2025
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À propos de la ressource
Ontario (Procureur général) c Restoule, 2024 CSC 27 (Résumé)
Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit des autochtones.
FAITS
En 1850, les Anichinabés[1] du lac Huron et les Anichinabés du lac Supérieur ont conclu des traités de cession de terres avec la Couronne en échange, notamment, d’un paiement annuel perpétuel. Le Traité Robinson-Huron et le Traité Robinson-Supérieur (« Traités Robinson ») contiennent chacun une clause d’augmentation qui prévoit la majoration du paiement annuel à certaines conditions. Toutefois, depuis 1875, ces annuités sont gelées à la somme de 4 $ par bénéficiaire des Traités Robinson.
Les actions des Anichinabés du lac Huron et du lac Supérieur sont instruites ensemble. Les deux Premières Nations soutiennent que la Couronne a violé la clause d’augmentation et a manqué à son obligation fiduciaire. Le présent pourvoi concerne l’interprétation des traités et les moyens de défense invoqués par l’Ontario, soit l’immunité de la Couronne et le délai de prescription.
QUESTIONS EN LITIGE
- Quels sont les principes qui régissent l’interprétation de traités historiques conclus avec des Autochtones tels que les Traités Robinson?
- Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation des Traités Robinson par la juge de première instance?
- Quelle interprétation convient‑il de donner à la clause d’augmentation dans les Traités Robinson?
- Les revendications présentées par les demandeurs des lacs Huron et Supérieur en vertu des Traités Robinson sont‑elles prescrites par les dispositions législatives provinciales sur la prescription?
- Quelle est la nature et la teneur de l’obligation de la Couronne de mettre en œuvre la clause d’augmentation? La Couronne a‑t‑elle des obligations découlant du principe de l’honneur de la Couronne et a‑t‑elle une obligation de fiduciaire?
- Quelle réparation convient‑il d’accorder pour l’omission de la Couronne de mettre en œuvre la clause d’augmentation (para 66)?
RATIO DECIDENDI
L’honneur de la Couronne guide l’interprétation des traités conclus avec les Autochtones et la mise en œuvre des traités.
ANALYSE
1. L’interprétation des traités historiques conclus avec des Autochtones
Les traités sont des accords uniques ou sui generis régis par des règles spéciales d’interprétation. La relation particulière entre la Couronne et les peuples autochtones y est incarnée et ils représentent un échange de « promesses solennelles ». Ils sont un moyen important de concilier les intérêts des peuples autochtones et non autochtones (paras 68–70).
Les droits issus de traités doivent être interprétés conformément à l’honneur de la Couronne, pour promouvoir la réconciliation. Ce principe est toujours en jeu lorsque la Couronne transige avec les peuples autochtones. Ainsi, la conclusion, l’interprétation et la mise en œuvre des traités doivent être abordées de manière à préserver l’honneur et l’intégrité de la Couronne (paras 71–74).
Le tribunal doit interpréter un traité en deux étapes, comme établi dans l’arrêt R c Marshall, [1999] 3 RCS 456. À la première étape, le tribunal examine le texte de la clause litigieuse du traité et identifie les diverses interprétations possibles. À la deuxième étape, il examine ces interprétations sur la toile de fond historique et culturelle du traité et choisit celle qui concilie le mieux les intérêts des parties (para 80).
2. La norme de contrôle en appel applicable à l’interprétation des traités historiques
La norme de contrôle applicable à l’interprétation d’un traité est celle de la décision correcte, compte tenu de la nature constitutionnelle des droits issus des traités et de la valeur de précédent (ou « portée normative ») d’une décision sur cette question (paras 103–113).
Cela dit, les conclusions de fait, y compris les conclusions de fait d’ordre historique qui peuvent éclairer l’interprétation, commandent la déférence. Ces derniers ne sont susceptibles de contrôle qu’en cas d’erreurs manifestes et déterminantes (paras 114–119).
