation, la nature et l’étendue de la fouille doivent être adaptées à son objet et aux intérêts élevés du respect de la vie privée dans un domicile.

ANALYSE 

La légalité de la fouille et saisie accessoire à l’arrestation au sens de l’article 8 de la Charte

La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation permet aux policiers de fouiller la personne légalement mise en état d’arrestation pour saisir les objets se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation et ceux en sa possession. Ce pouvoir policier ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables (R c Fearon, aux para 16 et 45). Le but de la norme de common law est d’assurer la sécurité des policiers et de la personne en état d’arrestation, d’empêcher l’évasion de la personne en état d’arrestation et de constituer une preuve contre la personne en état d’arrestation (Cloutier c Langlois, [1990] 1 RCS 158 aux pp 180 et 181).

 

La jurisprudence fait état d’une gamme de normes où certains contextes exigent un seuil plus élevé que d’autres pour les fouilles accessoires à une arrestation. Afin de discerner s’il est nécessaire de modifier la norme, la Cour procède à une analyse à deux volets :

  1. La fouille satisfait-elle la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation ?
  2. Y a-t-il lieu de modifier la norme, eu égard au respect de la vie privée et aux objectifs d’application de la loi qui sont en jeu ?

 

Le premier volet nécessite de « déterminer si la fouille satisfait à la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation » (para 32). En l’espèce, la Cour conclut que cette fouille respecte les exigences de la norme (R c Fearon, aux para 21-27), que les policiers avaient des motifs raisonnables de faire ce qu’ils ont fait (R c Caslake, [1998] 1 RCS 51 aux para 19-20) et que M. Stairs ne conteste pas l’application de cette norme.

 

Le second volet requiert de déterminer s’il y a lieu de modifier la norme. La Cour conclut qu’elle doit être modifiée en fonction du contrôle physique que la personne arrêtée exerce sur l’espace visé par la fouille. Elle fait une distinction entre :

  1. l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation;
  2. les espaces se trouvant hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, mais qui font partie de l’espace environnant parce qu’ils sont suffisamment liés à l’arrestation.

 

La Cour affirme que lorsque l’espace est hors du contrôle de la personne physique arrêtée, mais toujours suffisamment liée à l’arrestation, la fouille accessoire effectuée dans un domicile pour des raisons de sécurité est valide si deux conditions sont respectées :

  1. les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité, celle de l’accusé ou du public que la fouille permettrait d’éviter;
  2. la fouille ne doit pas être abusive et doit tenir compte des intérêts élevés du respect de la vie privée au sein du domicile.

 

En l’espèce, la Cour conclut que la fouille du sous-sol respecte la norme des soupçons raisonnables tant pour ce qui est de son élément subjectif que de son élément objectif. Elle détermine que le juge du procès pouvait conclure : que les policiers avaient subjectivement cru qu’il y avait un risque pour la sécurité qui pouvait être écarté en effectuant une fouille dans le sous-sol ; que cet objectif d’application de la loi était valable et qu’il était objectivement raisonnable que les policiers vérifient que l’endroit ne contenait aucun risque ou autre occupant. La dynamique avant et pendant l’arrestation et la nature de l’infraction sont des facteurs importants dans l’analyse des « raisons de soupçonner ».

 

La deuxième question en litige est écartée étant donné que la Cour détermine que les droits garantis à M. Stairs par l’article 8 de la Charte n’ont pas été violés. 

 

Motifs dissidents et concordants 

Les juges dissidents concluent que la fouille et la saisie sans mandat effectuées par les policiers ne respectent pas l’article 8 de la Charte. En l’espèce, aucun fait précis ne justifiait la fouille. Ainsi, la preuve devrait être exclue en application du paragraphe 24(2) de la Charte puisque l’admission de celle-ci est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

La juge concordante Côté rejette le pourvoi. Elle est en accord avec les juges dissidents quant à la norme de soupçons raisonnables et la conclusion que la fouille et la saisie sont illégales au sens de l’article 8 de la Charte. Toutefois, elle est d’avis que l’admission des éléments de preuve ne déconsidérerait pas l’administration de la justice.

 

DISPOSITIF 

Le pourvoi est rejeté et la déclaration de culpabilité est confirmée.

 

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