R c Tayo Tompouba, 2024 CSC 16 (Résumé)

Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit pénal 

FAITS 

Monsieur Tayo Tompouba est un francophone bilingue. Il a été reconnu coupable d’agression sexuelle lors d’un procès mené en anglais devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Pendant ce processus, le juge de première instance ne s’est pas acquitté de son obligation d’aviser M. Tompouba de son droit à un procès en français, comme l’exige le para 530(3) du Code criminel. Bien que M. Tompouba n’ait pas demandé que son procès s’instruise en français, le juge n’a pas non plus exercé son pouvoir discrétionnaire pour l’ordonner conformément au para 530(4) du Code criminel.  

 

Devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, M. Tompouba a soutenu que sa déclaration incriminante faite aux policiers après son arrestation était inadmissible, car son droit à l’avocat lui avait été expliqué en anglais. La Cour a rejeté cet argument, affirmant que les policiers n’étaient pas tenus de prendre des mesures supplémentaires pour garantir que M. Tompouba comprenne et exerce son droit dans la langue de son choix. De plus, le juge a noté que M. Tompouba avait de bonnes compétences en anglais, étant donné qu’il vivait en Colombie-Britannique et qu’il avait déclaré se sentir à l’aise de communiquer en anglais avec la police. 

 

En appel, M. Tompouba invoquait deux violations de ses droits linguistiques : le non-respect des paras 530(3) et 530(4), ce qui, selon lui, justifiait la tenue d’un nouveau procès. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté la demande de M. Tompouba de subir un nouveau procès en français, en invoquant deux motifs liés à ses droits linguistiques. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour démontrer une violation de son droit à un procès dans la langue de son choix, notamment sur sa connaissance de ce droit et sa décision d’être jugé en anglais. De plus, elle a conclu qu’il n’y avait pas d’erreur à ne pas le renvoyer à un procès en français, car M. Tompouba parlait couramment l’anglais et était bien représenté. La décision de la Cour d’appel a été motivée par l’importance d’éviter que les personnes accusées obtiennent un nouveau procès en raison d’un manquement au para 530(3), surtout lorsque cela n’affecte pas véritablement leur droit fondamental à être jugées dans la langue officielle de leur choix, comme c’est le cas en l’espèce.  

 

 

QUESTIONS EN LITIGE 

Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada répond à deux questions : 

  1. Quel est le cadre d’analyse applicable lorsqu’une personne accusée fait appel de sa déclaration de culpabilité en soulevant un manquement au para 530(3), alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques? 
  2. La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur révisable en refusant d’ordonner un nouveau procès? 

 

RATIO DECIDENDI 

Un manquement au para 530(3), étant une erreur de droit, entraîne une présomption que le droit de la personne accusée de subir son procès dans la langue officielle de son choix a été violé.  

 

ANALYSE  

1. Quel est le cadre d’analyse applicable ?  

Le cadre d’analyse doit se fonder sur les enseignements de l’arrêt Beaulac ([1999] 1 RCS 768, ci-après Beaulac) et s’inscrire harmonieusement dans le régime d’appel d’une déclaration de culpabilité, notamment dans la logique et la structure de l’art 686 du Code. 

 

D’abord, l’arrêt Beaulac rappelle que les droits linguistiques visent à protéger les deux communautés linguistiques officielles du Canada et nécessitent des actions positives de l’État pour leur mise en œuvre. L’arrêt Beaulac souligne également que la protection des minorités linguistiques est indissociable d’un bilinguisme judiciaire institutionnel, garantissant un accès égal aux tribunaux. 

 

L’art 530 du Code garantit à la personne accusée le droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix et d’être avisée de ce droit. 

 

A. Le droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix 

Pour que la personne accusée puisse exercer son droit à un accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix, conformément au para 530(1), il est essentiel que la demande soit faite dans les délais impartis. De plus, la personne accusée doit être en mesure de donner des instructions à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans cette langue. Si la demande est tardive, en vertu du para 530(4), le ou la juge ne peut l’accepter que s’il ou elle est convaincu.e que cela sert les intérêts de la justice. 

