Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c Colombie-Britannique, 2020 CSC 13 (Résumé)

Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit linguistique et constitutionnel.   

 

FAITS 

Le pourvoi concerne la portée de l’art. 23 de la Charte, soit la protection du droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Les appelants sont le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (« CSF »), la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique, ainsi que trois parents titulaires de droits au sens de l’art. 23 de la Charte. Ces derniers affirment que plusieurs aspects du financement du système d’éducation pénalisent la minorité linguistique officielle et violent les droits qui leur sont garantis par l’art. 23 de la Charte. 

Les appelants demandent de nouvelles écoles ou des améliorations à des écoles existantes dans 17 communautés ainsi que l’octroi de dommages-intérêts en lien avec certaines subventions dont ils ont été privés dans le cadre des politiques gouvernementales adoptées par les intimés, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et le ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique (collectivement, la « Province »).  

 

QUESTIONS EN LITIGE 

Le pourvoi soulève les questions suivantes : 

  1. Quelle est la démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable?  
  2. Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles varie-t-il selon le nombre d’élèves de la minorité? 
  3. Le fait d’obliger un conseil scolaire à prioriser ses projets d’immobilisation constitue-t-il une violation de l’art. 23?
  4. Comment une violation de l’art. 23 s’apprécie-t-elle au regard de l’article premier?
  5. Est-ce que l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts s’applique aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23? 

 

RATIO DECIDENDI 

D’abord, la Cour confirme que le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé est celui qui doit être utilisé pour la comparaison sur l’échelle variable (par.58). De plus, les écoles de la majorité, choisies en comparaison, peuvent être situées partout dans la province.  

Lorsque la Cour tente d’établir si la minorité linguistique a droit à une école homogène, une présomption de viabilité pédagogique et d’attribution appropriée des fonds publics est créée s’il est établi que des écoles de tailles similaires à celles envisagées par la minorité sont fonctionnelles dans la province. En d’autres mots, il est donc requis que le nombre d’élèves de la minorité qui se prévaudront en définitive de l’école se situe à la limite supérieure de l’échelle variable. Les écoles de comparaison permettent donc de se situer sur l’échelle variable. Si une telle présomption est effectivement créée, la Province peut tenter de la renverser en établissant que les écoles soumises en comparaison ne sont pas appropriées ou encore que l’école envisagée ne répond pas aux exigences pédagogiques ou de coût. À défaut de renverser cette présomption, la communauté linguistique minoritaire se verra accorder une école homogène. 

La Cour précise également que la qualité de l’instruction offerte à la minorité doit, en tout temps, être réellement équivalente à celle de la majorité, peu importe le nombre d’élèves touchés. Le point de vue pertinent à cet égard est celui du parent raisonnable, conscient des particularités inhérentes d’une petite école, qui doit faire un choix pour son enfant. 

Ensuite, la Cour explique que l’affectation juste et rationnelle des fonds publics ne constitue pas un objectif urgent et réel dans le cadre du test Oakes. Effectivement, les coûts engendrés par le projet ont déjà été considérés dans l’analyse de l’étendue des droits en question. Le contraire permettrait notamment un double emploi du critère.  

Finalement, il n’y a pas lieu de reconnaitre une immunité à l’État en matière de dommages-intérêts dans le contexte de décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui se sont avérées contraires à l’art. 23 de la Charte. 

 

ANALYSE  

Afin de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable, il incombe d’abord au conseil scolaire d’apporter en preuve le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé. Ce nombre s’évalue donc sur le long terme, afin d’assurer l’efficacité des requêtes et d’éviter que les ayants droit ne doivent systématiquement revenir en cour lorsque ce nombre augmente. Ce nombre devrait se situer entre la demande connue et le nombre d’enfants d’ayants droit visés à l’art. 23.  

 

Ensuite, le conseil scolaire doit établir des écoles de comparaison qui serviront à déterminer si la minorité a aussi droit à une école homogène. Les juges de la majorité concluent que cette comparaison doit-être faite à l’échelle provinciale pour garantir un traitement plus équitable entre les localités du territoire. Pour déterminer si la minorité linguistique visée a droit à la construction d’une école homogène, il est nécessaire d’analyser la viabilité pédagogique du projet ainsi que les coûts qui seront engendrés pour le réaliser. Pour y arriver, la méthode comparative est de mise. Effectivement, si le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du projet est comparable à la population étudiante d’une ou plusieurs école(s) mises en comparaison, on établira que ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable. En outre, la présence de telles écoles permet de créer une présomption de viabilité pédagogique et de proportionnalité rationnelle des coûts envers la construction d’une école homogène pour la minorité linguistique.  

 

Lorsqu’une telle présomption est créée, la Province peut tenter de la renverser en prouvant, par la prépondérance des probabilités, que les écoles ciblées en comparaison ne sont pas appropriées ou constituent des exceptions particulières, ou encore que l’école homogène envisagée par le conseil scolaire n’est pas viable au niveau des exigences pédagogiques ou des coûts qui en seront engendrés.  