3. L’interprétation de la clause d’augmentation des Traités Robinson
La Cour effectue les deux étapes du cadre d’analyse de l’arrêt Marshall (paras 125–194). Elle conclut que la clause d’augmentation impose à la Couronne d’exercer son pouvoir discrétionnaire si les conditions économiques lui permettent de majorer l’annuité au-delà du « plafond souple » de 4 $ par personne sans subir de pertes. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé « avec diligence, honorablement et de façon juste et libérale, tout en entretenant avec les Anichinabés une relation continue fondée sur les valeurs du respect, de la responsabilité, de la réciprocité et du renouvellement » (paras 195–197).
4. Question de prescription
L’Ontario soutient que les délais de prescription relatifs aux actions « pour atteinte indirecte » et « en reddition de comptes » prévus dans la Loi sur la prescription des actions de 1990 devraient s’appliquer aux revendications pour violation de traités. La Cour suprême rejette ces arguments.
Les traités conclus avec des Autochtones sont des accords sui generis qui constatent l’échange de promesses solennelles entre la Couronne et les peuples autochtones. Les droits en jeu sont constitutionnels et soulèvent des questions de droit public plutôt que de droit privé (para 210). Les revendications pour violation de traités ne sont ni des actions pour atteinte indirecte ni des actions en reddition de comptes. Elles ne sont donc pas prescrites par la Loi provinciale (para 217).
5. L’obligation de la Couronne de mettre en œuvre avec diligence la clause d’augmentation
L’honneur de la Couronne n’est pas une cause d’action, mais elle peut donner naissance à diverses obligations. Ce principe impose aux gouvernements une norme élevée : celle d’agir honorablement avec les peuples autochtones (paras 219–221). Ainsi, bien que la Couronne ne soit pas assujettie à une obligation fiduciaire à l’égard de la promesse d’augmentation contenue dans les Traités Robinson (paras 222–247), elle avait, et a, l’obligation de la mettre en œuvre avec diligence.
Or, depuis 1875, la Couronne a omis de se demander si elle pouvait majorer les annuités sans encourir de pertes et, dans l’affirmative, d’exercer son pouvoir discrétionnaire de décider si elle les majorait et de combien. « Depuis plus d’un siècle, la Couronne s’est révélée être une partenaire de traité manifestement peu fiable et peu digne de confiance en ce qui concerne la promesse d’augmentation » (para 262). Les Anichinabés des lacs Huron et Supérieur ont droit à une réparation pour cette violation.
6. L’obligation de la Couronne de mettre en œuvre avec diligence la clause d’augmentation
Lorsque la Couronne manque à ses obligations issues de traités ou aux devoirs découlant de l’honneur de la Couronne, toute la gamme des réparations peut être accordée, y compris des dommages‑intérêts et d’autres mesures de nature coercitive (para 276). Les tribunaux doivent déterminer « ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » et accorder des réparations qui font avancer la réconciliation (para 277).
En l’espèce, la Cour détermine qu’un jugement déclaratoire précisant les droits et les obligations des parties constitue une réparation appropriée. De plus, considérant la violation de la clause d’augmentation depuis près d’un siècle et demi, la Couronne doit fournir une mesure de redressement. (para 271). À cet effet, la Cour donne comme directive à la Couronne de mener des négociations honorables et circonscrites dans le temps portant sur l’indemnisation à verser pour les manquements passés à la clause d’augmentation (para 272).
DISPOSITIF
La Cour suprême du Canada rend le jugement déclaratoire énoncé au paragraphe 304 de la décision et donne les directives énoncées aux paragraphes 305–310. Les dépens relatifs aux pourvois et aux pourvois incidents sur la base avocat-client sont accordés aux demandeurs des lacs Huron et Supérieur (para 311).
[1] Orthographe tel qu’utilisé par la Cour suprême du Canada dans sa décision.