 

B. Le droit d’être avisé de ce droit fondamental  

En vertu du para 530(3), la personne accusée a le droit d’être informée de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix, ainsi que des délais associés. Cela implique que le ou la juge lors de la première comparution prenne les mesures nécessaires pour s’assurer que la personne accusée est bien informée de ce droit, surtout si le ou la juge doute ou constate que la personne accusée n’a pas été adéquatement informée. 

Lorsqu’un manquement au para. 530(3) est soulevé pour la première fois en appel, la Cour suprême du Canada précise que l’intervention d’une cour d’appel, conformément à l’alinéa 686(1)a) n’est possible que si la personne appelante parvient à prouver que le verdict est déraisonnable, qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu une erreur judiciaire. Ces trois motifs d’intervention sont essentiels, car une cour d’appel ne peut agir que si l’erreur a été préjudiciable à la personne accusée.  

 

Lorsqu’il s’agit d’une erreur de droit au sens du sous-alinéa 686(1)a)(ii), il suffit de prouver le manquement au para 530(3) pour justifier l’intervention d’une cour d’appel.  

 

2. La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur révisable en refusant d’ordonner un nouveau procès ?  

 

En l’espèce, le juge de première instance a commis une erreur de droit en omettant d’informer M. Tompouba de son droit fondamental au sens du sous-alinéa 686(1)a)(ii). Par la suite, la Cour d’appel a également commis une erreur de droit en imposant à ce dernier la charge de prouver, en plus du manquement au para 530(3), que son droit fondamental à un procès dans la langue officielle de son choix a été effectivement violé en première instance. 

 

La Cour suprême du Canada a affirmé que le droit fondamental de M. Tompouba n’a pas été respecté. Étant donné que le français est la langue maternelle de M. Tompouba et qu’il possède des compétences linguistiques suffisantes dans cette langue, il aurait dû avoir la possibilité de choisir de subir son procès en français. De plus, la Cour n’a pas pu, selon la prépondérance des preuves, exclure la possibilité que M. Tompouba aurait choisi de subir son procès en français s’il avait été correctement informé de ce droit. 

 

Bien que M. Tompouba ait communiqué en anglais avec plusieurs intervenant.es, la Cour suprême du Canada souligne que le fait qu’une personne bilingue utilise la langue de la majorité ne signifie pas qu’elle préfère cette langue. Une telle conclusion irait à l’encontre de l’arrêt Beaulac, qui souligne que les droits linguistiques des Canadiens et Canadiennes bilingues ne doivent pas être limités. Il n’est pas non plus possible de conclure, selon la prépondérance des preuves, que M. Tompouba a été informé en temps voulu de son droit fondamental, autrement que par l’avis prévu au para 530(3), et qu’il a choisi de procéder en anglais de manière libre et éclairée. De plus, l’argument du ministère public selon lequel la signature d’un engagement et d’une promesse de comparaître, contenant un avis écrit de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix, prouve que M. Tompouba était conscient de ce droit, présente des lacunes. En effet, les circonstances entourant la signature et l’état d’esprit de M. Tompouba ne peuvent pas être établis. L’argument selon lequel la représentation de M. Tompouba par un avocat prouve qu’il a été informé en temps opportun de son droit fondamental a également été rejeté par la Cour suprême du Canada, car cette présomption ne s’applique pas dans le cadre des droits linguistiques prévus par l’art 530.  Faute de preuves suffisantes, la Cour suprême du Canada a statué en faveur de M. Tompouba, estimant que le ministère public n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des preuves, que le manquement au para 530(3) n’avait pas entraîné une violation de son droit fondamental. 

 

DISPOSITIF 

Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli, la condamnation est annulée et la tenue d’un nouveau procès en français est ordonnée.