 

Si toutefois le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service se situe au milieu ou au bas de l’échelle variable, il faudra déterminer à quel niveau de service la minorité a tout de même droit. Sur ce point, la Province devrait faire preuve de déférence envers l’avis du conseil scolaire. Le même exercice s’applique ici, donc une fois les coûts et le projet envisagé par le conseil scolaire clarifié, on se demandera si les dépenses sont justifiées au regard du nombre d’élèves impliqués (par. 55). Lorsque le nombre est insuffisant pour justifier la création d’une école homogène, il s’agira de déterminer à quel niveau de contrôle la minorité, qui évoluera donc au sein d’une école de la majorité, a droit.  

 

Lors de l’analyse d’une violation des droits garantis par l’art. 23 de la Charte, la Cour rappelle l’importance des trois objectifs de la disposition: la prévention de l’érosion linguistique au pays, la réparation des injustices passées ainsi que l’unification des deux groupes linguistiques officiels au pays.  

 

Quant au critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles, les juges de la majorité concluent qu’il ne doit pas varier selon le nombre d’élèves de la minorité. La mesure appropriée pour l’évaluer a été établie dans l’arrêt Rose-des-vents, et se situe au niveau du parent raisonnable conscient des particularités inhérentes d’une école de petite taille. Donc, on se demandera si l’instruction offerte à la minorité est véritablement inférieure à celle offerte à la majorité, sans égard au nombre.  

 

Ensuite, le fait d’obliger un conseil scolaire à prioriser ses projets d’immobilisation ne constitue pas une violation de l’art. 23. Dans un cas où plusieurs écoles doivent être construites, la Province peut tout à fait demander au conseil scolaire d’établir une priorité. Il importe seulement que le tout soit finalisé dans un délai utile. 

 

Puis, une violation de l’art. 23 ne doit pas s’apprécier à la légère au regard de l’article premier. Plusieurs raisons distinguent particulièrement l’art. 23 des autres droits protégés par la Charte. Entre autres : 

  • Il impose des obligations positives aux gouvernements qui doivent impérativement être accomplies en temps utile vu la fragilité des droits en question.  
  • Il a un objectif réparateur qui peut être facilement mis en périls. 
  • L’art. 23 n’est pas visé par la dérogation de l’art. 33, ce qui lui suppose une importance particulière. 
  • Il comporte déjà une limite interne, qui prend en considération les coûts et le nombre d’élèves.  

 

Les juges de la majorité ont donc déterminé que l’affectation juste et rationnelle des fonds publics ne constitue pas un objectif urgent et réel pouvant justifier une atteinte à l’art. 23. Il s’agit plutôt du travail normal quotidien de tout gouvernement.  

 

Finalement, l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts ne doit pas s’appliquer aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23. L’arrêt Ward énonce la démarche à suivre dans le cadre de dommages-intérêts fondés sur la Charte. D’abord, il est nécessaire de déterminer s’il y a effectivement eu violation d’un droit protégé, puis on doit se demander si les dommages-intérêts demandés ont une fonction ou un but utile. Il a déjà été déterminé que l’indemnisation, la défense de droit ainsi que la dissuasion constituaient des fonctions ou des buts utiles. L’État peut toutefois démontrer que d’autres recours peuvent être entrepris et que l’octroi de dommages-intérêts en l’espèce fait naître des préoccupations liées au bon gouvernement. La dernière étape représente simplement la fixation du montant approprié.  

 

En l’espèce, l’octroi de dommages-intérêts à la suite de décisions de l’État prises en lien avec des politiques gouvernementales ne nuit pas au bon gouvernement. Contrairement au processus d’adoption d’une loi, par exemple, qui est d’ailleurs publique et qui se traduit par le législatif accordant des pouvoirs particuliers à l’exécutif, les politiques gouvernementales sont en fait un exercice permettant à l’exécutif de s’octroyer des pouvoirs à lui-même. Il n’y a donc pas lieu d’étendre l’immunité de l’État sur cette question.  

 

DISPOSITIF 

Les juges de la majorité prononcent, en faveur des ayants droit de 12 régions, des jugements déclaratoires leur donnant droit à des écoles homogènes de la minorité de qualité réellement équivalente aux écoles avoisinantes.  

 

Ils déclarent également que les ayants droit des régions de Kelowna, Mission, Nanaimo et Pemberton ont le droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité. 

 

Ils rétablissent également l’ordonnance de la juge de première instance concernant le transport scolaire et ordonnent aux intimés de payer au CSF six millions de dollars en dommages-intérêts en vertu de la Charte sur une période de 10 ans à l’égard du financement inadéquat du transport scolaire de 2002-2003 à 2011- 2012.  

 

Finalement, ils ordonnent aussi aux intimés de payer 1,1 million de dollars en dommages-intérêts au CSF pour l’indemniser de la somme dont il a été privé au titre du facteur rural de la subvention annuelle aux installations. 

 

Pour obtenir tous les détails du dispositif, voir les par. 183 à 187 de la décision. 

 

Le tout avec dépens pour les appelants devant toutes les cours.